01/08/2001 - Christine Coudray
Soluble dans l'eau - Chapitre V

C'est du Cher que je voulais faire mon dernier lit, de ses flots, mes derniers draps. Je l'avais doucement apprivoisé au cours des dernières années. Ses îlots verdoyants, ses arbres qu'il engloutissait parfois, sans révérence pour ses plus beaux atours, ses ponts métalliques et bétonnés qui lui faisaient comme des cicatrices, ses berges aménagés "pour le plaisir des riverains", "pour améliorer le cadre de vie" comme disait la municipalité. Ces berges où mes pas m'avaient conduit cette nuit. La lune serait mon seul témoin, les étoiles étaient, elles, drapées d'un voile qui étouffait leur clarté.
J'avais hésité : comment me jeter à l'eau ? Puisque c'était de cela qu'il s'agissait . Finalement, la meilleure solution me semblait être d'enlever seulement mes chaussures, de glisser dedans ma carte d'identité qui avait perdu pour moi ce titre. Une façon de dire : voilà, c'est comme cela que je suis morte, ne me chercher plus.
Les pentes des rives étaient faites de pierres et de ciment, tout ça bien rugueux, bien méchant. Je préférais descendre jusqu'à la rivière par l'escalier, les marches lisses en béton, la rampe métallique froide, d'un blanc fluorescent sous la lumière de l'astre nocturne.
Le froid de l'eau ne me surprit pas, je l'avais imaginé, pressenti. J'avais pensé : l'hypothermie m'enserrera le cœur, ultime étreinte, et la mort se diffusera par mes veines.
Je m'allongeais et me glissais sur le ventre. J'enfon-çais ma tête dans l'eau. Elle avait un goût de croupi étonnant car les flots m'avaient toujours paru si vifs que j'aurais cru l'eau fraîche. Il n'en était rien.
Déjà elle envahissait mes poumons, je suffoquais, mais c'était bon. Je n'avais plus suffisamment de force pour inverser le processus mais il me restait assez de lucidité pour savourer mes derniers mo-ments. Ou plutôt j'anticipais ce qui se passerait apr-ès et que je ne ressentirais pas. Mon corps douce-ment rongé par les animaux aquatiques, pris dans la vase, surtout pas remonté à la surface. Ainsi dis-sous, il alimentera le fleuve, deviendra alluvion, se déposera, tel le limon, sur la terre des îles.
Et, pour l'éternité ou presque, le courant lavera ma carcasse, polira mes os, en fera des galets, les usera, les caressera, comme la main effleurt la peau, comme le baiser mouille la peau.
Au dernier instant, je songeais à l'épitaphe que je n'aurai jamais puisque à la fixité d'un enterrement j'avais choisi la fuite de la noyade. S'il y avait dû avoir au-dessus de moi une pierre, j'aurais voulu qu'il y soit gravé cette prière païenne :
Je me suis suicidé sans désespoir,
sans me soucier de votre opinion à
vous, les vivants, ces morts qui ne savent
pas qu'ils le sont.
Je vous lègue toute mon admiration.
L'admiration malsaine qu'ont les voyants
pour les aveugles
Aveugles, vous l'êtes, vivants qui ne voyez pas
que la mort est parfois, souvent, tout le temps la meilleure solution.
Mon dernier souhait est qu'il n'y ait pas de vie.
éternelle, pas de tourments auxquels on ne puisse mettre fin mais le vide.


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