24/11/1999 - Michaël Doguet
Conte de fée pour brosse à dent

Il était une fois une jeune et jolie brosse à dent. Propre et belle dans son emballage de plastique, elle souriait à tous les gens qui passaient à coté d'elle. Elle voulait que quelqu'un la prenne dans ses bras et l'emporte loin d'ici. On racontait en effet qu'une fois sortie du supermarché, une brosse à dent avait une vie de rêve: on lui donnait un gobelet spécialement pour elle, et de l'espace à ne plus savoir qu'en faire. Les brosses à dent devenaient les reines de la Salle de bain! Alors qu'ici, dans les sombres rayons, elle étouffait entre ses éclatantes concurrentes qui disposaient de publicité à la télé, et partaient beaucoup plus vite. Elle jalousait ces chanceuses.
Une jeune fille à l'air sympathique, un monsieur respectable, une vieille dame souriante... tous la regardaient, parfois même la touchaient, la retournaient dans tous les sens comme pour apprécier sa valeur -Elle ne s'en inquiétait pas: elle était sûre de sa beauté, quelque soit l'angle de vue-, mais personne ne semblait vouloir se décider à la prendre.

Le jour que notre brosse attendait tant finit bien sûr par arriver. Ce fut un gamin braillard qui s'arrêta devant elle, tout en dansant énergiquement d'un pied sur l'autre.
-J'veux celle-là, m'man! hurla-t-il en posant un gros doigt boudiné sur sa brosse.
Avant qu'elle n'ait pu se rendre compte de quoi que ce soit, la brosse à dent se retrouva projetée violemment au fond d'un caddie. Après qu'elle eut réussi à se décoincer la tête de la grille du chariot, une voix douce l'interpela.
-Bonjour, disait-elle.
La brosse se tourna vivement dans la direction de cette voix, et emit un gémissement silencieux pour son cou, qui avait subi de plein fouet la chute.
Son interlocuteur se trouvait être un tube de dentifrice. Oh pas un de ces trucs stupides en plastique solide, qui avaient un semblant de distributeur à leur tête, sur lequel il fallait appuyer pour faire sortir le dentifrice, non! C'était un vrai tube, mou et profilé. Elle préférait de loin ce genre de tube aux horreurs que les hommes avaient imaginées.
-Salut, lui répondit-elle en souriant.
Le regard ardent du tube était fixé sur elle.
-Je suppose qu'on va travailler ensemble, émit-elle.
-Tu m'en vois vraiment ravi.
Elle rougit et baissa les yeux. Elle sentait toujours les yeux du tube posés sur elle, et , curieusement, cela lui plaisait.
Bientôt cependant, un énorme paquet de gâteaux vint s'écrouler antre eux deux, et ils ne purent plus se voir, ni même se parler. Bien qu'elle ne le connaissait que depuis quelques minutes à peine, le tube manqua à la brosse à dent. Elle se sentit seule jusqu'à l'arrivée dans la Salle de bain.

Là, elle eut droit comme elle s'y attendait à son bocal exclusif, et tout ce qu'elle espérait. Mais elle s'en fichait, elle ne pensait pas du tout à sa nouvelle vie de reine.
Qu'avait-elle donc? ses yeux ne pouvaient rien regarder, elle ne voyait que le tube de dentifrice, présent dans sa seule imagination, et ses oreilles n'écoutaient le silence que dans l'espoir d'entendre de nouveau cette voix si chaleureuse.
Mais il n'était pas là. Elle avait voulu de l'espace vital, mais ne s'était pas attendue à éprouver de la solitude. Ou bien peut-être, se dit-elle, se serait-elle sentie seule n'importe où, tant qu'il ne serait pas avec elle.
Soudain, le garçon qui l'avait achetée fit une entrée fracassante dans la Salle de bain.
-J'vais essayer ma nouvelle brosse à dent, m'man! hurla-t-il.
Il prît d'une main la pauvre brosse à dent, et ouvrit un placard de l'autre, pour en sortir le tube de dentifrice. Le regard de la brosse s'éclaira de joie. Ils n'échangèrent pas un mot, mais leurs regards furent plus explicites que n'importe quelle prose. Ils échangèrent furtivement leur premier baiser lorsque le gamin étala la pâte tricolore sur la brosse.

Les enfants n'aiment pas ranger, et , heureusement pour nos amoureux, celui de cette histoire ne dérogeait pas à la règle. Il laissa négligemment le tube de dentifrice sur le bord du lavabo, à coté de la brosse à dent, avant de repartir en sautillant.
-Elle est vachement chouette m'man! hurla-t-il en claquant la porte.
Une fois seuls, la brosse et le tube continuèrent à se regarder. Puis, il rompit le silence.
-Tu vois le tas de serviette là-bas?
Elle acquiesça en silence.
-Si nous y allions? proposa-t-il. On serait plus tranquilles.
Répondant à son invitation, elle sauta par dessus le bord de son gobelet. Puis, se tenant pas la main, ils gambadèrent vers leur destination.

La serviette était douce et confortable. Ils étaient allongés l'un à coté de l'autre. De leur position, on pouvait voir les étoiles qui illuminaient cette belle nuit à travers la fenêtre. La Lune, blanche et claire, semblait leur sourire.
-Est-ce que tu as un nom? murmura le tube.
-Non, répondit la brosse d'un air triste, pas plus que toi, nous ne sommes que des objets tu sais.
-Je t'aime. Et par ce simple fait, tu existes, dans mon coeur et partout ailleurs.
-Je t'aime aussi...
-Alors laisse moi être ton Roméo, tu seras ma Juliette!
Le sourire qu'elle lui donna était celui d'une Juliette à son Roméo. Il s'embrassèrent tendrement.
-Roméo... souffla-t-elle.
La fin de cette nuit n'est pas dans cette histoire nécessaire à raconter, laissons les donc quelques instants à leur intimité...

Juliette se réveilla en sursauts. Le gamin venait d'entrer brutalement dans la Salle de bain, et regardait partout.
-J'ai perdu ma brosse à dent, m'man! hurla-t-il.
Puis il jeta un oeil vers la tas de serviettes. Il vit Roméo et Juliette l'un à coté de l'autre. Fronçant bêtement les sourcils, il les prit fermement dans sa main.
-Au boulot, murmura tristement le tube.
Le gosse les jeta sechement dans l'évier.
-C'est bon, j'l'ai retrouvée, m'man! hurla-t-il.
Cette fois cependant, après qu'il se fut lavé, il rangea soigneusement le tube dans son placard. Et Juliette se retrouva seule une fois de plus. Chaque fois qu'ils étaient éloignés l'un de l'autre, elle trouvait cela de plus en plsu insupportable. Elle se laissa aller à quelques larmes.
Un shampoing s'approcha d'elle.
-Et bien, lança-t-il, qu'est-ce qui ne va pas ma petite?
Elle leva tristement les yeux vers lui. C'était un vieux shampoing, qui portait les marques d'un usage fréquent sur son emballage.
-Je... hésita-t-elle, nous avons été séparés.
Elle montra le placard du doigt.
-Ah l'amour... dit réveusement le shampoing. J'ai moi même été amoureux il y a longtemps.
Juliette fit un "ah?" intéressé.
-C'était dans ma jeunesse, raconta-t-il. J'étais comme vous, jeune et passionné. J'étais amoureux d'une belle savonnette. Et elle m'aimait aussi.
Le regard du shampoing s'assombrit.
-Que s'est-il passé?
-Oh rien que de très normal: elle a fini par fondre complètement et par tomber dans le siphon...
-Oh! je suis désolée!
Le shampoing fit un sourire attristé.
-Profitez bien de vos moments tous les deux. Ils ne seront pas longs.
Juliette pâlit.
-Comment ça?
-Eh bien, vous allez vieillir, ne plus être utile pour cet horrible gamin, et il vous jétera, ou s'amusera à vous briser en petits morceaux.
Cette fois, la brosse fondit en larmes. Le shampoing se rapprocha d'elle et posa une main rassurante sur son épaule. Il parla d'une voix décidée.
-Ne vous en faites pas, annonça-t-il. Je ne le laisserai pas faire... Vous devez vous enfuir!
-Mais comment? bredouilla Juliette. Roméo n'est même pas là!
-On va improviser, assura le shampoing.

C'était la première fois qu'un objet de la Salle de bain tentait de s'enfuir. Juliette avait très peur. Le shampoing, quant à lui, discutait avec ses amis pour trouver un moyen de partir.
Il commença par libérer Roméo.
-Eh, rasoir! cria-t-il.
Une voix sourde sortit du placard.
-Qu'est-ce tu veux, le shampoing?
-Pousse un coup sec sur la porte, s'il te plaît, je dois faire sortir un ami!
La porte s'ouvrit sans problème sous les assauts du lourd rasoir électrique, laissant s'échapper le tube de dentifrice. Il fondit aussitôt dans les bras de sa bien aimée.
-Bon, lança le shampoing, maintenant il faut casser la fenêtre.
-Mais comment faire? demanda Roméo.
Le shampoing avait une voix triste et déterminée.
-Laissez moi faire, okay?
Le tuba acquiesça d'un hochement de tête.
Prenant son souffle, le shampoing se mit face à la fenêtre. Et, d'un courageux élan, il s'élança tête la première. Le verre se brisa dans un bruit de mort.
-Vite, allez-y! crièrent les objets de la Salle de bain aux amoureux.
Suivant ces conseils, ceux-ci se jetèrent à la suite du shampoing. Ils tombèrent sur l'herbe douce du dehors. A quelques mètres d'eux gisait leur ami le shampoing. Plusieurs fragements de verre s'étaient fichés dans son emballage, et le liquide savonneux coulait à flots.
Roméo et Juliette accourèrent vers lui.
-Ah mes enfants! s'exclama-t-il d'un souffle rauque en les voyant.
La brosse le regarda d'un air horrifié.
-Pourquoi avez-vous fait ça? pourquoi vous êtes vous suicidé?
-L'amour... répondit-il. L'amour est le seul bien que tout le monde doit préserver sur Terre. J'ai perdu le seul amour de ma vie. Aujourd'hui je peux mourrir en sachant que j'en ai sauvé un autre.
Il déglutit difficilement.
-Maintenant partez, reprit-il. Le sale gosse va bientôt arriver.
-Nous pourrons jamais assez vous remerciez, murmura Roméo.
-Aimez vous de tout l'amour que vous pourrez, cela me suffira.
Le shampoing mourrut, un sourire paternel sur ses lèvres. La brosse et le tube le regardèrent quelques instants, avant finalement de s'enfuir en courant. La porte de la Salle de bain s'était brutalement ouverte. La gamin se précipita à la fenêtre.
-C'est pas moi, m'man! hurla-t-il.

Aujourd'hui, la brosse à dent et le tube de dentifrice, Juliette et Roméo, vivent tranquillement parmi les herbes et les plantes de la nature. Juliette attend son premier enfant. Le tout premier d'une longue lignée, espèrent-ils tout les deux. Souhaitons leur le plus de bonheur du monde, il l'ont mérité.
L'amour est la plus belle chose que l'homme a pu inventer. Aussi si vous voyez un jour une brosse à dent et un tube de dentifrice allongés dans l'herbe, ne les dérangez surtout pas! et si quelque part vous rencontrez vous même l'amour, celui qu'on ne peut oublier, alors n'hésitez pas, n'abandonnez jamais!!


le 20 juin 1999


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