02/11/2001 - Yvan Quemener
Avant poste

Bonjour, tout d’abord, permettez-moi de me présenter. Je m’appelle Fo de Fryth. Je suis un membre de l’unité d’éclaireurs des Forces Militaires Humaines. Je suis originaire de la planète Uni, aux limites de l’Univers connu. Et c’est justement en faisant reculer ses limites qu’un vol de reconnaissance m’amena à proximité (au sens astronomique du terme) d’une supernovae. Elle ne possède en fait de nom que celui qu’un astronome a dû lui donner bien avant l’ère spatiale : SVH-2105. Vu de la Terre, ou de toute autre planète, cet astre n’a aucun intérêt. C’est une boule de gaz plus ou moins en combustion comme il en existe tant dans l’univers. De colossales boules de matière qui ne semblent avoir aucun autre but que celui d’illuminer les nuits claires des planètes habitées. Et cette supernovae ne présentait pas plus d’intérêt vue de près.

Cependant, en tant qu’explorateur consciencieux, je suis resté quelques jours dans le voisinage pour l’étudier un peu plus en détails. Autrefois, (toujours au sens astronomique du terme) une géante gazeuse avait dû orbiter autour de cette novae : des nuages gazeux en témoignaient et continuaient leur lente ronde autour de ce qui a été une petite étoile très lumineuse. Leur composition ressemblait à ce que l’on était en droit d’attendre : de l’hydrogène, de l’hélium, un peu d’azote, quelques traces d’oxygène, de gaz carbonique et de soufre. À première vue rien d’intéressant : quelques milliards d’atomes dérivant autour d’une étoile sur le déclin. Spectre normal, petite émission d’ondes radio légèrement supérieure à la normale. Pas de quoi fouetter un chat.


Au bout de cinq heures, je pensais avoir appris tout ce qu’il y avait à savoir sur ce système. Au bout de trois jours j’en savais toujours autant mais cette fois je le savais par coeur. Je commençais à en avoir ras le bol et c’est alors que j’ai fait la première action constructive : je l’ai rebaptisé. Il ne s’appellerait désormais plus SVH-2105 mais Relbz, ce qui signifie "ras-le-bol" en argot Unien. J’étais en train de m’en éloigner en me félicitant de ne pas perdre plus de temps avec cet astre quand mon radar m’afficha un écho au beau milieu d’un nuage de gaz, de l’autre côté de la novae. J’avoue que, sur le moment, j’ai été tenté de faire comme si je n’avais rien vu. Cependant, je me suis rapidement rendu compte que quelque chose n’était pas normal.

Le modèle de radar que j’avais à bord, quoique de bonne qualité, n’aurait pas dû être capable de repérer quelque chose dans une telle purée de pois stellaire. À contrecœur, je fis demi-tour et, tous détecteurs en marche, je me rapprochai de cet objet. J’en étais encore à quelques millions de kilomètres de distance que j’avais déjà les premiers résultats de l’analyseur de bord. Cette ‘chose’ se situait au centre d’un nuage de gaz carbonique de forme quasi sphérique. Sa densité semblait évoquer une structure solide. Ces deux premiers résultats me laissèrent perplexe : les nuages de gaz carbonique étaient extrêmement rares et une structure solide n’a aucune raison de se déplacer au centre d’un tel nuage. S’il s’agissait d’une comète ou d’un astéroïde, le nuage aurait tout simplement été traversé, or ils se déplaçaient à la même vitesse !

Tout cela était insuffisant pour tirer des conclusions, mais une chose était certaine : quelque chose clochait. Et surtout, cela n’expliquait toujours pas comment j’avais pu détecter cet objet. Mais cette énigme fut résolue grâce à un troisième résultat ; cette chose émettait des ondes radio que mon radar avait détectées ! C’est alors que j’ai compris, ou du moins que j’ai cru comprendre. J’avais détecté la balise de détresse d’un vaisseau en perdition. La coque était probablement éventrée et évacuait le dioxyde de carbone des circuits de refroidissement. Je m’empressai alors de lui prêter secours bien que je ne me fasse guère d’illusions sur son état. Je mis néanmoins toute la gomme pour être sur les lieux le plus vite possible.


Avec le recul, je me rends compte que deux détails auraient dû me sauter aux yeux. Primo, j’étais le premier humain à visiter ce secteur de la galaxie. Secundo, les ondes radio n’étaient pas émises sur la fréquence de détresse. De toute façon, mon manque de clairvoyance fut vite compensé par l’ordinateur de bord. L’analyseur fonctionnait toujours et un troisième résultat utilisable me fut communiqué : le solide au centre du nuage était composé à 50 % de carbone. Trois secondes après ce résultat, mon vaisseau était à nouveau immobile. J’avais besoin de réfléchir. Et vite. Le carbone est la base de la plupart des structures vivantes connues et ce machin pouvait bien lui aussi être vivant. Peut-être même intelligent ! Et comme un imbécile, j’ai signalé ma présence en lui répondant sur la fréquence de secours ! Pire : mes réacteurs sont très visibles et de très loin. Je décidai d’émettre un message de position en direction de la base la plus proche qui devait être à trois années-lumière d’ici. Les ondes radio l’atteindraient en trois jours en passant par l’hyperespace. Mais en tant qu’éclaireur, je n’avais pas le droit moralement de me débiner.

Je devais aller reconnaître cet être de plus près. Je remis mes réacteurs en marche, mais plus faiblement cette fois-ci avec l’espoir de passer inaperçu. Tandis que je m’approchais, l’analyseur continuait de cracher des données : le solide, ou plutôt ‘l’être’ avait une taille d’environ seize kilomètres et une forme sphérique. Il était dense mais pas uniforme. Sa surface avait une couleur verte : de la chlorophylle. Il s’agissait donc d’une plante. L’ordi, avec une guerre de retard proposait comme identification : accrétion de comètes, n’importe quoi... Les puces de silicium n’ont jamais eu une once d’imagination. Elles ne savent faire que des analyses rigoureuses et méthodiques. La chlorophylle n’est présente que sur la couche extérieure. Logique, il faut qu’elle capte les rayons solaires. Le télescope m’a fourni une première image de sa surface, on aurait dit une pelote de laine rembobinée n’importe comment. Des fils (dont l’épaisseur moyenne était tout de même de cinquante mètres me précisa l’ordinateur) semblaient former sa structure. L’ordinateur me précisa de son ton froid “qu’une exploration en vue de collecter d’autres éléments susceptibles d’affiner l’analyse était souhaitable”. Comme si j’avais besoin de ce tas de ferrailles pour me dire ce que je devais faire. C’est là que je me rendis compte de la raison pour laquelle on m’avait accepté dans l’unité des éclaireurs : j’étais suffisamment inconscient pour obéir à l’ordinateur, j’allais atterrir.


Il faut savoir que le fait que cet être soit une plante n’excluait aucunement la possibilité qu’il soit intelligent. On a déjà découvert des cas de plantes capables de communiquer, d’attaquer d’une façon logique et aussi d’éprouver de la douleur. Aussi, je m’approchais le plus doucement possible. Je ne voulais me montrer hostile en aucune façon. Cependant, ma présence ne fut suivie d’aucune réaction de la part de la plante. L’ordinateur m’annonça enfin, à quelques dizaines de kilomètres de la surface “possibilité de vie chlorophyllienne”. Les “fibres” qui constituaient la partie extérieure de la plante étaient suffisamment espacées pour permettre à mon vaisseau de passer. Après une seconde d’hésitation, je m’enfonçai dans ces profondeurs à une vitesse très réduite. Au fur et à mesure que je m’avançai, les fibres se resserraient et, au bout d’un kilomètre, elles étaient si denses que je ne pouvais plus avancer. Le radar indiquait que la structure changeait dans soixante mètres. Je ne pouvais pas m’arrêter si près du but. Car j’avais l’intuition d’être proche du but.

J’ai donc enfilé mon scaphandre, livré avec toutes les options : pistolet à dards, scalpel laser, phares, détecteurs de tous poils, liaison radio avec l’ordinateur de bord et lance-flamme (on ne sait jamais). Avec tout ce barda, je devais bien avoir une masse de deux cents kilos, mais comme il n’y avait pas de gravité, c’était juste une petite ballade de santé. Je suis donc sorti, et je me suis glissé dans une ouverture qui permettait le passage de mon scaphandre et j’ai parcouru cinquante mètres ainsi en me faufilant où je pouvais. Mais au bout de ces cinquante mètres, les fibres étaient encore plus denses. J’ai demandé par radio à l’ordi de bord s’il détectait quoi que ce soit qui puisse ressembler à une activité cérébrale et il m’a répondu que non, il ne détectait rien. Il m’a aussi précisé que “l’objet étudié est probablement un métaorganisme unique”. Merci quand même ! Bon, alors ce truc ne semblait pas intelligent, j’ai pris le risque : j’ai découpé les dix derniers mètres au scalpel, aucune réaction, tant mieux. Je suis enfin arrivé à la deuxième couche de ce truc. Ça ressemblait à du bois verni. Scalpel. Un gros trou. Et là, rien n’aurait pu me préparer à ce que j’ai découvert.


Tout d’abord, du gaz est sorti du trou que j’avais fait. Surpris, je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’un mécanisme de défense, enfin bon, j’avais un scaphandre. Je me suis glissé par le trou et j’ai découvert une salle éclairée. Non pas une salle comme dans une grotte, mais une salle avec de beaux murs en bois bien à angles droits. La lumière provenait de racines phosphorescentes accrochées un peu partout. Et ce n’est pas tout, la pression de la pièce était suffisante pour se passer de scaphandre et l’air était respirable. Je me rendis compte que le trou que j’avais fait s’était cicatrisé et que l’air ne s’y échappait plus. Je m’étais préparé à arriver dans un milieu hostile, dans de la sève liquide ou dans des sucs digestifs. Au lieu de cela, je me retrouvais dans un endroit sûr et confortable. J’ai alors eu une réaction normale : je me suis mis à paniquer.


J’ai rouvert un trou au scalpel, je me suis précipité vers mon vaisseau en me cognant un peu partout et ce n’est qu’une fois sorti du nuage de gaz carbonique que je me suis calmé. Je suis retourné par la suite et à plusieurs reprises vers cette plante et j’ai repénétré dans son “noyau”. Tout est partout pareil : de belles salles, parfois des étagères et des fruits jaunes et orange qui poussent sur une espèce de lierre qui parcourt par endroits les salles. Et c’est ainsi jusqu’au centre et c’est vivant, des fibres aux murs, j’ai fait des analyses. De toute ma vie d’éclaireur, je n’ai jamais fait de découverte plus sensationnelle. Il est évident qu’une telle chose n’était pas le fruit du hasard. Quels architectes fous pouvaient faire une telle demeure et le laisser à l’abandon ? Je suis sûr qu’il s’agit là d’une oeuvre d’une race extraterrestre intelligente. D’après le plan de la “plante” , ils seraient relativement proches de nous. D’après la taille des ouvertures et les dimensions des salles, ils devaient en moyenne mesurer deux mètres cinquante. L’atmosphère est trois fois plus dense pour eux que pour nous, ce qui ne la rend pas irrespirable, mais un peu plus lourde à inspirer et ils avaient les mêmes besoins que nous au niveau alimentation : les fruits sont comestibles et même délicieux, je peux vous l’affirmer.


En quelques jours, j’ai compris bien des choses. Cette métaplante, comme l’appelle l’ordinateur, doit être l’objet de manipulations génétiques. Elle aurait été “semée” au beau milieu d’un nuage de gaz carbonique, nécessaire à son développement et proche d’une source de lumière suffisante à la photosynthèse. Les radiations solaires que cette plante a l’air de supporter sans problème ne sont pas un inconvénient : elle sont arrêtées par ce que j’ai naïvement appelé “bois verni” mais qui est en fait une matière complexe capable de s’auto-réparer, de laisser filtrer de l’air et de transformer les radiations solaires en chaleur qui permet ainsi de maintenir l’air intérieur au dessus de 10°C.


Cette plante est laissée ainsi sans soins, elle mûrit au soleil. Elle devrait se développer jusqu’à occuper la moitié du nuage de gaz, c'est-à-dire une centaine de kilomètres et elle y parviendra dans deux décennies. Que se passera-t-il ensuite ? Les êtres qui l’ont semée vont-ils venir l’habiter ? C’est en tout cas mon avis. Mes supérieurs m’ont ri au nez lorsque je leur ai soumis mes hypothèses et ont classé le dossier. Je voulais cependant que le monde sache que quelque part dans l’Univers, un hôtel en bois attend une race qui nous ressemble et que nous faisons semblant de ne pas le voir.

Yvan Quemener - 1996


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