20/09/1999 - Jean-Luc Theodora
Le pacte

Le Moredhel se drapa dans ses robes noires, se leva de son trône et emprunta l'escalier qui l'emmènerait dans les profondeurs de sa demeure. L'ombre donnait un aspect inquiétant aux statues grimaçantes habitant les couloirs qu'il suivait; Il lui avait fallu retrouver les clés apposées sur les portes par ses prédécesseurs. Il était jeune alors et il avait dû utiliser toute l'énergie dont il disposait, afin de créer les contre-sorts nécessaires pour leur ouverture. Mais son acharnement avait eu raison de tout et il avait eu accès aux secrets ultimes, source de la Puissance qui était sienne. Depuis, il régnait en maître de la mort, tirant les fils de la vie de ses sujets, régent incontesté de la planète, détenteur de l'Energie Abominable. A ces souvenirs, il émit un son rauque, parodie de rire, et, étendant ses mains, se remémora l'image de son dernier ennemi: ce petit Blanc ridicule qui s'était cru capable de le renverser, Lui, le Créateur de Folie, Lui, le Moredhel. Il l'avait laissé dépenser son énergie dans des sorts inefficaces, puis avait tissé sa mort. Il s'était repu de l'expression délicieusement horrifiée qui avait envahi le visage de son adversaire lorsqu'il avait commencé de se jouer de lui. Il s'était réjoui de sa peur lorsqu'il l'avait vidé de son énergie. Le pouvoir était sien; Il était le régent d'un monde, Immortel, Détenteur des cauchemars, Seigneur de la Noirceur. Les Woora'ch le nommaient Nar'Woondra'ch, le Noir Créateur.

A la porte de son salon privé, il s'arrêta le temps de tisser une protection. Puis, d'un signe il força la porte à s'ouvrir. Il avança de deux pas et, d'un raclement de gorge, signala sa présence à l'occupant de la pièce. Ce dernier se retourna lentement, permettant à son hôte de le dévisager. Ses yeux étaient constellés de poudre d'étoiles, sa bouche était une fente horizontale, rompant l'harmonie d'un visage émacié. Son crâne était rasé de près, à l’inverse de celui de son vis-à-vis. Le Moredhel s'installa sur le trône de pierre, qui occupait le centre de la salle, et, d'une voix sourde, interrogea son visiteur: "Quel est le nom de celui qui ose m'interrompre dans mes songes d’abominations? Qui es tu qui prétends traiter avec moi d'égal à égal? Qui es tu dont seule la folie égale ma puissance en force? Nomme toi si tu désires que cette conversation aille jusqu'à sa fin.
-Mon nom importe peu quoi que vous puissiez en penser. Ma folie est grande, certes, de venir vous voir. Mais sachez qu'elle est la source de mon pouvoir. Car, sans vouloir vous être désobligeant, je prétends détenir des secrets que, même vous, ne sauriez imaginer. Pour commencer, je viens d’ailleurs. Je viens d'un endroit où votre forme de pouvoir n'a pas sa place; et pourtant, cette puissance peut m'être utile dans ma quête. Mon rôle n'est ni de vous accuser, ni de vous applaudir, car si mes desseins diffèrent des vôtres, mes crimes sont sûrement aussi grands. Je suis venu vous proposer une alliance, deux pouvoirs différents alliés dans un même but.
-Ainsi, tu oses te comparer à moi, tu oses me proposer une alliance à moi, Le Maître d'un monde. Ceci ne saurait continuer!"
D'un geste, le Moredhel créa un feu vivant qui se rua sur son interlocuteur. Il s'éteignit aussitôt laissant l'homme intact. Trois gargouilles se détachèrent des murs et s'envolèrent en direction de l’inopportun. Elles se mirent à hurler lorsque leur victime commença son chant. Le Moredhel poussa un hurlement mais ne put couvrir le son de la mer que suggérait les paroles. Et, pour la première fois depuis une éternité, l'être noir sombra sous la magie. Il rêva d’étoiles qui rompaient la monotonie stressante de la nuit; il vit des soleils vaincre de leur chaleur immonde la froideur reposante de la pierre; il plongea maintes et maintes fois dans les eaux bienfaitrices et régénératrices d'une multitude d'océans; il admira l'éclosion des bourgeons sur les plantes, le premier cri des nouveaux nés, la chaleur d'un premier amour. Le charme cessa, le laissant pantois.
-"Je pense que ceci vous aura enlevé toute suspicion. J'aurais très bien pu vous parler de choses plus sombres, pour vous, mais la leçon eut été plus dure, plus convainquante et il me fallait vous laisser le libre choix de cette alliance que je ne désire point voir se muer en allégeance. Alors? Pouvons nous maintenant discuter de cette entente?"
Le Moredhel regarda son interlocuteur d'un oeil nouveau. Sa colère avait cessé, il s'était enfin trouvé un égal, pour le moment. Une association ne pourrait être que profitable, jusqu'à ce qu'il redevienne le plus fort. Une rivalité ne saurait que permettre à son pouvoir de grandir d'avantage. Cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait eu à se surpasser.
-"Soit! Parlons. Mais d'abord cessons toute futilité."
D'un geste, la forme noire s'évanouit, laissant la place à un être mince aux yeux en forme d'amande, aux oreilles minuscules. Dans son dos était plantée une paire d'ailes membraneuses qui vibraient au rythme de sa respiration. Il n'était vêtu que d'un simple pagne et, à son côté, pendait une épée à la lame rougeoyante.
-"Puisque, jusqu'à preuve du contraire, nous sommes égaux, il parait évident que nos noms réels se doivent d'être dévoilés. Le mien est...
-Ochrearc!
-...Comment?"
La surprise du Moredhel était indescriptible. Tous ceux qui avaient connu son nom étaient morts et il s'était assuré qu'aucun d'entre eux n'avait pu le dire à quiconque lorsqu'il les avait tués. Le pouvoir de cet être serait-il encore plus grand que ce qu'il avait seulement osé imaginer?
-"Un jour, peut être, vous dévoilerai je comment j'ai su votre nom. Mais soyez sûr que nul en dehors de nous n'a eu accès à cette connaissance. De plus, là d'où je viens, personne ne saurait apprécier cette révélation à sa juste mesure. Et, même si cette personne existait, nous nous rencontrerions inévitablement avant la fin. Mais là n'est pas la question, je me dois de vous dire dans quel but j'ai sollicité votre aide. J'ai besoin de vous à des fins de destruction. Oui! Détruire des gens qui m'ont offensé. Leur pouvoir est grand et encore différent de ceux que nous possédons vous et moi. Mais, partout là où ils passent, ils laissent des individus que seule la haine maintient en vie. Vous seul de tous ceux que je recruterai n'aurez rien à leur reprocher. Mais mon destin et le vôtre sont liés. J'ai vécu trop longtemps comparé à l'espérance de vie de ma race. Maintes fois, j'ai cru trouver le repos éternel, mais toujours la mort m'a repoussé. Maintenant, j'ai une promesse à tenir et j'ai peur de ne pouvoir l'accomplir dans les temps. Alors, en échange de mon pouvoir, vous m'aiderez dans mon oeuvre, et s'il en est besoin, l'achèverez pour moi."
Le Moredhel sourit. Aussi grande soit sa force, le bélier finit toujours dans la gueule du loup. Le marché lui plaisait: "Vous m'avez séduit. Sur ma connaissance et mon art, cela sera."


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