17/01/2000 - Jean-Luc Theodora
Réveil

Enfinel releva la tête lorsque le sifflement s’amplifia, accrochant aussitôt du regard la masse métallique qui se découpait sur le bleu du ciel. Celle-ci le survola rapidement, avant de se diriger vers les hautes montagnes qui occupaient l'horizon à l'ouest. Quand il fut sûr qu'aucune autre de ces bêtes ne se trouvait plus en vue, Enfinel se remit debout et, plaçant son arc en bandoulière, reprit la piste qu'il suivait depuis le matin. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas chassé -depuis le Grand Sommeil exactement- et il retrouvait avec plaisir les sensations que cela procurait. Il essaya de déterminer la direction que l'animal (visiblement un équidé d'après la forme des empreintes) avait prise, puis s'élança d'une course légère vers les montagnes qui montraient le ciel du doigt. Alors qu'il foulait l'herbe de la plaine d'une foulée longue et rapide, il se remémora le réveil des siens: le Grand Réveil. Ils ne savaient pas combien de temps avait duré leur retraite. Mais, il y avait de cela deux mois, ils s'étaient tous réveillés, se retrouvant dans un monde qui avait fort changé par rapport à celui qui les avait vus grandir. Les immenses forêts de chênes et d'ifs avaient laissé la place à des plaines entrecoupées de bosquets. Des montagnes s'étaient affaissées, alors que d’autres jaillissaient du sol. Les fleuves avaient changé de lit, remplissant de nouveaux océans, alors que les anciennes étendues d'eau avaient été remplacées par des déserts. Et, l'homme n'était plus là. En deux mois, aucun représentant de la jeune race ne s'était manifesté. La Terre appartenait aux anciens et parlait, de nouveau, leur langage.
A ce moment, le sifflement strident se fit entendre de nouveau, chassant le rêve des pensées d'Enfinel, et se solda par une énorme explosion, là-bas, derrière les montagnes.


Enfinel contempla la ville qui s'offrait à sa vue. Il avait traversé la plaine, franchi les montagnes et avait enfin découvert ce qui s'étendait au-delà: un immense désert, là, où, jadis, se trouvait le bois d'Efin Naia , là, où la légende situait le Premier Eveil. De plus, en plein dans son champ de vision, d'immenses tours se dressaient, lançant des reflets aveuglants vers le ciel. De gigantesques boucliers couronnaient leurs sommets, dont les ombres s'étendaient au-dessus des habitations basses qui rampaient dans le désert. Le spectacle avait une beauté glaciale, une étrangeté qui choquait le coeur et l'âme, l'emplissant d'une émotion trouble. Ceci était l'oeuvre d'une race inconnue d'Enfinel. Cela rappelait le travail de la race de Khuzdul de part la perfection des constructions, mais il y avait, aussi, une beauté que, seuls, les premiers fils savaient, jadis, reproduire. Enfinel remarqua, alors, un immense cratère à la limite Est de la ville et s'y dirigea, l'esprit rempli d'une curiosité nouvelle. En s'en approchant, il nota que des traînées noirâtres s'étendaient en couronnes tentaculaires vers la périphérie du cratère. Le sable y était remplacé par une sorte de verre, preuve qu'une chaleur intense avait changé la nature du sol.


Arn 53 était dans la salle de communication, scrutant la plaine, en attendant la réponse du vaisseau amiral. Il leur avait signalé son crash, ainsi que la perte totale de son appareil. D'ailleurs, il ne comprenait toujours pas comment cela avait pu arriver. Les chasseurs AB6 étaient très fiables et adaptés à l'atmosphère terrestre. De plus, il n'y avait eu aucun indice permettant de prévoir l’accident. Tous les voyants s'étaient allumés avant que l’ordinateur ne puisse lui envoyer de signal d'alarme, par l’intermédiaire des sensors auxiliaires.
Arn attendait donc qu'on vienne le chercher, lorsqu'il reçut le spot sur son télé-écran. Il brancha ses jumelles sur longue distance, dirigeant ses récepteurs vers les montagnes qui se découpaient à la limite du désert. Ce qu'il nota le plongea aussitôt dans une surprise énorme, amenant ses mémoires à débiter des informations idiotes, sur des propos aussi inutiles que déplacés. Il passa en mode analytique deux et compara ce qu'il détectait par visionneuse avec ce que son télé-écran lui apprenait. Il réussit à visionner, correctement, la silhouette qui s'approchait du point de chute. Elle était très élancée et avait, tout à fait, forme humaine, mais l'aura qu'elle dégageait était bizarre, inconnue dans l'ensemble de la galaxie. Arn attendit que l'être arrivât au cratère avant de le prendre sur ses sensors organiques et empoigna une paire de jumelles mécaniques (qu'il avait toujours sur lui), tout en pestant contre le côté archaïque de l'objet en question. Il vit alors un visage pâle aux traits extrêmement fins (rappelant ceux des Alphans) , des yeux obliques et des oreilles se terminant en pointe. La chevelure, noire comme le jais, était retenue par un bandeau de métal, sur lequel brillait un joyau. Le reste du corps était recouvert d'habits de couleur gris vert, complètement démodés, de même que la cape qui tombait jusqu'aux bottes de l'homme. Celles-ci rappelaient celles qu'il avait vues dans une mémoire de la banque N.3 de Centauria. Enfin, comble de l'étonnement, l'individu portait, à sa ceinture, quelque chose ressemblant étrangement à une épée, de même qu'il portait un arc et un carquois, rempli de flèches, à l'épaule. Arn se rua aussitôt vers la banque de la tour et en conclut, après information, que les hommes n'avaient pas tous quitté la Terre, quelques 5300 ans auparavant et que leurs congénères étaient retournés à l'état sauvage: civilisation de type 2. Lorsqu'il retourna dans la salle de télécom, l'être se dirigeait vers les montagnes. Arn ne put s'empêcher d'admirer la souplesse de sa course.


Centauria était le centre du système 3. C'était là que les conseils décidaient, chacun dans son domaine, de la politique à prendre. En fait, c'était là que résidait le gouvernement galactique, à la tête duquel Arhur II décidait du sort de la moindre planète de l'empire humain: appellation qui recouvrait tout l'univers connu, puisque les hommes étaient les seuls navigateurs d'origine. Les autres races avaient été élevées, peu à peu, au rang de navigateurs par les humains qui les avaient, ainsi, intégrées à leur mode de vie, avortant tout rejet culturel. Certaines races s'étaient découvert des dons pour la navigation, alors que d'autres s'étaient confortées dans une vie terrestre, héritant du nom de rampants. Ainsi, l'homme était devenu la norme de l’espace, faisant tout pour affermir sa position, en adaptant une forme féodale de gouvernement: l'espace était découpé en une multitude de royaumes dirigés par les hommes et tout citoyen de l'empire devait allégeance au Seigneur Arhur II, en cette année 4030 de la Grande Ere.
Arn 53 attendait depuis cinq heures dans la petite chambre. Ses yeux fixaient le mur où une peinture représentait le château d'Akryn III, le frère de l'Empereur. Même si l'appellation de frère ne convenait pas tout à fait, car il était assez visible qu'Akryn n'était pas entièrement d’origine humaine.
C'est à ce stade de ses réflexions qu'un planton introduisit Arn dans le bureau du Général de la Flotte Interspatiale des Eclaireurs de l'Empire (FISÉE).
Deux heures plus tard, il en sortait pour se diriger directement auprès du second conseiller impérial, qui devait prévenir son conseil d'urgence.
Ainsi, comme Arn l'avait supposé, les nouvelles, qu'il amenait, allaient faire bouger une administration qui s’enlisait dans des paperasses et des protocoles depuis, déjà, deux millénaires. Ils devraient chercher de nouvelles solutions, afin d'affronter un problème auquel nul ne s’attendait. Sauf, peut-être...
"D'ailleurs, j'irai sûrement te voir vieillard, sûrement!" Pensa Arn.


Quelques jours plus tard, un chassé-croisé incroyable se produisait, dans le système alpha des Soleils Noirs, entre un petit vaisseau de croisière (normalement) et trois navires de chasse de l'Empire. Ahnflitz était préposé aux deux ordinateurs de navigation grâce auxquels il arrivait à prévoir, plus ou moins, les trajectoires de leurs traqueurs à partir de données aussi nombreuses que compliquées. Ceci était, normalement, impossible. Seul, le capitaine d'un vaisseau devrait connaître la course de son vaisseau, puisqu'il en était à l'origine. Mais Ahnflitz s'était découvert ce don, un jour qu'il allait se faire coincer par "le Marteleur", le chasseur le plus rapide et le plus maniable de tout l'Empire. Depuis lors, Ahnflitz avait offert ses services à Conrad. Ce dernier travaillait pour Sluuck, lequel était propriétaire d'un commerce de fraude qui, bien que petit, rapportait beaucoup à son instigateur ainsi qu'à ses associés. C'étaient d'ailleurs eux qui prenaient les risques dans l'espace, tentant d'échapper aux chasseurs et aux patrouilleurs; alors que Sluuck s'occupait d'écouler la marchandise au nez et à la barbe des impériaux. Sluuck était le plus grand menteur de tous les temps, le plus persuasif, le plus conciliant et, si nul ne savait, comme lui, faire la carpette en cas de coup dur, ses colères restaient, en dépit de tout, les plus effroyables qu'on n'ait jamais vues.
Ainsi, Sluuck & Cie faisaient fortune contre le gré de l'Empire, qui était sensé avoir le monopole du commerce interplanétaire.
Ahnflitz détermina que "le Croisé" et "le Minotaure" allaient tenter de les coincer alors que "l'Eternel" allait couper leur route après un passage en DIM2, d'une durée de 3 nanosecondes. Il tourna ses appendices oculaires vers Saahn, qui régla ses manettes à une allure folle, plongeant le vaisseau, vers la planète la plus proche, de toute la vitesse dont il était capable. D'abord surpris, les chasseurs se lancèrent aussitôt à sa suite. Conrad, capitaine du navire pirate, était aux anges. Une fois encore, il allait avoir ces gros cons. Aussi, pour fêter l’événement, s’empara-t-il d'une bouteille de vieux scotch et se remplit-il le plus grand verre qu'il put trouver dans sa cabine.
Le choc fut brutal, culbutant marchandises et occupants du vaisseau dans tous les sens.
Un rugissement jaillit d’un haut-parleur, couvrant le hurlement des sirènes: "Saahn! Chaton de l'enfer! Quand on arrive à terre, je te vire de mon vaisseau, après t'avoir arraché les oreilles!
- Alerte! Alerte! Capitaine on s'est faits baiser... "Le Marteleur" et "l'Oiseau de Rigel" s'étaient embusqués.."
Oliver, le mousse du vaisseau, protégé de Conrad, était au bord des larmes. Même Coco, son perroquet, n'avait rien senti. Pourtant, il était assez surprenant dans ce genre: prévoir les catastrophes quand tout allait bien.
-"Ahnflitz, nom de Dieu, réveille toi, sinon on est foutus. Ahnflitz! Vermisseau de mes fesses! Je maudis tes entrailles et tous tes descendants! Répond moi, bordel! Ahnflitz..."
D'impitoyable, le ton était devenu gémissant. Conrad ne savait plus quel dieu prier. Son vaisseau avait accusé 5 coups de canon à pression et la cale déversait sa marchandise dans l'espace.
Saahn faisait danser "Mirabelle" avec une dextérité sans pareille, lui permettant d'éviter le plus de bordées possibles. Mais, tant qu'Ahnflitz n'aurait pas fourni les données nécessaires, leurs chances de s'échapper seraient au zéro absolu.
/// Conrad, ici Ahnflitz /// mal /// mal
-"Ahnflitz, on est dans la merde, qu'est ce que..."
L'explosion creusa "Mirabelle" en son milieu, investissant son sein: la destruction intervint. Dans un dernier soupir, les moteurs se turent et le cadavre de "Mirabelle" s'en alla à la dérive.


"Ici Arhur. Je vous remercie, messieurs, pour cette petite chasse. Il est cependant dommage qu'un pilote, comme celui à qui nous avons eu à faire, ne soit pas des nôtres. Enfin, c'est la loi du sport, n'est ce pas? Cependant, nous serons beau joueur et vous ordonnons de laisser cette épave dans l'état. Ainsi, s'il y a des survivants.. Et bien, tant mieux pour eux. Et pour nous: cela nous donnera, à l’occasion, une nouvelle chasse, tout aussi passionnante. Bon, le travail avant tout, n'est ce pas. Direction la terre messieurs. Over!"

Arn regarda le paysage désolé, qui s'étendait à l’infini, et pensa que, seuls, de rares individus pouvaient réussir à survivre ici. Quand à s'y faire c'était autre chose; il fallait aimer la solitude. Arn, lui, savait apprécier la beauté de cette plaine, avec ses dunes qui s'écroulaient et surgissaient sans aucun avertissement. Le soleil rouge sang éclairait le tout d'une luminosité qui n'existait nulle part ailleurs. Ça et là, quelques plantes opéraient une tentative, afin de monter vers le ciel et, pour chacune d'elles, il existait une faune minuscule d'une richesse incroyable. Tout cela était invisible aux yeux du néophyte, mais Arn connaissait cette nature. C'était il y a longtemps.. Mais cela appartenait au passé à présent. Maintenant, il s'appelait Arn et ses préoccupations avaient changé... Jusqu'à ce qu'il s'écrase sur Mère Terra. Revenant à son souci principal, Arn scruta la paroi, qui s'élevait devant lui, projetant ses sens à l'extérieur. Il trouva, enfin, ce qu'il cherchait et, rajustant ses lunettes, il se mit en marche vers le mur.

Le vieil homme était assis dans le noir. Seule une couverture habillait le sol de la grotte. Les murs étaient nus, à part deux chandelles qui s'étaient éteintes depuis longtemps.
-"Bonjour Sloon'orthn! Cela fait très longtemps, mais tu es le même en dedans.
-Merci, Grand Maître, Mémoire du Désert. Tu es le coeur de l'Eternel et tes paroles sont les siennes. Depuis cinq jours que je suis là, je t'ai ouvert coeur et âme, rejetant la peau en faveur de la chair. Pourtant, je ne saurais dire lequel, de l'ancien ou du nouveau, a besoin de toi."
Arn se tut, laissant le silence reprendre ses droits. Il se leva et alla chasser. Il faudrait à manger quand l'Ancien se réveillerait, dans deux jours.

Il ouvrit les yeux, fixant les reflets métalliques que la lumière du soleil allumait sur le corps de son disciple.
-"Tu as bien changé en extérieur, mon fils. Mais, l’esprit qui t'anime est encore celui que j'ai eu le plaisir d'éduquer, celui de Sloon'orthn, le plus grand guerrier de sa race. Puissent tes ancêtres louer ton nom de nouveau!
-Il est vrai Grand Maître." Sa voix tremblait à cause du compliment. "Mais le guerrier est devenu esclave. C'est une autre guerre que je mène et elle arrive à son terme: ils sont de nouveau là!
-Je sais, mon fils, je sais. Aide-moi à me préparer; il est temps."

Enfinel fixait la silhouette, qui se tenait sur la route devant lui. Elle dégageait une aura de puissance qui inciterait plus d'un à prendre la fuite, bien qu'elle fut d'une taille inférieure à celle de l'Elfe. Enfinel déposa son arc et ses flèches sur la route, puis, sortant sa lame de son fourreau, il la ficha en terre. Alors, il s'avança vers sa rencontre, en montrant ses mains, paumes offertes et doigts écartés. A ce moment, l'autre rejeta sa capuche en arrière, découvrant un heaume étincelant d'où jaillissait une barbe noire comme la nuit. La cape tomba par terre, révélant une cotte de mailles. Une hache pendait au côté droit alors que le pommeau d'une épée large était visible dans son dos. Le guerrier émit un grognement et lâcha le marteau de guerre, qu'il tenait de la main gauche. Alors, il parla: "Bonjour à toi, Enfinel! Je croyais que les magiciens dormaient toujours. Mais je vois que vous êtes aussi inconscient que dans le passé, hein!
-Cher Gruchnach! Tu sais très bien que je te reconnaîtrais, même caché sous une montagne, alors une simple cape!
-Mmhh!"
Le nain enleva son heaume, visiblement dépité de ce que son déguisement n'ait eu l'effet désiré. Mais, lui lançant un clin d'oeil, il s'élança vers son ami et le serra dans ses bras. Cependant, il ne cessait de jeter des regards soupçonneux vers les taillis qui bordaient la route. Repérant son manège, Enfinel se souvint, soudain, qu'il était le seul de sa race auquel son ami ne prêtait aucune mauvaise intention.
-"Tu peux te rassurer, vieux bouc! Je suis seul et je n'ai encore vu personne à part toi dans ce coin-ci.
-Ouais! C'est ce qu'on dit toujours, jusqu'à ce qu'un malandrin ne pense à faire des siennes. D'ailleurs, je te dirai que tu ferais mieux de ramasser tes armes, parce que tu n'es plus aussi vif qu'avant: quelqu'un ou quelque chose se cachait déjà dans ces fourrés à ta droite, avant que tu n'arrives. A moins que tu ne veuilles qu'on se batte, comme ça, tout en s'embrassant. Pour ma part, je n'ai pas bu une seule goutte de bière depuis mon réveil et j'ai la gorge sèche. C'est mauvais, pour mourir, que d'être déshydraté; et tu le sais aussi bien que moi!"
Enfinel éclata de rire devant les propos du Nain, tout en se baissant pour ramasser ses armes. A cet instant précis, quelque chose jaillit des fourrés à une vitesse telle que, ni Enfinel ni Gruchnach, n'eurent le réflexe de se défendre. Enfinel se retrouva à deux mètres de ses armes, le bras gauche engourdi par un coup de masse d'armes, pendant que Gruchnach, sa hache dans la main droite, tentait de parer à la furie qui l'assaillait avec une fougue incroyable.
Enfinel cligna des yeux: il pensait que ceux-là ne s'étaient pas réveillés. Mais il est vrai que, jusqu'à aujourd’hui, les Premiers Etres croyaient être les seuls à fouler de nouveau la terre de leurs semelles et pourtant Gruchnach était là, ainsi que cette chose. Il était donc possible que tous se soient réveillés. Par conséquent, les Premiers Etres s'étaient conduits comme des imbéciles, puisqu’ils ne s'étaient tenus sur leurs gardes à aucun moment, confiant leur vie au hasard. Pendant ce temps, Gruchnach avait été acculé contre un arbre et parait difficilement la pluie de coups qui s'abattaient sur lui.
Enfinel rampa silencieusement vers ses armes, puis se redressa lentement, tout en engageant une flèche sur son arc. Il attendit pour la tirer, d'être sûr que Gruchnach ne se mette dans son champ. Leur adversaire, ayant trouvé une faille, allait porter le coup fatal au Nain, lorsqu'un sifflement strident se fit entendre dans le ciel bleu azur, troublant le Nain et son agresseur. Leur hésitation ne dura qu'une seconde, temps durant lequel Enfinel lâcha son trait, qui se ficha dans la nuque de l'inconnu. Hébété, Gruchnach regarda alternativement Enfinel et la forme, étendue par terre.
-"Qu'est ce.." bredouilla-t-il.
-"Un orque, un sale orque. Ce qui veut dire que les batailles vont reprendre mon cher ami. Il est dit qu'à chaque fois que nous nous rencontrons, une bataille est prévue par les Dieux; nous devons prévenir les nôtres. Nous devons allier la magie des Elfes et la science des Nains dans la pratique des armes. Mais je me souviens d'un temps où cette chose n'aurait eu le temps de sortir de ce fourré que le temps de mourir. Nous vieillissons cher ami, nous.."
Enfinel s'écroula en se tenant l'épaule gauche. La tête lui tournait et, devant ses yeux, des étoiles scintillaient sur un ciel noir. Gruchnach se précipita vers son ami et le soutint en position assise: "Qu'y a-t-il ami?
-Mon épaule doit être démise. Le coup de masse était plus fort que je ne l'aurais cru et j'ai forcé en tirant cette flèche.
-Oui, mais une fois de plus, tu m'as sauvé la vie. J'ai encore une dette envers toi, magicien.
-Je t'ai déjà dit que je n'étais pas magicien, et puis..
-Oh! Vous autres êtes tous pareils! Dès qu'on met votre jeu à jour, vous vous écriez comme si votre vie était en danger!
-C'est exact, ami, mais ceci est dû au fait que le pouvoir du magicien dépend aussi de la réceptivité des gens. Plus il méconnaissent nos possibilités, plus leur peur de nous est grande. Ainsi, nous respectent-ils et sauvons-nous notre peau, alors que notre situation devrait être désespérée. De plus Gruchnach, aucune dette n'est de vigueur entre nous. Nous nous sommes sauvé la vie tant de fois que, pour ma part, j'en ai abandonné le compte depuis fort longtemps.
-Oh! Je vous ai sauvé la vie, moi? Ce devait être par hasard! Mais, je vous dois une dette, ami et je m'en acquitterai, dussé-je affronter tous les orques du monde! Quel beau combat ce serait! Mon nom serait inscrit sur les tablettes des fils héroïques de Khuzdul! Et, par ma barbe, je donnerais cher pour cela, oui, très cher!"
Gruchnach se perdit dans des rêves de guerres où les Nains, lui en tête, semaient la terreur, le désordre et la mort dans les rangs d'un ennemi dix fois supérieur en nombre.
Enfinel, s'étant remis de son malaise passager, ramassa ses armes puis, après s'être assuré qu'ils étaient bien seuls, entreprit de fouiller leur agresseur. Il se félicita, d'avoir daigné toucher à cette maudite engeance, quand il trouva le bracelet. Il se demanda ce qu'un pareil objet pouvait bien faire sur un orque. Il étincelait au soleil comme si toute la lumière y convergeait. L'Elfe glissa sa trouvaille dans une de ses poches, tout en se promettant de l'analyser plus tard. Puis, il secoua Gruchnach, le ramenant à la réalité et tous deux se dirigèrent vers la demeure des Elfes, non sans quelques remarques désobligeantes du Nain à-propos de la folie des frères de race d'Enfinel, ainsi que de leur goût immodéré pour la magie.


La masse de ferrailles dérivait dans l'espace. Ce qui avait été l'orgueil de Conrad, n'était plus qu'une épave trouée, d'où presque tout l'oxygène s'était échappé.
Conrad se frotta le crâne puis, se souvenant des faits, inspecta les différentes parties de son anatomie. Enfin, ayant conclu qu'il n'avait rien à part quelques contusions, dont une énorme bosse derrière l'oreille, il se précipita vers l'interphone de secours: "Ahnflitz! Saahn! Oliver! Coco! Ici le capitaine! Etes-vous en vie? Répondez-moi!"
Seul un grésillement lui parvint en réponse. Il était seul à bord. Il avait eu de la chance que sa cabine n'ait pas été trouée, et que les systèmes de sécurité l'aient isolée du reste du vaisseau. Conrad enfila fébrilement sa combinaison spatiale, puis se rua vers le poste de commandes, lâchant jurons et larmes en voyant ce qui était advenu de son "Mirabelle". En chemin, il trouva Oliver et son perroquet dans une partie ouverte au vide. Oliver s'était attaché dans les harnais de sécurité avec son oiseau. Tous les deux étaient morts par suffocation: leurs bouteilles d’oxygène étaient trouées. Prenant sur lui, le capitaine pensa à ses seconds qui étaient, peut-être, encore en vie et avança vers le poste de pilotage.
Il était sens dessus-dessous. Des fils étaient emmêlés sur le sol et une armoire avait embouti l'appareil de stabilisation atmosphérique. Conrad se précipita vers les commandes et vérifia qu'il n'y avait aucune fuite d'air dans la cabine. Il actionna le double verrouillage d’étanchéité, enleva son harnachement et se mit en quête du reste de son équipage.
Saahn était coincé dans son fauteuil, qui s'était écroulé contre le poste de tir principal. Conrad le dégagea et l'étendit sur le plancher de la cabine. Le chat, qui lui servait de pilote, ne bougeait plus. Pas de respiration, même très faible, et le coeur ne battait plus. Mais le corps ne présentait pas la rigidité caractéristique de la mort et le poil de Saahn était toujours lisse et brillant. Se passant la main dans les cheveux, plus ébouriffés que jamais, Conrad poussa un soupir de soulagement, puis essaya de retrouver Ahnflitz. Celui-ci s'était glissé dans son compartiment spécial et attendait qu'on l'en sorte.
Il expliqua à Conrad que quand la situation était devenue désespérée, Saahn lui avait ordonné de s'y réfugier. Mais, juste avant qu'il ne l'y enferme, "Mirabelle" avait été touchée de nouveau et le fauteuil de Saahn s'était détaché. Ahnflitz avait aussitôt ressenti la douleur de son ami et n'avait pu s'empêcher de la transmettre au vaisseau. Après, il avait perdu conscience. Son réveil coïncidait avec l'entrée du capitaine dans la cabine.
Conrad lui décrivit l'état du vaisseau, après l'avoir rassuré sur le sort de Saahn. Celui-ci s'était transposé en état second et serait, bientôt, en possession de tous ses moyens. Il attendit que Saahn soit revenu parmi eux, avant d'annoncer la mort du mousse et de son volatile. Au plus profond d’eux-mêmes, ils firent tous les trois la même promesse: venger le garnement qui mettait de l'ambiance dans ce foutu vaisseau. L'espace leur paraîtrait vide, maintenant.
Saahn fit les derniers raccords, avant d'annoncer à son capitaine que la navette de secours était de nouveau opérationnelle. Conrad mit les moteurs en marche et les trois rescapés s'éloignèrent de leur vaisseau, la larme à l'oeil. Une épave de plus dérivait dans l'espace, avec à son bord un gosse et un perroquet comme gardiens pour l'éternité.




Sur la Terre, la lune se levait.


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