23/05/1999 - Psychocaine
Pour une vampire

Le 220 bpm de la pièce contiguë cognait dur contre le mur ; on entendait à peine les hurlements de joie des extasiés. J'étais affalé sur le fauteuil, torse nu, vodka à la main, je la regardais se dessaper. Une pure salope comme on n'en voit qu'une tous les deux ans. Ses cheveux étaient laqués vers l'arrière et la teinture lui faisait comme un voile bleu - égyptien! - sur le haut du crâne.
Elle dansait et ses pieds carressaient le sol : elle dansait une valse, insouciante de la hard-core qui calmait les parisiens de la soirée.
Je n'aime pas les femmes qui se peignent les orteils mais cette créature presque synthétique donnait au maquillage tout son sens et le rejoignait dans une sorte de perfection. Ses yeux! Nom de Dieu, ses yeux! n'étaient pas réels, ils peignaient un dégradé dont le sombre allait vers le tunnel de son âme et ils ne criaient qu'un seul mot : le sexe! Je n'avais jamais vu d'yeux ne rien faire d'autre que ce qu'on leur enjoignait et jouer sur mon désir comme un doigt aurait pu le faire. Elle possédait un petit tatouage sur chaque genou :
ils étaient de la même main, un bracelet de menotte dont la chaîne était brisée.
Voilà deux genoux qui ne demandent qu'à se méconnaître, pensais-je, qui n'attendent que de divorcer. Puis je compris pour la première fois que l'erreur fondamentale des poètes fut de séparer chaque beauté du corps, de dissocier, répertorier les éléments :
l'oreille, l'épaule, le cul pourquoi pas.
Alors se livrait à moi le mariage du nez et de la bouche :
insécables, ils formaient un système de volupté, une correspondance esthétique et sublime, deux conceptions de la respiration.
L'un ne pouvait être parfait sans l'autre.

Elle se servait au premier pas du nez pour inspirer et je m'imaginais, filament d'oxygène, pénétrer dans les grottes de ses narines pour la visiter de l'intérieur. Puis, au troisième temps de sa valse, la bouche expirait et je voyais les deux portes de porcelaine qu'étaient ses dents. De seconde en seconde sa langue apparaissait comme un petit animal qui sortirait de sa tanière pour me narguer. Elle était divine. Au moment où la musique devint réellement démoniaque, ce furent ses cuisses que je vis puisqu'elle remontait sa pièce Ogoshi. J'aurais tué pour les posséder si elles ne s'offraient à moi :
lisses comme du vinyle et si régulières qu'on aurait pu en calculer la fonction arithmétique, je laissais mon regard suivre leur mouvement et remonter la hanche, au rythme d'un Brahms que je n'entendais qu'en esprit.
Mais, vous le savez, l'oeil est capricieux, il ne se déplace que par soubressauts, paresseux il oublie la plus grande part de ses mouvements.

J'étais écoeuré, j'allais toucher à la perfection en échange d'un exta et noyé dans des réflexions vaines, j'en laissais mourir la moitié. Les seins! Les seins! Les seins! Les seins! J'étais hanté... lorsqu'ils apparurent. On aurait dit des centrales nucléaires dont la seule unité de production était la libido. Indignes de cette seule comparaison, j'aurais voulu qu'ils soient fermes comme un marbre de Miron pour m'y fracasser la tête. Impatient, surexcité et vaporeux, en bref dominé, mon regard voulu forcer sa toison, l'entrée vers sa matrice. Elle choisit cet instant pour me tourner la face, continuant sa danse. Mais. Une demi-seconde avant cela.
Dans la lumière noire. Ses canines éclairaient la nuit. L'instant de la mise à mort.


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