18/09/1999 - Jean-Luc Theodora
Je ne suis pas une légende

L'homme courait dans la nuit, sa cape flottant dans l'air frais. Dans le ciel, les étoiles scintillantes brillaient de tout leur éclat, mais il n'en avait cure. Tout son esprit était tendu vers les appels de ses poursuivants. Les aboiements de la meute rivalisaient avec le ronronnement des moteurs des chasseurs. L'homme s'arrêta au bord d'une rivière. Il écouta les bruits qui lui parvenaient et tenta de savoir à quelle distance ses traqueurs se trouvaient. Il réprima un frisson et releva le col de sa cape. Ses cheveux retombaient en cascade sur ses épaules et une mèche se collait sur son front couvert de sueur. Il maudit, à voix haute, la race humaine avant de reporter son attention sur l'autre berge. Cette rivière était le dernier obstacle avant le village. Là nul ne le retrouverait et de gibier il se transformerait en chasseur. Ses yeux couleur sang brillèrent d'un éclat maléfique tandis qu'il se jeta dans le cours d'eau.
Le village s'étendait en contrebas de la colline où se tenait la compagnie. Elle était composée de trois chasseurs intergalactiques montés par deux hommes chacun. A leurs côtés couraient d'énormes chiens au poil noirâtre. L'homme dont la combinaison s'ornait du grade de lieutenant se tourna vers ses compagnon.
-"Sergent, prenez Keron et Millet, ainsi que les chiens. Vous emprunterez la grand rue. Nous vous suivons à une distance de 500 mètres. Réglez tout de suite vos pistolasers sur incinération. Je ne veux pas courir le risque de vous perdre."
Le sergent acquiesça de la tête et à son signe deux hommes se lancèrent à sa suite au bas de la colline. Les moteurs des chasseurs ronronnèrent doucement dans le silence.

Sous le village s'étendait un dédale de couloirs aux murs sombres. Nulle lumière n'entachait l'obscurité; L'homme à la cape noire n'en avait cure. Il marchait d'un pas alerte comme s'il voyait ou connaissait les souterrains par coeur. Il arriva à une pièce dont la porte en bois était ornée d'un heurtoir représentant un homme hurlant de peur. La salle était immense et reconstituait l'intérieur d'un château moyenâgeux. S'étant débarrassé de ses vêtements humides, l'homme se dirigea vers l'un des pans de mur, lequel pivota après qu'il eut manipulé une torchère, révélant une pièce remplie de machines. Au centre, point de jonction d'une multitude de fils, on pouvait voir un cercueil d'ébène verni dont l'intérieur était tapissé de soie rouge. Une plaque mortuaire était fixée à même le sol: "Ici gît Slavinovitch Boris de la lignée de Ravenloft". Une gravure représentait un homme à la cape rouge.
Le dénommé Boris ouvrit un coffre dont il sortit des vêtements identiques à ceux qu'il venait d'enlever. S'étant vêtu, il regagna la pièce précédante et s'assit sur un trône de marbre sombre. Un robot serveur s'approcha de lui dont le plateau était rempli de breuvages divers. Après réflexion, Boris prit une coupe de champagne. il la porta à ses lèvres, en apprécia le pétillement puis s'abandonna à la méditation: il haïssait ces humains qui avaient troublé son repos. Il repensa au début de cette histoire.


La planète était abandonnée depuis des siècles et seul le village témoignait qu'elle eut été habitée. Sous les maisons aux murs délabrés, s'étendait un réseau de souterrains dont toutes les ramifications principales menaient à une salle, reconstituant la salle de réception d'un château. Les murs étaient ornés de tapisseries représentant un type de vie moyenâgeux. Sur tout un mur, des tableaux montraient des personnages habillés de noir, la lignée des Ravenloft. Leur regard les mettait à l'écart de l'humanité, par sa rougeur. La pâleur de leur visage faisait douter qu'ils soient vivants. Tous avaient les cheveux couleur d'ébène.
Une seconde salle était cachée par une porte secrète. Elle était remplie par d'innombrables appareils aux fonctions diverses, d'où partaient des fils qui se rejoignaient à une sorte de cercueil. Là, depuis des millénaires, dormait le dernier des Ravenloft, oublié de tous pour le plus grand bien de l'humanité. De rêves, il n'en avait pas, non plus de désirs. Son état était semblable à la mort. Il gisait là pour l'éternité et les appareils, eux-mêmes étaient éteints depuis longtemps... Jusqu'à ce que, pour la première fois depuis trois mille ans, la porte de pierre s'ouvre. L'individu qui violait le sanctuaire était un homme de taille moyenne au crâne chauve. Ses yeux brillaient d'une excitation intense, de derrière ses lunettes au verre épais, témoin d'une forte myopie. Il portait une blouse blanche par dessus une combinaison faite d'un tissu isolant. L'homme poussa un petit cri aigu qui eut pour effet de rameuter deux autres personnes. La première était un homme grand, de forte corpulence et aux muscles saillants. Sa combinaison grise était ornée de médailles. La seconde était une petite femme de beauté moyenne, mais d'un charme époustouflant, dont la combinaison semblable à celle de l'homme ne portait aucun signe particulier. L'homme se tourna vers la femme.
-"Marine, il semble que le professeur ait trouvé un trésor digne d’intérêt. Contacte le sergent Kyriel, qu'il vienne ici avec ses hommes. Dis lui d'en laisser deux en faction à l'extérieur et deux autres à la porte en bois.
-A vos ordres mon Lieutenant.
-Contacte aussi le vaisseau mère et signale leur qu'on a trouvé une sorte de tombeau et aucune vie sur cette planète de merde. Professeur, vous en avez pour combien de temps?"
La femme sortit un appareil de sa poche et transmit les ordres de son lieutenant. Puis, elle se tourna vers la pièce miraculeuse où s'affairait le professeur. Ce dernier n'avait cessé de les enquiquiner durant tout le voyage:
"Voyez vous mon Commandant, disait-il, Ce n'est pas la première fois que l'homme visite ces systèmes. Si vous considérez les vieilles légendes, l'être humain avait, déjà par le passé, acquis des moyens de voyage performants. Mais des guerres incessantes avec les autres races l'avaient contraint à mettre l'accent sur la guerre. Ce qui explique, par ailleurs, le fait que notre société soit bâtie sur un mode militaire. Maintenant que nous avons réglé toute question de territoires avec nos alliés récents, nous pouvons nous lancer à la découverte de ce passé que nous avons oublié. Mais, une question m'obsède. Pourquoi, y a-t-il eu une volonté manifeste de rayer cette planète des routes spatiales et commerciales? Car, savez vous que cette volonté est claire sur les anciennes cartes où, déjà, on ne la signalait pas? Or, il est évident au vu de ce trésor que cette planète fut habitée par l'homme. Evidemment, vous autres militaires, n'avez pas cette curiosité, ce besoin de connaissance, qui pousse l'homme sur le chemin du savoir."
Le commandant avait poussé un juron et avait regagné ses quartiers. De tout le vaisseau, seule Marine conservait encore cette curiosité qui semblait faire défaut à la gent militaire. Mais, elle ne s'était engagée que dans le but de voyager, cela était vrai.
A la demande du professeur, le lieutenant décida de regagner le vaisseau afin de rapporter le matériel du scientifique. Seule Marine resterait avec le petit bonhomme chauve et elle s'en félicitait. Ils sortirent tous à l'extérieur. Nul ne vit ni n'entendit les machines se remettre en route. Nul ne vit les fils frémir, les liquides s'écouler en direction du cercueil. Nul n'assista au réveil du dernier des Ravenloft.
Ses yeux étaient embués de sommeil. La faim le tourmentait et sa première pensée fut de la colère pure et simple. Il y avait une défaillance des machines. Il sortit lentement de sa couche et s'habilla suivant un rite immuable. Il enfila le pantalon noir, puis la chemise de la même couleur. Enfin après avoir attaché la cape noire, au revers rouge, il rassembla ses cheveux sous le haut de forme. Ce n'est qu'après qu'il chaussa les bottes montantes au cuir noir. Il se dirigea vers les machines dont il vérifia les instructions. C'est à ce moment qu'il huma l'odeur tant connue, l'odeur de l'homme et du sang chaud. Elle était récente, très récente. Ses yeux brillèrent, rougeoyant dans l’obscurité. Il ne put s'empêcher de se pourlécher les lèvres et d'éclater d'un grand rire, un ululement à faire frémir le plus courageux des hommes. Ravenloft vivait et avait faim. D'un mouvement ample, il s'enroula dans sa cape et disparut.

Marine regarda s'éloigner la navette dans l'air frais du soir. La nuit s'installait doucement amenant l’esprit humain à s'attarder dans des rêves aussi impossibles qu'agréables. La jeune femme adorait observer le ciel lorsqu’il prenait cette teinte rougeâtre. Elle pensa qu'elle resterait volontiers sur une telle planète, loin de l’occupation des hommes et de leurs guerres incessantes. Ce n'est que lorsque la nuit se fut installée qu'elle remarqua l’absence du professeur. Elle se dirigeait vers l'entrée de souterrains lorsqu'un mouvement la fit se retourner. Durant une seconde, elle avait senti comme de la peur l'effleurer. Mais c'était absurde. Par contre le professeur serait heureux d'apprendre qu'elle avait vu une chauve-souris. Souriant de sa frayeur, elle s'enfonça sous terre. Elle n'assista pas à la métamorphose de Boris et ne vit pas l'étrange lueur qui était dans ses yeux.
Marine rejoignit le professeur qui lui sembla aussitôt empreint d'une grande inquiétude.
-"Quelque chose qui ne va pas professeur?
-Hein?"
Il avait sursauté comme s'il redoutait une intervention indésirable. Marine lut comme de la peur dans les yeux du petit homme.
-"Quelque chose vous inquiète?
-Heu!.. Non, non!"
Marine sut que le prof mentait, mais sur quoi? alors qu'elle se décidait à transmettre ses observations au vaisseau mère, elle aperçut le cercueil: il était ouvert et le prof ne cessait d'y jeter des coups d'oeil inquiets.
-"Puis je savoir ce qui se passe ici, Monsieur? Pourquoi avez vous ouvert cela maintenant? Nous avons tout notre temps pour..
Je crains que vous n'ayez rien du tout, si ce n'est le droit d'accepter mon humble hospitalité."
Marine se retourna étonnée vers l'homme qui se tenait à la porte de la grande salle. Elle n'arrivait pas à réprimer le frisson que la voix avait fait naître chez elle. De plus le professeur semblait complètement affolé. Bizarre..
-"A qui ai je l'honneur?" La voix était froide comme les murs.
-"Comment êtes vous arrivé ici? Le vaisseau mère ne m'a signalé la venue d'aucun autre navire. Et, je croyais qu'il n'y avait plus d'être vivant sur cette planète. Le détecteur de v..
-Effectivement, il n'y avait plus personne de vivant au moment de votre arrivée. Mais, le comte de Ravenloft ne saurait manquer à ses devoirs d'hôte. Et puis.. j'avais faim." Il réprima un sourire.
-"Mais, et la chauve-souris?" Elle entendit comme un gémissement dans la direction du prof.
-C'était moi, bien sûr!" La voix du soi-disant comte était devenue rauque.
Poussant un hurlement, le professeur se rua vers la sortie, bousculant le comte au passage. Marine était étonnée de voir autant d'énergie chez le scientifique. Elle ne l’aurait jamais cru aussi rapide. Son étonnement se mua en horreur lorsqu'avec un large sourire, Boris se transforma en loup et se rua après le pauvre prof. Elle referma la porte derrière eux. Puis s'empara de son laser qu'elle régla sur rafale. Après, elle se mit en devoir d'ameuter le vaisseau; elle finissait juste lorsqu'elle entendit le hurlement. Le sang se glaça dans ses veines. Elle était prise au piège avec une sorte de fou, même si elle ne comprenait pas comment il s'était transformé en loup: illusion sans aucun doute. N'importe comment, sa raison n'acceptait que cette explication. Elle devait oublier les films que le professeur lui avait projetés. Les vampires n'existaient pas. Les vampires n'ex..
-"Décevant le prof, vraiment décevant. Je l'aurais cru moins émotif, plus apte à apprécier le fait que je ne sois pas mort. Vraiment!"
Le regard de Marine alla du comte à la porte, puis de la porte au comte. Elle le regarda essuyer le sang qui perlait au coin de ses lèvres du revers de la main. elle ne réagit pas lorsqu'il s'installa sur l'énorme trône de marbre. Elle n'arrivait plus à ordonner ses pensées; La seule chose qui lui venait à l'esprit était que la porte était toujours fermée et qu'il était censé se trouver à l'extérieur. Tout devint noir devant ses yeux et elle se sentit sombrer dans une mer sans fond. Ravenloft se leva de son trône, ramassa avec une infinie douceur le corps de la jeune femme et l'installa à sa place dans le cercueil. Marine eut été étonnée de voir l'expression du visage de Boris lorsqu'il se releva: il était.. humain.
Boris se dirigea alors vers ses machines, lesquelles lui signalèrent que d'autres êtres vivants venaient d'entrer dans l'atmosphère de la planète. Le comte poussa un soupir de consternation. Les humains étaient vraiment impossibles. Même après des siècles d'évolution, ils ressentaient encore le besoin de tuer ce qu'ils ne comprenaient pas. Ils avaient toujours traqué sa famille et les autres. il se pencha au-dessus du cercueil, déposa un baiser sur le front de son occupante et disparut dans un mouvement de cape.

Il se tenait dans l'ombre d'un arbre, collé contre le tronc, protégé de la lumière lunaire. il les vit se poser et sortir de l'engin. Un frisson le gagna lorsqu'il vit les bêtes: c'étaient des chiens énormes, des tueurs, il le sut aussitôt. La lutte allait être âpre. Puis vinrent les hommes montés sur des véhicules qu'il ne connaissait pas. Ils étaient armés de pied en cap. A ce moment, les bêtes hurlèrent. Il se tourna vers la forme qui accourait vers le groupe en contrebas de sa position. Il reconnut la jeune fille. Ravenloft poussa un soupir, puis adoptant son plus beau sourire, descendit nonchalamment la colline. Il nota tristement, qu'à la vue de sa cape se détachant dans la clarté lunaire, la jeune fille s'était réfugiée derrière ses compagnons. L'un d'eux se détacha du groupe et s'avança vers lui, paumes offertes:
-"Je vous salue, monsieur. Je suis le lieutenant Jobert et je représente la Confédération humaine dans cette partie de l'espace. Je suis conscient que le soldat Marine vous ait posé quelques problèmes: vous prendre pour un vampire.. vraiment.
-Mais.. je suis un vampire; et de la plus haute souche encore." Le comte effectua une parodie de révérence. "Permettez que je me présente, monsieur l'ambassadeur. Vous avez l'honneur et le privilège de porter les yeux sur le dernier descendant direct des Ravenloft. Je vous accorde la permission de m'appeler Comte, et non monsieur: je trouve cela d'une vulgarité quelque peu désobligeante, sinon déshonorante."
Le lieutenant était désemparé par la tournure des événements. Il s'attendait à tout sauf à ce que cet individu insistât pour qu'on le prit pour un vampire.
-"Ecoutez, monsieur..
-Tss! Tss! Comte. Pas monsieur, mais Comte." Boris se tourna vers la jeune femme. "Expliquez leur vous, au lieu de trembler ainsi. Vous n'avez aucune raison d'avoir peur. Je ne suis pas un de ces barbares de Transsylvanie. Un Ravenloft ne fait jamais de mal à une femme. Et puis, votre vue m'a fait le plus grand bien. Je n'avais vu de femme aussi jolie depuis des siècles. Vous avez, Madame, toute la reconnaissance et l'admiration de Boris Slavinovitch, Comte de Ravenloft, Prince vampire de son état. Donc, disais-je, expliquez leur le sort qu'a subi cet impertinent qui vous accompagnait dans ma demeure, ce violeur de sépulture, cet ignare inculte, cet imbécile de prof. Vous devrez vous en passer dorénavant, je le crains fort."
En disant cela, Boris n'avait pu s'empêcher de porter son regard sur un homme assez corpulent qui se tenait à l'écart du groupe. Une bouffée d'adrénaline se déversa dans son sang. Il se tourna vers le lieutenant. Son sourire avait disparu. La colère brillait dans ses yeux. Lorsqu'il parla, ce fut d'une voix sourde: "Pouvez vous justifier la présence de cet homme, ici, sur mon territoire?
-"C'est à dire.. Il a insisté en entendant parler de vampire et a prétexté qu'il était de son devoir de purifier cette..
-Oui! Purifier cette planète de l'abomination qui s'y tient!" La voix était passionnée.
Boris regarda l'homme de nouveau. Il le vit prendre un crucifix et le tendre dans sa direction. Il vit l'éclat de ses yeux, cette passion qui avait justifié à elle seule une guerre ouverte entre les hommes et les semblables de Ravenloft. Le prêtre se tenait maintenant en face du comte et l'invectivait tout en brandissant le symbole de sa profession: "Vade retro Satanas! Retourne d'où tu viens, engeance de l'enfer, créature du démon. Crains la colère de Dieu car il n'y aura aucun pardon pour toi et les tiens!"
Le prêtre ne finit jamais sa diatribe. Il vola à deux mètres, la gorge ouverte. Boris se frotta la main droite. Ses ongles étaient ensanglantés. De nouveau, il était très calme et ses lèvres avaient retrouvé le sourire. Il se tourna vers le lieutenant, lequel était figé, surpris par ce qui venait de se passer.
-"Bon, voilà qui est fait. Voyez vous, lieutenant, je n'ai jamais pu supporter ces gens, qui vous jugent sur des erreurs commises par certains de vos semblables. Cet homme semblait me confondre avec un lointain cousin de Transsylvanie. Mais de même que vous n'avez rien à voir avec un être comme Gengis Khan, ou encore Raspoutine, je n'ai rien de commun avec Dracula et ses Hordes. Dracula n'était qu'un usurpateur. Moi, je suis un vampire de la plus haute lignée. Aussi, vous proposé-je un marché: vous partez tous sains et saufs, tout de suite, et vous me laissez la jeune femme."
Le lieutenant était totalement abasourdi. Il était confronté à un fou psychopathe et mythomane. Il se força à rester calme, tout en priant que ses hommes suivent son exemple.
-"Bon. Alors? Le marché me semble assez convenable, non?
-Crève, charogne!"
Le seconde classe Meyer avait craqué et avait sorti son laser et tiré presque à bout portant sur Boris. Un hurlement de rage avait accompagné la disparition du comte. Ce dernier se matérialisa cinquante mètres plus loin. Se yeux étaient rouge sang avec des reflets violets, signe d'une colère intense. Nul ne se moquait de Ravenloft sans être payé de retour. Il sourit lorsque les chiens se lancèrent dans sa direction. Alors que ceux ci avaient parcouru la moitié de la distance le séparant d'eux, il se transforma. Les bêtes étaient dressées pour tuer et avaient sillonné toutes les galaxies aux côtés de leurs maîtres. Mais, pour la première fois, elles connurent la peur. En face d'eux se tenait un loup géant au poil noir comme une nuit sans lune. Ses babines retroussées découvraient des crocs jaunâtres d'où suintait un liquide brun. Les yeux semblaient constitués de feu ardent et l'haleine du monstre sentait le souffre. Sans un bruit, il attaqua, rapide comme l'éclair. Deux chiens tombèrent: le premier avait la gorge tranchée, le deuxième se tordait de douleur sous l'effet du poison qui envahissait ses veines. Ravenloft poursuivit sa route vers le groupe des soldats. Sans qu'ils aient pu réagir, il les atteignit et broya la tête de Meyer dans ses mâchoires puissantes. Il se dématérialisa lorsque le feu nourri des lasers se déclencha.
Ravenloft poussa un hurlement en direction de ses ennemis, les narguant. Il savait qu'ils viendraient à lui et il le voulait. Ils avaient réveillé le dernier des Ravenloft et l'avaient insulté. Ils subiraient sa vengeance. Le lieutenant semblait avoir le sens de l'honneur et le sang avait coulé. Oui, ils viendraient et mourraient... sauf la fille. Ravenloft revint à la réalité lorsqu'il entendit le premier piège fonctionner. Avec un sourire, il posa son verre vide que soutenait le robot. Il se leva de son siège et se dirigea vers un mur où se trouvait une panoplie d'épées de toutes époques. Il choisit une rapière à la lame mince et effilée. Puis, il s'engouffra dans les souterrains.

Le lieutenant ne savait plus où donner de la tête. Tout ce qu'il savait c'était qu'il ne devait pas paniquer. Ravalant son envie de vomir, il jeta un oeil en direction de ce qui avait été le caporal Cross: deux jambes dépassant de dessous une énorme pierre qui encombrait tout le passage. Le groupe était maintenant séparé en deux: d'un côté, le sergent avec Millet, Keron et les chiens; de l'autre, lui-même et cinq première classe, ainsi que l'éclaireur Obadié. Heureusement qu'il avait toute confiance dans le sergent. Le lieutenant demanda à Obadié de trouver une autre voie. Celui-ci se retourna et sentit la dalle pivoter sous son pied. Instinctivement, il se laissa tomber, évitant miraculeusement la vingtaine de lames effilées qui jaillirent du mur. Lorsqu'il se releva, il considéra gravement les corps de ses compagnons. Ils étaient tous morts sans comprendre, mais lui, Obadié, avait hérité de ses ancêtres un sixième sens qui, une fois encore, lui avait sauvé la peau. Malheureusement , aucune dalle pivotante ne l'avertit de l'arrivée de Ravenloft. Il vit avec une surprise sans pareille la pointe d'une épée lui sortir de la poitrine.
Boris salua ses victimes puis essuya sa lame sur les habits du lieutenant. Il écouta les aboiements qui venaient de se faire entendre. Un rictus déforma ses lèvres. Ces idiots ne sortiraient jamais de cette partie du labyrinthe: elle n'avait aucune issue. Et lui se délecterait de leur lente agonie, en écoutant leur cris de plus en plus faibles et désespérés. Boris s'enroula dans sa cape et disparut.


Le soldat Orion montait la garde près de la navette. A l'intérieur dormait le soldat Marine. Le lieutenant lui avait fait injecter un sédatif avant de poursuivre l'autre idiot.
-"bonsoir, soldat!"
Orion se retourna surpris. Cela se mua en une terreur irraisonnée, lorsqu'il vit le fauve qui lui souriait toutes dents dehors. Toujours avec le sourire, Ravenloft se transforma de nouveau. Puis, il enleva doucement son arme au soldat, lequel était figé par la peur. D'une légère pression sur le cou avec ses doigts, Boris envoya le malheureux garde faire un tour au pays des rêves.
Marine était recroquevillée contre son siège. La vue de Ravenloft l'avait réveillée: "Va t'en monstre. Espèce de suceur de sang, qu'est ce que tu attends pour me tuer comme les autres?
Je ne veux pas vous tuer chère enfant. Aussi incongru que cela puisse paraître, Moi, Boris Slavinovitch, suis venu vous demander de poursuivre votre vie en ma compagnie."
Marine était partagée entre l'envie de rire et celle de pleurer. Un vampire amoureux. Voilà autre chose.
-"Madame, le coeur de Ravenloft ne bat plus que pour vous. Vous me servirez d'étoile et plus jamais je n’éprouverai le besoin de sortir admirer les nuits sans lune. La première fois que je vous vis, ce fut une rose que mon regard rencontra. Maintenant, c'est un véritable bouquet que j'ose salir de mon regard.
-Mais, Comte. Vous ne parlez pas sérieusement, j’espère. Vous êtes un monstre au sens propre du terme. En plus, vous êtes trop grand par rapport à moi. Et puis, non. Je n'ai pas envie de me fixer. Je voudrais plutôt m'amuser. Dans dix ans, je vous dirai peut-être oui. Mais là, c'est vraiment impossible.
-Dix ans! Mais Madame, je mourrai avant. Pensez vous sérieusement que je tiendrais dix ans en pensant à vous tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes.
-Et même si je disais oui, nous finirions par nous disputer. Si, si, je vous assure. Je ne suis pas femme à me contenter d'un seul homme. Il faut que je plaise, que tous les hommes soient à mes pieds, que je me joue d'eux.
-Alors, jouez vous de moi, s'il vous plaît."
Marine fut étonnée de voir Ravenloft se mettre à genoux et la supplier tel un enfant à qui on refuse un jouet. De toutes façons ce con allait vampiriser tous ses amants. Manquerait plus que ça.
-"Ecoutez moi, Comte. Je suis désolée mais ce n'est pas possible. En d'autres circonstances, je ne dis pas. Mais là, c'est hors de question. Bon maintenant, il faut que j'y aille. Je leur dirai que vous êtes mort et ils vous foutront la paix, d'accord?"


Boris accompagna la trajectoire de la navette des yeux. Les larmes accentuaient la blancheur de son visage. Lorsque le petit vaisseau eut disparu, il rentra lentement vers sa demeure. Il l'atteignit alors que pointait une aube qu'il aurait presque considérée comme salvatrice. L'éclat encore minime de la lumière lui brûlait déjà les yeux. Bientôt, son corps entier sentirait la brûlure maudite. Ravenloft repensa aux yeux, si grands qu'on avait l'impression qu'ils contenaient l'univers en entier. Il entra dans le souterrain et regagna la salle du trône. Il dégrafa sa cape et la laissa tomber sur le sol. Le robot serveur s'approcha de Boris avec son éternel plateau. Ravenloft s'empara d'une coupe de champagne, qu'il porta à ses lèvres par pure habitude. Puis il se dirigea vers la salle des machines. Là, il travailla pendant deux jours à programmer son rêve. Quand il eut fini, il s'allongea dans son cercueil. Les machines ronronnèrent, et une petite femme, aux yeux marrons et au charme fou, apparut devant les yeux de Ravenloft pour l'éternité.


Presque deux années avaient passé, lorsqu'une navette atterrit en catastrophe dans ce qui avait été la grand-rue du village. L'homme qui en sortit se rua dans les souterrains. Non sans quelque hésitation, la personne arriva à la salle du trône et ouvrit le tombeau. Là, il resta comme admiratif devant Boris Slavinovitch, Comte de Ravenloft. Il enleva le casque de sa combinaison, laissant s'échapper une cascade de cheveux bruns. A ce moment Marine entendit un déclic dans la direction d'une des machines. Puis un petit grésillement se déclara dans une autre machine. Toutes s’autodétruisirent l'une après l'autre. Marine ne comprit ce qui se passait que lorsque tout fut fini. Elle posa un regard hébété sur un compteur numérique, où elle lut:
PROGRAMME REVE: DURÉE 2 ANS
APRES PROGRAMME AUTODESTRUCTION
PROGRAMMES EFFECTUÉS
MERCI
Marine tourna ses yeux embués de larmes vers Boris: "Pourquoi? Pourquoi faut il que tu meures au moment où, enfin, je suis sûre de mon amour. Tu ne peux pas mourir. Tu m'entends salopard. C'est trop facile. Trop injuste...

Le dernier des Ravenloft avait rejoint ses ancêtres et, avec lui, il avait emmené l'image de celle qu'il voulait pour épouse.
Sur la petite planète, un village, le dernier, brûlait et, surveillant l'incendie, une femme était assise sur la colline le surplombant.


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