12/06/1999 - Jean-Paul Mathonnet
Le ruban

Je me suis encore subitement réveillé après avoir fait un mauvais rêve, un de ces cauchemars où m'apparaît ma soeur défunte depuis plusieurs années. Malgré le fait qu'à chaque fois je suis conscient que je rêve, ces songes répétitifs réveillent en moi une angoisse intolérable. Cela fait sept ans que Laure a disparu, mais elle ne m'a jamais réellement quitté. Son ombre hante mes rêves constamment, et je ne saurais jamais effacer de ma mémoire la scène de sa disparition.
Nous nous étions tous deux éclipsés de la maison pour aller faire une promenade dans la forêt qui bordait le domaine familial. C'étaient les seuls moments où nous pouvions échapper à la stricte autorité parentale qui nous serait une fois de plus réservée dès notre retour à la maison. Nous décidâmes donc de rester plus longtemps que d'accoutumée au milieu des immenses châtaigners qui peuplaient les chemins de notre ballade. Laure sautillait gaiement à travers les arbres et s'amusait à ramasser toutes les choses qu'elle pouvait trouver. Nous avions quitté la grand route pour emprunter d'étroits passages, qui ne faisaient que nous enfoncer de plus en plus dans le labyrinthe des châtaigners. Finalement, et à force de dévier du chemin principal, j'ai réalisé que nous étions perdus. Je cherchais Laure du regard pour la prévenir de ne plus trop s'éloigner de moi, quand je m'aperçus qu'elle n'était plus là. J'ai d'abord pensé qu'elle me faisait une de ses blagues où elle se cachait derrière les arbres pour me faire peur, quand j'entendis un hurlement ; atroce, morbide ; je n'avais jamais entendu de son aussi déchirant. Je me mis alors à courir désespérément de tous côtés en criant éperdument le prénom de ma petite soeur, mais je ne percevais aucune réponse. Un second cri retentit, plus près de moi cette fois. Je m'arrêtais net pour réfléchir, malgré ma panique grandissante. J'eus d'abord l'impression que les répercussions sonores s'éloignaient vers le ciel, quand j'eus l'idée de lever la tête. Les branches en pagaille au-dessus de moi masquaient entièrement le ciel, pourtant si bleu quand nous avions quitté la maison pour aller se promener. J'étais seul, perdu au milieu d'une immense forêt de châtaigners où personne n'aurait pu me retrouver, qui s'assombrissait de minute en minute. Au pire, je serais mort de faim, voir même de froid quand la nuit ferait sa pénétrante apparition.
Je perdais espoir, quand j'entendis une petite voix au loin. J'étais persuadé que c'était Laure ; ça ne pouvait être qu'elle. Je me dirigeais vers l'endroit où je pensais retrouver ma soeur. J'y trouvais effectivement des traces de son passage, dont un des rubans qu'elle s'attachait dans les cheveux, accroché à une branche étrangement haute par rapport à sa petite taille. Je passais ce détail et continuais à la chercher : j'entendais toujours sa voix, mais toujours de plus en plus loin: on aurait dit qu'elle s'éloignait, qu'elle cherchait à fuir quelque chose, ou quelqu'un. Encore une fois, j'imaginais le pire, tel un animal sauvage la pourchassant, ou bien la retrouver au fond d'une crevasse...
L'atmosphère devenait inquiétante : un vent glaçant s'enroulait discrètement autour de moi en faisant tourbillonner les feuilles mortes qui jonchaient la terre noire. Une sensation de déjà-vu s'empara brusquement de moi, comme si elle m'empoignait avec violence, ma panique se vu accompagnée de ce sentiment étrange. La voix était de plus en plus perceptible, ce qui me permit de reconnaître 2 voix différentes. Laure parlait avec quelqu'un, au beau milieu d'une forêt, propriété privée de ma famille. Je n'avais aucune idée en ce qui concernait cette deuxième voix, mais du moins elle ne me parût pas familière. Que faisait donc un inconnu ici ? J'avais pensé à un homme sans foyer venu chercher un sous un ciel de branches entrelacées un peu de confort, sur un lit de feuilles mortes.
Malgré tous mes efforts, je ne parvenais pas à les rattraper. On aurait dit qu'ils étaient invisibles, ou qu'ils s'éloignaient au fur et à mesure que j'avançais. Je tendis alors l'oreille pour tenter de surprendre leur conversation, car jusqu'à ce moment, je ne comprenais pas un traître mot à ce qu'ils pouvaient se raconter ; j'étais simplement certain d'entendre la voix de ma soeur avec une autre. Je ne pûs comprimer un cri d'horreur quand je perçus des bribes de leur discussion.
C'est généralement à ce moment que finissent mes rêves. Je me réveille à chaque fois ? ? ? ? de sueurs froides, avec un front brûlant comme de la lave en fusion. Je n'ai jamais retrouvé ma soeur. Je me souviens seulement de m'être évanoui après avoir surpris le discours de l'homme inconnu qui a sûrement emporté ma petite soeur ce jour-là. Ce furent les chiens du shérif qui me retrouvèrent sous un tas de feuilles mortes gigantesque. Ils n'avaient trouvé aucune trace de Laure dans toute la forêt, malgré des recherches poussées par tout le village. Il n'a jamais été expliqué comment je me suis retrouvé vivant enfui sous deux mètres de feuilles, ni comment un étranger aurait pu se trouver là. Tout ce que je sais est que je suis certain de ne pas avoir rêvé : j'ai entendu ma soeur parler à un ange ce soir-là. Depuis, je fais toutes les nuits le même rêve, la scène de la disparition de ma soeur. En espérant qu'elle ne souffre pas, je clos ce testament en léguant tout à l'Eglise Saint-Christophe.

Charles De Lagryère, certifie être sain de corps et d'esprit, le 13.12.1969.


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