01/08/2001 - Christine Coudray
Soluble dans l'eau - Chapitre I

C’était un matin d’hiver. Avant de sortir, j’avais glissé dans ma poche les lettres que tu m’avais écri-tes. Les miennes que tu avais eu la cruauté de me renvoyer, je les avais brûlées la veille, dans la che-minée. Là où il n’y avait que du feu je te voyais, toi, m’échapper.
Le trottoir brillait, le froid faisait comme une chape de plomb sur la ville. Une brume ne se dissipait pas depuis plusieurs jours à laquelle se mêlaient les gaz d’échappement. L’air irritait ma gorge et mes yeux devenus humides. Une larme ou deux coula sur ma joue. Beau temps pour un enterrement.
Les mains glissées dans mes poches, je relisais du bout des doigts tes lettres. C’était doux et chaud encore pour quelques instants.
Mais j’étais fermement décidée à éradiquer de moi toute trace de toi, de nous. Pourquoi ne pas avoir fait disparaître tes lettres de la même manière que les miennes ? Probablement parce que je n’aurais plus jamais pu faire un feu dans cette cheminée. Et puis, il me semblait préférable d’éteindre tes lettres. Il fallait définitivement refroidir ces charbons encore ardents. Je voulais donc les jeter dans l’eau glacée d’une rivière. Les lettres s’éparpillant lentement sur l’onde seraient notre dernier voyage à tous les deux.
J’entrais dans ce parc où nous étions souvent allés toi et moi ces dernières années, tu sais bien duquel je parle. Tout me semblait mort. Je n’y avais jamais rencontré un tel climat de désolation. Les branches nues des arbres semblaient élever vers le ciel de vai-nes incantations. Les buissons si verts auparavant étaient devenus des boules d’épines acérées. Les pelouses dépérissaient. Bien que le froid me trans-perça, je ne mettais pas ces changements sur le compte du temps. Non, c’est l’effroi que tu avais jeté sur moi qui avait contaminé les lieux de notre histoire. L’allée caillouteuse, la seule chose qui resta similaire au passé, conduisit mes pas jusqu’au vieux pont de bois craquant auquel il manquait des planches. Te souviens-tu de ce jour où, une de ces roses que tu aimais m’offrir était tombée par un de ces trous ? N’écoutant que ton courage, tu t’élanças dans l’eau, provoquant la colère d’un canard qui avait crû, à tort, que la fleur irait décorer le nid d’amour de sa fiancée. Tu savais que ce genre de choses, un peu folles, me faisait rire, me surprenait et augmentait le crédit de la passion.
Mais les kilomètres qui nous séparaient nous avaient rendus trop débiteurs. Notre compte était à sec et j’étais là sur ce pont à rêver à ces jours passés, prête à mettre un terme à notre histoire. Prenant une forte inspiration, je rassemblais mes forces pour jeter ces lettres pourtant légères comme des plumes. Je m’attendais à ce que leur contact avec l’eau entraîne des crépitements, de la fumée. Mais rien de tout cela ne se produisit, seulement des vagues concentriques troublèrent l’onde et allèrent mourir sur les berges.
Plusieurs lettres se prirent dans la vase, comme nos conversations s'étaient emmêlées dans les fils téléphoniques qui portaient nos voix. Les autres dérivaient dans l’eau verte, frêles esquifs démâtés.


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