27/11/2001 - Jerôme Karsz
Chasseur de têtes

Un


Quand elle avait débuté, Marion Drevet avait eu du mal à supporter tous les sarcasmes qu’endurent d’habitude les nouveaux inspecteurs à la P.J. de Paris, encore plus sournois et grossiers lorsqu’il s’agit d’une femme. Elle avait en outre mal vécu son premier mois, où le lieutenant, pour ‘’l’habituer au milieu’’, l’avait affecté à des ‘’tâches administratives’’, terme élégant désignant cafés et photocopies. Ces derniers temps, la situation s’était améliorée, même s’il y avait encore selon elle du chemin à faire. En fait, le lieutenant Durasse l’avait adjoint ce matin-là à l’inspecteur Simmons, en remplacement d’un collègue qui avait dû être hospitalisé. Pour elle, c’était en quelques sortes l’épreuve du feu qu’elle espérait. Son souci, à présent, était d’arriver à se rendre sympathique à son partenaire, dont la réputation de misogyne et de " loup solitaire " (au sens péjoratif, un ours plutôt qu’un loup), dont la mauvaise réputation, donc, était connue de tous. Elle l’avait trouvé à son bureau, en train de nettoyer son arme, ce que le règlement intérieur interdisait rigoureusement: cependant, elle se garda bien de le lui rappeler:
- Simmons? Bonjour, je suis Marion Drevet, votre nouvelle coéquipière.
-... Suis au courant...
- Hum, qu’est-il arrivé à Cohen? Le lieutenant m’a dit que ce n’était rien de grave, mais sans me donner davantage de détails, et-
- Cohen? Ce morfale a fait une crise d’appendicite, c’est tout. Si t’es prête, on va y aller. On a un macchabée qui nous attend.
C’est bien parti !, se dit Marion, quel rustre !

Simmons avait pris place au volant sans prononcer une quelconque parole, et il les conduisait maintenant au domicile de Mlle Hamouq Nadine, retrouvée assassinée une heure auparavant. Marion, assise à côté de lui, était en proie à des sentiments équivoques: d’un côté, elle était dégoûtée par ce malappris grossier et discourtois (Simmons avait allumé une cigarette qui empuantissait tout l’habitacle et avait allumé une radio qui depuis leur départ débitait des résultats sportifs) ; d’un autre côté, il dégageait une telle force intérieure, une telle assurance... Et Marion était toujours attirée par ce genre d’homme, même si elle savait que jamais ça ne pourrait coller. Elle se laissa guider sans plus rien dire à travers Paris, essayant de respirer le moins possible.
La victime était propriétaire d’un studio à Neuilly, une banlieue chic de l’ouest parisien,. A l’entrée de l’immeuble avaient été disposées des barrières de sécurité pour empêcher les badauds de pénétrer à l’intérieur, et un agent filtrait les entrées : heureusement, les médias n’étaient pas là, ou pas encore. Les deux inspecteurs durent jouer des coudes pour atteindre la porte, ce qui fut plus facile à Simmons qu’à Drevet. Une fois l’entrée atteinte, le visiteur devait composer un code pour accéder à toute une batterie d’interphones, afin que son hôte débloque une seconde porte, qui en l'occurrence était calée en position ouverte. Devant l'ascenseur se trouvaient les boîtes aux lettres des habitants de l’immeuble, et Simmons repéra celle de la victime ; il passa sa main par l’interstice qui sert habituellement au facteur à distribuer le courrier pour voir s’il y avait quelque chose dedans.
- Y a une enveloppe ou une feuille là-dedans. Drevet, tu demanderas au concierge un double de la clé pour voir ce que c’est. Le facteur n’est pas encore passé, et y a que ça dans la boîte.
Elle voulut protester, dire quelque chose, mais ne trouva rien de percutant. Cependant, elle se plaça devant la fente et y glissa sa main, plus fine que celle de Simmons. Elle en retira une feuille de papier pliée en quatre, mais n’eut que le temps de la glisser dans sa poche parce que Simmons rentrait déjà dans l’ascenseur.
Au septième, un second auxiliaire de police filtrait également les entrées devant la porte de l’appartement. Des voisins, pour la plupart d’un certain âge, discutaient entre eux dans le couloir, tentant plus ou moins discrètement de jeter un oeil à l’intérieur de l’appartement, dont la porte était grande ouverte; de dehors, il paraissait assez grand, et plutôt classe : les murs, illuminés par les rayons du soleil qui perçaient par toutes les fenêtres grandes ouvertes, étaient décorés de tableaux et de posters de cinéma soigneusement encadrés, et le mobilier était férocement design. Les policiers s’affairaient dans tous les coins, relevant empreintes, cheveux ou résidus de peau, photographiant chaque pièce sous plusieurs angles, et prenant soin, surtout, de ne rien déplacer.
Simmons s’arrêta sur le seuil, lequel offrait un paillasson sur lequel était représenté un hérisson qui disait ‘’Ecrasez-moi, j’adore ça !’’, et prévint sa coéquipière qu’ils devaient encore attendre un peu avant de pouvoir entrer: ils mettraient ce temps à profit pour interroger la femme de ménage qui avait découvert le corps. L’agent de la porte d’entrée indiqua aux inspecteurs une femme d’une quarantaine d’année, qui veillait sur serpillières, seaux et balais, attendant dans le couloir; Simmons s’approcha et se présenta:
- Inspecteur Simmons, Mlle Javilliar. Racontez-moi ce qui s’est passé, s’il vous plaît.
La femme les regardait tour à tour, et une expression de dégoût était encore visible sur son visage.
- Comme je l’ai dit à votre collègue, et elle indiqua l'agent en faction du doigt, je suis arrivée ce matin à 10h00 comme tous les lundi. J’ai sonné, et comme Mlle Hamouq ne répondait pas je me suis dit qu’elle était sortie. Je suis entrée -j’ai un double des clés-, et je l’ai trouvée comme elle est encore, là, dans sa chambre... Quelle horreur !
Tout en prononçant ces dernières paroles, la femme sentit visiblement le besoin de s'asseoir, ce qu'elle fit à même le sol en s’appuyant dos au mur, aux pieds de Simmons et de Drevet. Celle-ci s’agenouilla et lui mit la main sur l’épaule:
- Merci, Mlle Javilliar. Nous vous reverrons après avoir inspecté l’appartement. Allez boire un verre d’eau et prendre un peu l’air, et-
- Justement, les gars du labo ont fini, on dirait, coupa Simmons.

Et il tourna les talons : Marion se releva et le suivit, bon gré mal gré. Ils pénétrèrent dans l’appartement, et se dirigèrent directement vers la chambre, qu’ils avaient deviné à droite dans l’entrée.
- Oh, mon dieu, murmura Drevet entre ses dents, quel massacre...
Elle dut se retenir de ne pas vomir, à cause aussi de l’odeur pestilentielle qui régnait dans la pièce. Quant à lui, Simmons se dit simplement que le stupide paillasson, ‘’Ecrasez-moi’’, prenait tout son sens dans cette pièce-ci, plutôt que dans l'entrée.


Deux


Le bureau du lieutenant Durasse était toujours impeccablement ordonné. A côté du téléphone, il y avait deux cadres avec des photos, une du lieutenant avec sa femme et l’autre de deux adolescents boutonneux riant bêtement. Derrière lui, des médailles étaient encadrées, ainsi que des avis de recherche. A chaque fois qu’elle entrait dans ce bureau, cependant, Marion avait le regard attiré par autre chose : une photographie en noir et blanc sur laquelle Durasse et un autre homme souriaient bêtement. Elle ne savait pas bien pourquoi, mais Marion avait devant cette photo comme une impression de déjà vu. Pourtant, elle ne reconnaissait ni les lieux, ni la personne avec qui Durasse avait posé. Elle aurait pu tout simplement demander à son patron, mais elle n’était déjà pas dans les bonnes grâces du Lieutenant. " Rudasse ", comme il était surnommé, était assis à son bureau, et avait invité ses deux enquêteurs à s’asseoir :
- Alors, qu’en est-il?
Durasse s’était adressé à Marion, dont il se demandait très visiblement si elle était assez préparée pour aller sur le terrain, avec Simmons, en plus; ce dernier s’était assis dans un des deux fauteuils de la pièce réservés aux visiteurs, et avait l’air perdu dans ses pensées.
- Lieutenant Durasse, nous ne savons pas encore grand-chose de ce qui s’est passé, mais nous avons déjà plusieurs pistes, répondit Drevet. La victime, Nadine Hamouq, 34 ans, a été attachée et bâillonnée sur son lit, et... on l’a... on lui a fracassé le crâne avec un objet contondant, un marteau ou une masse. Jusqu’à ce que soit une vraie bouillie. Ensuite, on a posé une bougie à l’intérieur de... à l’intérieur de son crâne. Comme elle était consumée, et que la cire à par endroits coulé, nous somme pratiquement certains que la bougie a été allumée après avoir été déposée.
Marion avait ménagé l’effet de surprise, mais manifestement, le Lieutenant était déjà au courant, ou alors il en avait vu d’autres. Quant à elle, rien que de repenser à ce qu’elle avait vu dans cette chambre lui nouait l’estomac... Elle reprit son rapport:
- Nous avons fouillé l’appartement de fond en comble, et découvert des éléments intéressants: une somme de presque 180.000 francs en liquide répartie en plusieurs cachettes, trois armes à feu et des cartouches. L’argent n’était pas très bien caché, il semblerait que l’assassin n’ait rien volé du tout.
- Et bien ! Il semblerait que cette Mlle Hamouq appréciait les bonnes choses !
- Nous avons vérifié, elle n’avait pas de casier judiciaire.
- Hum... Quelles sont les pistes envisageables?
- D’une part, nous attendons les différents rapports: autopsie du corps et balistique, pour les armes trouvées sur place. Ces analyses nous donneront sûrement de nouvelles pistes. Mais d’autre part, nous sommes actuellement à la recherche de son compagnon, un jeune homme d’une trentaine d‘années, d’après les photographies que nous avons pu trouver dans l’appartement. Nous avons interrogé la femme de ménage, la gardienne et les voisins, et d’après eux, ils se fréquentaient depuis quelques mois et il venait souvent chez elle et y passait parfois plusieurs jours. Dans la boîte aux lettres, nous avons trouvé un pli qu’il lui a écrit. Le voici:


Nadine,
J’ai besoin de te voir. A Nation mardi à 12h00.
Ramène-moi de l’argent, et si tu ne peux pas venir fais comme d’habitude.
Tu me manques.
MS


- On a pu relever des empreintes sur l’enveloppe, elles sont en cours d’analyse. Le problème, c’est qu’il nous est impossible de savoir plus précisément où aura lieu le rendez-vous.
Durasse se tourna vers Simmons, qui semblait toujours absorbé par ses pensées:
- Oh, Simmons ! Réveillez-vous, un peu ! Qu’en pensez-vous?
- Je pense qu’effectivement, il serait bon de mettre la main sur ce jeune homme, mais je ne crois pas qu’il soit pour quelque chose dans ce meurtre.
- Ah ah, et pourquoi ça?
- " Réfléchissez, patron. ". Simmons surprit Marion à parler de cette manière à leur patron : il semblait s’adresser à un garçonnet récalcitrant. " D’une part, et ce n’est pas la moindre, cet homicide ne ressemble pas du tout aux crimes passionnels classiques. Un amant éconduit ou jaloux tue parfois, mais pas de cette manière. En plus, selon les témoignages que nous avons déjà recueilli, la victime est rentrée chez elle pour la dernière fois dimanche, en fin d’après-midi. Le corps a été retrouvé lundi matin. Elle a donc été tuée dans l’intervalle, soit entre dimanche après-midi et lundi matin. Le mot, lui aussi a été déposé dans l’intervalle, puisqu’on peut penser que la victime a vérifié sa boîte aux lettres en rentrant chez elle le dimanche. Donc, si le beau gosse avait flingué sa copine, pourquoi aurait-il mis cette enveloppe? Juste pour nous dire qu’il était dans les parages à un moment possible du meurtre?
- Oui oui oui... C’est juste. On a vraisemblablement à faire à un malade mental… Cependant, toute cette histoire d’enveloppe sent mauvais, à propos du petit copain : pourquoi n’est-il pas monté chez elle directement? Pourquoi prendre la peine de prendre un rendez-vous à l’extérieur, alors qu’il est en bas ? Surtout que le mot laisse penser que c’était urgent… Est-il possible que " MS " vienne voir sa copine, laisse un mot dans la boîte aux lettres, se ravise, retourne chez elle, et là, pour une raison ou une autre, il devient fou et la tue ?
- Je ne sais pas, mais effectivement, c’est plutôt bizarre. En tous cas, rien chez la victime ne nous a permis de savoir où M.S. se trouve actuellement. Je vais retourner avec Drevet chez elle, jeter un coup d’œil.
- En attendant, le rendez-vous est pour demain. Alors, au boulot ! Je veux monsieur M.S. ici, assis à votre place, dans 24 heures ! Vous avez de la chance que l’affaire ne soit pas passée aux informations, alors profitez-en !
Drevet, au moment de sortir, indiqua au lieutenant que même s’ils n’appréhendaient pas " l’homme-mystère " le lendemain, il suffirait d’installer une souricière chez Hamouq : ce ne serait alors qu’une question de temps. Durasse la regarda quelques instants et se rassit avec un haussement d’épaules. Sans rien dire.
Merde, c’est vrai que c’est un peu nul comme argument, , se dit Marion . Si c’est lui qui a fait le coup, on n’est pas prêt de le revoir à Neuilly… Le vieux principe selon lequel l’assassin revient toujours sur les lieux de son crime : un truc de romancier pour permettre aux gentils d’attraper le méchant...
Les deux inspecteurs rejoignirent leurs bureaux. Drevet occupait donc celui de Cohen, et avait dû le nettoyer de fond en comble pour pouvoir travailler confortablement : elle avait par exemple jeté avec dégoût des paquets entiers, mais périmés, de petits gâteaux, et même une boîte de cassoulet en conserve... Qu’est ce que ça pouvait faire à cet endroit, c’était un mystère, sauf si elle trouvait prochainement un camping-gaz, ce qui n’était pas complètement à exclure...
La journée se terminait lorsque les premiers rapports arrivèrent. Ils confirmaient tous la même chose : le compagnon de Nadine Hamouq n’était autre que Michel Santino, un braqueur en cavale depuis plusieurs années. Les inspecteurs chargés du dossier leur fournirent des photos du malfrat, et effectivement, il s’agissait bien du même homme. Par ailleurs, les analyses balistiques montrèrent que les armes trouvées à Neuilly avaient déjà servi dans différentes affaires de braquage. Apparemment, Hamouq et Santino se fréquentaient depuis plusieurs mois, et la jeune femme connaissait parfaitement la situation de son ami, vu ce qu’on avait trouvé chez elle. Le problème, c’est que ça ne disait pas où habitait le fuyard quand il n’était pas chez elle. Simmons ne le croyait pas coupable du crime sur lequel ils enquêtaient, mais d’une part ils pourraient les aider en leur donnant des renseignements, et d’autre part, il restait un individu dangereux qu’il fallait stopper le plus rapidement possible.


Trois


Le lendemain matin, Simmons arriva de bonne heure. Depuis la veille, quelque chose l’intriguait dans le dossier de la victime : il avait omis de l’emporter chez lui, comme il le faisait d’habitude, et n’avait pu fermer l’œil de la nuit. Après avoir vérifié, il arriva à la conclusion que Hamouq n’avait pas de voiture, ni même le permis de conduire. Comme on n’avait trouvé ni carte orange ni tickets de transports en commun dans tout l'appartement (et, lorsqu’une personne utilise des tickets, il y en a fréquemment un peu partout), deux possibilités seulement restaient possibles : ou bien elle comptait prendre un taxi pour se rendre à son rendez-vous, ou bien quelqu’un devait l’y emmener. Si tant est que ce fut un véritable rendez-vous, et pas un code désignant tout autre chose. Un excès de prudence, peut-être? Il commença une longue série de coups de fil.
Lorsque Drevet arriva à son tour, elle aussi avait réfléchi une bonne partie de la nuit. Elle comptait proposer à Simmons de mettre des agents en civil un peu partout dans les couloirs du métro, avec des photos de Santino: recherché par la police, en manque d’argent, il ne viendrait sûrement pas en taxi. Simmons ne lui laissa même pas le temps de parler, et l’entraîna à toute vitesse vers la sortie du commissariat:
- Cours, je te dis ! Allez, magne !
Ce n’est qu’une fois installé que Simmons lui fit part de ses conclusions: jamais aucun taxi, du moins des grandes compagnies, n’avait transporté une femme correspondant au profil de Hamouq, de son domicile vers un quelconque point de Paris. Donc, sûrement avait-elle demandé à quelqu’un de confiance de la déposer à Nation, peut-être même à l’endroit précis du rendez-vous avec Santino? Il était onze heures moins le quart, il n’y avait pas une minute à perdre, car le trajet Neuilly-Nation avoisinait les 45 minutes.
Ils arrivèrent sur place à 11h10. Sur le chemin, Drevet avait cependant insisté, passé outre l’avis de Simmons et obtenu de Durasse que des agents en civil soient déployés dans les couloirs du métro ainsi qu’au centre de contrôle du trafic de Chatelêt, où des écrans retransmettaient tout ce qui pouvait se passer dans la station.
L’immeuble de Hamouq avait retrouvé son anonymat : les jeunes cadres dynamiques se rendaient à leur travail, les vieilles dames à leur marché, des gamins flânaient avant d’aller à l’école. Marion et Simmons s'arrêtèrent juste devant le porche, et l’attente commença.
11h20.
11h30. Simmons commençait à s’impatienter : il trépignait et consultait sa montre toutes les 30 secondes. La rue était peu fréquentée, et surtout par de vieilles dames promenant des caniches au poil ras.
11h40. ‘’Si elle devait être à midi à Nation, personne ne viendra plus, maintenant’’, soupira Drevet. Simmons paraissait crispé, et scrutait tous les véhicules et piétons qui passaient dans la rue.
- Drevet, au lieu de discutailler sans cesse, demande par radio le nom du propriétaire d’une R5 immatriculée 2409 BV 77: ça fait au moins deux fois qu’elle passe et- oh; Et puis laisse tomber, on est deux, ça suffira bien: tiens, la revoilà; couvre-moi si y a du grabuge !
A ce moment, Simmons démarra et plaça le véhicule en travers de la chaussée, barrant ainsi le passage à la Renault, qui s’arrêta pour la laisser passer. Le conducteur ne sembla pas comprendre le but de la manœuvre tout de suite, jusqu’à ce que Simmons sorte de sa voiture et s’approche de la sienne. La R5 passa tout à coup en marche arrière à vive allure; mais il était trop tard, d’autres véhicules s’étaient déjà engagés dans la rue. Il sortit alors de sa voiture et se mit à courir, poursuivi par Simmons. Drevet demanda des renforts par radio, et prenant la place de Simmons, démarra en trombe: elle espérait pouvoir couper la route du fuyard en faisant le tour du pâté de maison.
Simmons courait plus vite que Santino -c’était lui-, il allait le rattraper lorsque celui-ci fit volte-face et, se protégeant derrière une voiture en stationnement, sortit de son blouson une arme de poing et fit feu à deux reprises sur le policier. Celui-ci dut lui aussi se mettre à l’abri, profitant de l’occasion pour reprendre son souffle. Que faire? Santino n’allait pas s’éterniser dans le coin, mais il valait mieux l’arrêter maintenant que lorsqu’il aurait des otages par exemple, ou dans un lieu plus fréquenté.
- Ecoute, Santino !, hurla-t-il. Ne complique pas les choses, rends-toi.
Il n’y eut pas de réponse. Il répéta. Toujours rien. Simmons osa un coup d’œil par-dessus la carrosserie de son bouclier: Santino avait disparu. Il s’élança à sa poursuite.
Drevet était perdue dans ce quartier inconnu situé dans une ville, Neuilly, elle aussi inconnue, plein de sens uniques et de rues piétonnes. Elle cherchait maintenant, piteusement, à retrouver l’endroit où elle avait laissé Simmons: il n’allait pas manquer de se foutre de sa gueule ! ! Elle examinait son plan de banlieue tout en conduisant d’une main lorsque soudain déboula de sa droite un individu qui courait en regardant derrière lui: elle ne put freiner à temps et le renversa, mais la collision ne fut pas trop brutale. L’homme fut projeté au sol, légèrement blessé, et Drevet sortit immédiatement de sa voiture. Ce n’est qu’à ce moment qu’elle vit l’arme au sol et reconnut l’homme qui gémissait à côté en se tenant les côtes; triomphale, elle se plaça à coté de lui, dégagea du pied le Makarov 45 et sortit ses menottes.
- Michel Santino, vous êtes en état d’arrestation.
Quelle classe !, se dit-elle.


Quatre


Simmons et Marion durent patienter jusqu’au lendemain pour pouvoir parler avec Santino, car ils avaient attendu que les médecins en aient fini avec lui avant de commencer l’interrogatoire. Sa chambre ressemblait à toutes les autres de l’hôpital, si ce n’est qu’un agent serait posté en permanence devant la porte: des murs blancs et bleus clairs, un cadre avec une reproduction d’une nature morte, deux lits montés sur roulettes (mais Santino, en hôte de marque, occupait seul la chambre), une télévision avec télécommande, une table basse roulante et deux chaises pour chaque lit.
- C’est la vraie dolce vita, Santino.
Simmons dirigeait l’interrogatoire, et il attaquait ferme. Plus vite cette affaire serait réglée, plus vite il serait débarrassé du boulet Drevet. Oh, ce n’est pas qu’il ne l’aimait pas, même s’il y avait de ça, c’est que Simmons ne se sentait pas en confiance avec une telle coéquipière. Elle l’avait carrément épaté avec l’arrestation de Santino, mais il ne pensait toujours pas pouvoir compter sur elle en cas de coup dur.
- Ouais, y a pas à se plaindre... Oh, mais c’est la pétasse qui m’a renversé !, répondit Santino en désignant Marion du menton.
Simmons, tout en s’asseyant sur le lit, et sur les jambes brisées de Santino, souffla:
- Oh bé dites donc, il est pas poli le monsieur !
Santino devint blême de douleur et tenta bien de crier quelque chose, mais Simmons lui mettant la main sur la bouche, son cri ne fut qu’un vague gargouillement.
- Ecoute, Santino, je n’ai pas de temps à perdre. Alors je vais enlever ma main, me relever, et nous allons discuter un peu. De ta copine, Nadine Hamouq. Simmons s’exécuta, et Santino passa son unique main valide sur ses jambes douloureuses.
- Raah, putain ! !, t’es cinglé ou quoi !? Nadine Hamouq, qui c’est ça? Jamais entendu parler.
- Ecoute, sale connard: si tu veux jouer au plus malin avec moi, tu vas y perdre des plumes. Où étais-tu dimanche et lundi matin? C’est toi qui as fais le coup, hein?
- Qu’est-ce qu’il me chante, celui-là? Santino s’était tourné vers Drevet qui était restée debout, adossée contre la porte. Elle prit la parole. Décidément, pensait-elle, Simmons est vraiment un sale type.
- Monsieur Santino, Mlle Hamouq a été assassinée. Nous recherchons le ou les coupables de ce crime.
- ... Quoi !?
- Oui, on l’a retrouvé lundi matin. Et nous avons trouvé votre lettre, ce qui nous a permis de vous mettre la main dessus.
Quelle incapable, se dit Simmons, maintenant que Santino sait que nous étions au courant pour leur rendez-vous, il va nous dire n’importe quoi.
- Elle est morte comment?
- C’est nous qui posons les questions, monsieur Santino. Quand avez-vous déposé cette lettre?
Santino, visiblement, était choqué par la nouvelle de la mort de sa compagne. Ou alors il jouait la comédie.
- Dimanche vers 18h00, je devais passer à son immeuble, soit directement à son appart’, soit laisser le message dans sa boîte aux lettres s’il y avait un problème. Comme elle m’avait indiqué avec le signal qu’elle avait de la visite, je n’ai pas pu la voir dimanche, mais je lui ai donné rendez-vous pour hier.
- Quel signal, Santino?
- C’est assez simple, en fait: dès qu’il y avait un danger, de la visite par exemple, ou des flics dans le coin, elle fermait les volets de la cuisine. Cela voulait dire que c’était annulé. Elle les fermait aussi à chaque fois que j’allais la voir parce que son appartement donne directement sur l’immeuble d’en face, et il n’est pas rare que toutes les mamies soient à leurs fenêtres. Je me suis donc attablé à un café, ai écrit ce message et le lui ai mis dans sa boîte.
- Quel genre de visite elle recevait?
- Bah... Des voisins, des amis, de la famille parfois: normal, quoi. Elle est... morte?
- Santino, coupa Simmons, tu veux nous faire croire que, alors que ta copine te dit qu’il y a des flics dans le coin, tu rentres dans son immeuble et tu mets une lettre dans sa boîte? Mais tu nous prends vraiment pour des cons ! !
Santino, qui semblait craindre une nouvelle embardée de Simmons, répondit aussitôt, mais toujours tourné vers Drevet.
- Le temps passant, il a bien fallu qu’avec Nadine, nous mettions au point des méthodes pour pouvoir communiquer. Pour lui faire passer des mots, je demandais ce service au garçon de café: je lui donnais le code d’entrée, le nom de Nadine et un peu d’argent, c’est tout.
- A propos, M. Santino, nous avons trouvé presque 200.000 francs en liquide dans la table de nuit de Mlle Hamouq. Une idée?
Santino avait sursauté quand Drevet avait annoncé cette somme, mais nia être au courant de quoi que ce soit à ce propos.
- Tu sais, on va vérifier tout ça, Santino.
- Vérifiez, si vous voulez ! Mais pourquoi j’aurais tué Nadine, hein, dites-le-moi !??
- Monsieur Santino, vous dites que Mlle Hamouq vous a prévenu de la présence de la police. Mais il n’y avait aucun flic assigné à sa surveillance depuis des mois.
- Ah, ce n’est pas ce qu’elle m’a dit ! D’après elle, vous étiez encore à ma recherche, et elle avait déjà été filée, ou en tous cas elle en avait l’impression. C’est pour ça que nous ne nous servions jamais du téléphone.
- Santino, écoute: tu vas sûrement passer le restant de tes jours derrière les barreaux, et tu le mérites. Alors, si ce n’est pas toi qui as fait le coup, dis-nous ce que tu sais, on gagnera du temps.
- Mais ça y est ! Que voulez-vous que je vous dise d’autre? Je suis sûr que Nadine ne m’a pas menti, et que des flics lui tournaient effectivement autour; ou alors elle avait une visite. C’est à vous de savoir qui, c’est tout ! Et maintenant; barrez-vous !
- Ouais, on va y aller. Mais toi, tu ne bouges pas, on va revenir hein?
- Monsieur Santino, si vous avez d’autres choses à nous dire, appelez-nous. C’est vraiment important.

-‘’Monsieur’’, ‘’s’il vous plaît’’, ‘’merci’’: et puis quoi encore? Ce garArtSuit