20/01/2002 - Erwan Chuberre
Le royaume perdu des fées - 9..16

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Je reste, comme tous mes contemporains invertis et sodomites, un vrai panier percé ( et je ne parle que du panier !).
En règle générale, il est vrai que nous n’avons pas de famille à nourrir si ce n’est un petit animal domestique (une Poupette ou un Mamour) qui se contente de petites boîtes de nourriture. C’est pourquoi nous dépensons sans compter et sans se soucier du patrimoine que l’on pourra laisser à nos enfants. Toujours à l’affût du dernier article tendance que le voisin ne possède pas encore. Car si c’était le cas, il finirait directement dans le vide-ordures.
Les publicitaires l’ont bien compris : les homos représentent la population à cibler !
Pour le plus grand plaisir de nos yeux, des hommes nus sont alors placardés sur tous les murs de France et de Navarre pour mettre en valeur le nouveau jean Levis.
Dernièrement, qu’elle n’a été ma surprise (agréable, au demeurant) quand je vis, diffusé à une heure de grande écoute, un spot publicitaire télé mettant en scène un couple gay dans leur salle de bain pour une marque de rasoirs bon marché.
“Il faudrait être folle pour dépenser plus !”.
Le cinéma, aussi, nous fait les yeux doux. Comme les devoirs à surveiller de nos enfants se limitent à la pissette de Poupette ou de Mamour, nous avons largement le loisir d’aller nous payer une toile. Et si en plus, nous attirons les foules, filmez notre vie!
Arrivent donc sur les écrans des films éloignés de la caricaturale Cage aux folles comme Pédale douce, Gazon maudit ou plus récemment Le placard. Si notre image glamour est préservée dans ces films, nous devenons des êtres humains qui peuvent aussi s’habiller en garçon et mener une vie, en somme, assez normale...
Cet engouement pour notre public touche aussi le monde de la chanson, nos chanteuses se battent toutes pour devenir la nouvelle Dalida. Elles l’ont compris, devenir une diva gay est un gage de succès. Madonna ou Mylène Farmer ne vendraient pas autant d’albums sans notre contribution.
Paradoxalement, si nous sommes volages concernant la mode et les produits de beauté, nous restons fidèles à nos chanteuses : image de la mère, de la femme idéale.
Bien sûr, devenir une diva gay n’est pas donné à toutes les voix féminines, cela demande tout un travail de marketing.
Quelques conseils :
- Forcer sur le maquillage quitte à ressembler à un travesti du bois de Boulogne.
- Mener une vie mystérieuse de star capricieuse.
- Ne pas être fait de femme mais de fer, avec une forte personnalité masculine ou plus vulgairement, “avoir des couil....”
En fait, elle doit être le portrait de la femme qu’on aurait souhaité être.
Exit Lara Fabian...

Oui, nous sommes économiquement parlant un curieux objet de désir, et c’est tant mieux. Trop longtemps, nos aînés ont été réprimés, snobés et ignorés. L’époque où nous étions considérés comme des monstres n’est pas si lointaine. C’est une jolie victoire!

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Romain et moi décidons d’aller bruncher dans le Marais. Une fois sortis de l’immeuble, mon portable sonne. C’est le numéro de Cathy qui s’affiche.

Je réponds ? Je réponds pas ? Hmm ! Le luxe du portable, l’apologie du mensonge:
- Non, désolé Cathy mais je suis sur les Champs Elysées avec Brad Pitt...
Invérifiable ! Quoique très peu crédible...
Bon, je réponds, elle sait que je suis réveillé. Si j’avais eu envie de ne pas être dérangé, je me serai débranché.

Au bout de la ligne, une Cathy encore bien endormie :
- Je m’ennuie ! ... J’ai l’impression d’être une grosse larve. Je suis affalée sur mon canapé à regarder Sevran... Dis, tu fais quoi ?
- Cathy, je te l’ai dit dix fois, je suis avec Romain. On sort juste de chez lui, nous allons déjeuner dans le Marais.
- Ah bon... Je te dérange alors, me dit-elle avec une voix de fillette abandonnée à son triste sort.
Un brin hypocrite, je lui sors d’une voix sucrée :
- Mais non, c’est toujours un immense plaisir de t’entendre. Bon, tu veux nous rejoindre ?
Sa voix devient enjouée et dynamique.
- Oui, ce serait sympa, non? (puis carrément hypocrite). Ca fait si longtemps que je n’ai pas vu Romain. Ca me fera très plaisir!
- Okay, alors, on dit... à seize heures à la Feria. Comme ça tu peux regarder l’émission de Sevran jusqu’au bout !
Vexée de ne pas pouvoir nous voir de suite, elle tente un :
- Aussi tard?
Je reste sur ma position.
- C’est à prendre ou à laisser.
- D’accord, à seize heures... Elle est vaincue.

Cathy doit vraiment s’ennuyer.

Entre elle et Romain, ça n’a jamais été le grand amour. Elle doit vraiment avoir quelque chose contre Sevran. Par la force des choses, Romain a entendu notre conversation, il saisit la balle au bond et me demande:
- Ca ne te manque pas de bosser à La chance aux chansons ?

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Ah...
La chance aux chansons, j’avais oublié. L’émission culte de Pascal Sevran, le rendez-vous télé obligé de tous nos petits vieux. Tous les après-midi de la semaine, nos grands-parents étaient présents vers quinze heures pour voir et écouter tous ces chanteurs français qui “chantent avec leur cœur”, comme le disait si bien ma mamie.
La chance aux chansons, c’est un de mes seuls castings réussi. Bravo ! Faire le pot de fleur jeune et joli en se dandinant sur des airs d’accordéon, le sourire niais mais ravi de participer à ce rendez-vous culturel!
La gloire...

Moi, qui me voyais déjà, quand j’ai repris sérieusement mes cours de théâtre au cours Florent, donner la réplique à Sophie Marceau. J’atterrissais dans un décor rose-bonbon sans aucun texte à dire... Juste à applaudir gaiement et à faire des “ohhh !” et des “ahhh!” d’admiration quand Pascal commentait les nombreux artistes qui se succédaient sur la plateau.
Drôle de carrière.

Mais pour être honnête, je m’y amusais beaucoup. Pascal Sevran avait beau être capricieux, prétentieux, mégalo et colérique, c’était un homme juste et terriblement professionnel. J’irai même jusqu’à dire, au risque d’être ridicule, que je le trouvais fascinant.

Oui, j’ai passé plusieurs mois agréables au sein de cette équipe avant que la direction de France 2 n’exige la suppression de l’émission, par excès de jeunisme...

L’avantage d’être pot de fleurs chez Sevran était le cachet, je gagnais très bien ma vie pour deux ou trois heures de travail quotidien. Et même si je rêvais de Sophie Marceau, il fallait bien que je mange ! La chance aux chansons était une bonne opportunité, elles sont assez rares dans ce métier pour être boudées...
Je pensais aussi que seuls les petits vieux s’intéressaient à ce genre de programme, donc mes prestations ne pouvaient pas nuire à mon image !

Effectivement, aucune personne du métier ne m’a jamais fait une quelconque allusion à cette expérience. J’avais suivi les conseils d’un ami producteur qui m’avait conseillé de ne jamais le signaler sur mon curriculum vitae. Ce n’était pas pire que de jouer dans Hélène et les garçons mais mieux valait être prudent... Toutefois, il est vrai que les rares fois où je me suis regardé dans l’émission, je méritais le César de la cruche.

Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est dans le milieu homo qu’on m’en a parlé pour la première fois. Si l’émission était diffusée l’après-midi, une rediffusion était programmée vers cinq heures du matin, heure à laquelle des milliers de nightclubbers rentrent de boîte. Et en bons amoureux de tout ce qui est décalé, les homos regardaient l’émission avant de se coucher.

Si certains m’ont félicité sur ma capacité à sourire aussi naturellement, d’autres m’ont accusé d’avoir couché avec Sevran pour intégrer la troupe des pots de fleurs.
Les deux commentaires me réjouissaient :
- Le premier, car sourire naturellement sans être figé est un véritable travail de comédien ! Si, si...
- Le deuxième, parce que je provoquais de la jalousie, donc de la convoitise.
Mon ego pouvait donc dormir tranquille.

Sorti de ma rêverie, je réponds enfin à Romain :
- Non, pas le moins du monde. C’était drôle mais c’est tout.
- En parlant de ça, je ne t’ai pas dit, y a un mec qui a vu ta photo à l’appart. Il m’a demandé si je te connaissais.
- Et alors, tu lui as répondu quoi, lui demandais-je.
- Ben, je ne suis pas rentré dans les détails. Il m’a juste dit qu’il t’avait déjà vu chez Sevran et que tu avais la réputation d’être un garçon facile !
- Ah bon, si c’est que ça, j’en suis ravi !

Et, c’est vrai que j’en étais ravi.

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L’avantage de ma dernière adresse au 47 boulevard Richard Lenoir : la proximité du Sacro-Saint Marais, avec le luxe de passer par la plus belle place parisienne, la place des Vosges.

Le Marais, c’est le quartier gay de Paris aux couleurs arc-en-ciel, l’étendard de notre identité. De la pharmacie à la boulangerie, en passant par le dentiste, tout n’est que gay attitude, avec comme point d’orgue, le BHV, le premier grand magasin homo de France. C’est au BHV que la première liste du PACS (liste de mariage) a été lancé.
C’est aussi un énorme cirque où cohabitent différentes troupes. Les sados-masos ont leur back room, les moches aussi. Si tu ressembles à un GI américain, tu sauras où aller. Si tu es fashion addict, c’est derrière le BHV. Tous les univers se retrouvent entre eux dans ce même quartier.
Mais le Marais peut vite devenir une sorte de camps de concentration si l’homo reste entre ses quatre rues.
Malheureux celui qui limite ses déplacements aux frontières du Marais, il se créera ses propres chaînes. Le mot “ghetto” prend alors un tour totalement péjoratif.
Homo ou pas, c’est un endroit de Paris que j’aurai de toute façon beaucoup apprécié ! J’aime ses rues étroites, son architecture, tout le cachet d’un petit village est préservé.

Maintenant, c’est vrai qu’il est agréable de pouvoir embrasser goulûment son fiancé sans craindre l’insulte gratuite et brutale :
- Sale PD !

Le Marais, c’est aussi le royaume des fées. Elles sont partout ! Impossible de les ignorer, avec leurs petites fesses serrées dans une taille basse, leur déhanchement suggestif et leurs habits multicolores. Avec cette peur au ventre de passer inaperçues, elles piaillent, ricanent en descendant leur regard pétillant au niveau des braguettes des garçons qu’elles croisent !
J’ai toujours une pensée émue pour les mecs hétéros qui, sans connaissance de cause, traversent le Marais. Qu’il soit vieux et gras ou superbe et bien foutu, le mâle se fait violer du regard.
Le physique n’a aucune importance, seul le gonflement entre les jambes attire les regards.
Les mentalités étriquées doivent comprendre que cette façon de faire appartient plus au domaine du ludique que du lubrique : un jeu entre garçons !

Un jeu qui m’a moi-même déstabilisé la première fois que j’ai foulé les pavés du Marais. Au bout de cinquante mètres, je n’avais qu’une envie : trouver un trou de souris pour pouvoir m’y cacher !
Maintenant, avec l’habitude, je n’y prête plus attention.

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Nous décidons d’aller manger une pizza au San Antonio.
A mon époque parisienne très RP (relations publiques), j’amenais toujours mes nouveaux amants dans cette pizzeria. Je feignais de choisir cet endroit par hasard. Un heureux hasard car j’y connaissais tout le personnel, du big boss au petit plongeur.
Au programme de la poudre aux yeux : l’apéritif, le vin et le digestif offerts.
- Mais, tu connais tout le monde, toi !
A ses yeux, je devenais alors la personne avec qui il fallait être pour connaître le Tout-Paris. Le San Antonio devenait le symbole de Paris.
Rajoutez à cette épat’, la petite phrase habituelle de Guy, le patron:
- Et, le cinéma, alors ? Ca avance ?
ou
- T’es vraiment craquant chez Sevran.
Le tour était joué.
Bien sûr, il fallait être un tant soit peu nigaud ou n’être jamais venu à Paris pour ne pas deviner la supercherie.
Le San Antonio, avec ses grands tableaux affreux représentant Venise et ses serviettes en papier bordeaux était bien loin de l’image du Barrio Latino, le haut-lieu du gratin parisien.

Avant mon départ, ce restaurant était déjà en travaux. L’intérieur est méconnaissable. L’ancienne déco racoleuse a disparu pour mettre en valeur des grands murs blancs où des petits anges roses sont accrochés un peu partout. Charmant...
Le personnel est différent, Guy est allé vivre en Corse avec le reste de son équipe. Tant mieux.
Le nouveau patron n’est pas très conciliant, les privilèges d’antan sont révolus. Que cela ne tienne !

Après le coca pris chez Romain, nous passons à la vitesse supérieure. Nous trinquons au Kir pêche (la boisson des catins du début du vingtième siècle).
- A nos retrouvailles !
Avant de savourer des pizzas bien dégoulinantes de fromage arrosées à gogo par un Lambrusco bien frais.
J’aurai pu faire un très bon alcoolique, l’ivresse me fait oublier mes problèmes (pas de doute ainsi, c’est sans doute une fuite), Romain n’est pas aussi doué que moi, dès le deuxième verre, je me retrouve en face du mur des lamentations.
Des lamentations sur sa nouvelle vie sans son colocataire, sur son éternel besoin d’affection. Il m’en veut d’être parti, de l’avoir abandonné avec ses démons.
- Tu n’as pensé qu’à toi quand tu as décidé de mettre les voiles, me reproche-t-il.
Je le trouve injuste. J’avais déjà évoqué avec lui, lors de mes dernières semaines parisiennes, un éventuel départ. Il ne m’écoutait pas. Persuadé que le Yan qu’il connaissait ne serait jamais capable d’oublier ses rêves de grandeur en allant s’enterrer dans une ville de Province.
Et pourtant...

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Pour se lancer dans le métier de comédien, il faut avoir une sacrée dose d’inconscience. Tu vis en marge du système, dans tes rêves. Chaque jour peut-être une grande déception à broyer des idées noires, puis ton portable sonne après un long désert de silence.
Tu reprends confiance. Ce casting sera le bon. Le moral regonflé à bloc, tu oublies tous tes projets de te ranger dans une vie professionnelle normale qui privilégie tes loisirs au détriment de ton épanouissement personnel.

J’ai rendez-vous à deux pas du parc Monceau. Le cachet est excellent. Avant même de passer le casting, je calcule tout ce que je pourrais faire avec cet argent :
- payer mes loyers en retard à Romain.
- rembourser les deux cents francs que Cathy me réclame trop souvent.
- aller voir mes parents en Alsace.
Please, ce casting doit réussir !

Rares sont les fois où je me suis physiquement préparé pour un casting, une bonne nuit de sommeil pour avoir un beau teint et limitation sur le café et la cigarette pour le timbre de la voix.
Je suis fin prêt à affronter cette nouvelle humiliation.

J’arrive dans un somptueux immeuble haussmanien.
Etrange, je suis seul à passer le casting. D’habitude, la file d’attente peut être aussi longue que celle d’un concert de Madonna.
Je sonne à Founeproduction. Une jeune femme élégante m’ouvre la porte et me demande de patienter dans une salle d’attente. Je commence à douter. D’ailleurs j’ignore pourquoi je suis là. La personne qui m’a téléphoné, m’a parlé du cachet, mais pour faire quoi ? Suspens...
Avec le nom de la boîte de production, j’espère que ce n’est pas un casting pour faire du porno. Je refuse sur le champs !

Au bout de cinq minutes à peine, un homme d’environ vingt-cinq ans entre dans la pièce :
- Yan, je présume. Bonjour, je suis Stéphane. C’est moi que vous avez eu au téléphone, me dit-il, en me tendant une poignée de main énergique et volontaire.
- Enchanté !
Je l’accompagne dans son bureau. Il sort mon curriculum vitae et mes photos.
- M’ouais, Yan, vous êtes comédien ?
- Oui, répondis-je, surpris.
- M’ouais, vous savez pourquoi vous êtes là ?
- Non, mais vous allez me le dire.
- Oui... Vous voyez, nous avons étudié un grand nombre de dossiers. Cela n’a pas été évident. Nous avions vraiment une image bien précise de la personne que nous recherchions. Je crois que vous correspondez tout à fait au profil...
Curieux, je le coupe.
- Et c’est quoi le profil que vous recherchez ?
- On veut quelqu’un qui soit plutôt beau gosse. Mais pas seulement, on veut aussi qu’il soit bon comédien et surtout bon animateur. Je vois que vous avez fait de la radio...
- Oui, mais à la Réunion, m’excusais je.
- Qu’importe, nous cherchons quelqu’un qui soit à l’aise dans les animations micro.
Mon Dieu, je commençais à comprendre.
J’acquiesçais.
- En effet, j’ai fait pas mal d’animations dans les différentes discothèques de l’île.
- Un beau gosse, un comédien et un animateur ! Yan, vous êtes notre homme ! Et, je ne pense pas me tromper, me dit-il sur un ton convaincu.
- Oui, mais c’est pour faire quoi ? demandais-je, hésitant.
Il se lève brutalement et s’agite dans tous les sens en haussant la voix :
- Vous serez le spoutnik des cœurs célibataires ! Le Mister Love de cette nouvelle décennie ! Le chevalier blanc des nightclubbers! ... Vous allez révolutionner le monde de la nuit !

Glups !
Je longe le parc de Monceau. Sous la pluie. J’aurai du me méfier. C’était trop simple.
Stéphane m’a retenu dans son bureau pendant deux heures. Au programme : travail sur un texte crétin ponctué de “bzzz, Mister Love” et de “ je suis votre messager ! Le cupidon de vos nuits!”, travail sur la voix pour être sensuel et maniéré, travail sur les gestes qui doivent être larges et aériens, travail sur la démarche volontaire et balancée. Une vraie parodie de drag-queen !
Après quoi, il m’a sorti les croquis de l’uniforme que je porterai : une grande combinaison violette à pattes d’eph’, des bottes aux talons de quinze centimètres et un chapeau pointu jaune canari. Très coquet, tout ça.
Quand j’ai quitté Founeproduction, je ne savais plus qui j’étais et où j’étais...
Parc Monceau, boulevard Malesherbes.

J’accepte quand même de participer aux répétitions et d’assister à la soirée test, lors de laquelle j’étais convié en tant que simple spectateur. Je devais être le Mister Love de la zone du sud de la France pour une tournée en discothèques de six mois. Stéphane devait assurer le nord.
Les répétitions confirmèrent mes craintes quant au ridicule de ce personnage fellinien.

Une semaine après, nous nous retrouvions dans une grande boîte en banlieue parisienne pour la soirée test.
Le summum du grotesque. Une boîte d’ados. Stéphane devait faire cinq interventions micro, il ne réussit à en faire que deux. Les clients ne pensaient qu’à s’éclater sur leur rap, bien loin de la culture drag’. Hué, sifflé, les insultes des ados ont eu raison des dix années d’expérience de Stéphane en tant qu’animateur dynamique et performant. C’était un spectacle pitoyable, j’ai bien cru qu’il allait se faire lyncher.
Et dire que le samedi d’après, il voulait que j’aille affronter à mon tour les sifflements lors de ma première à Lyon... Sur le chemin du retour sur Paris, Stéphane commençait à réaliser que ce genre d’animations n’était peut-être pas si génial que ça. Il doutait.

Quelques jours après, je l’appelle pour lui signaler que je quittais le navire. Je n’en étais pas le capitaine et comme je n’avais rien signé.

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Mister Love a eu raison de ces longs mois de ténacité à courir derrière mes rêves. La goutte de vitriol en trop.
Faire le guignol en discothèques ne correspondait pas à l’idée que je me faisais du métier de comédien.

C’est à ce moment-là que, déprimé, je décidais de quitter Paris. Il fallait que j’oublie cet univers parsemé de trop d’échecs pour si peu de compensations. Des défaites que j’oubliais dans une vie nocturne alcoolisée où je noyais mon désespoir dans des éclats de rire trop bruyants que j’offrais à mes amants d’une nuit.

Si j’ai quitté Romain avec ses démons, c’était pour fuir les miens. Pour les analyser afin de les combattre une fois pour toute. Je l’encourage à faire de même. Il me le promet car il comprend. Je ne lui avais jamais vraiment expliqué les raisons de mon départ car je n’avais pas encore assez de recul pour les connaître moi-même.

Nous buvons notre dernier verre en l’honneur de nos trente ans, de nos espoirs déçus et nous portons un toast à ces prochaines années qui arrivent avec leur lot de bonheur et surtout d’amour !
Il viendra bien un jour frapper à notre porte celui-là.

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Après avoir fait les boutiques en critiquant tout ce que l’on ne pouvait pas s’acheter, nous avons retrouvé Cathy avec un petit quart d’heure de retard.

Elle nous attendait, impatiente, la cigarette nerveuse, avec ce regard que je connais trop bien, le regard du dragon.
Cathy, quatre années qu’elle me supporte. Deux années passées ensemble au sein de la même agence de publicité (je n’ai pas été comédien toute ma vie) et deux années à me voir évoluer dans le milieu du cinéma.
Cathy, c’est un mélange explosif entre Ally Mac Beal et Edina d’Absolutely Fabulous. Une sacrée petite bonne femme, qui, à certaines heures, se transforme en dragon.
Un dragon qui luttait, en vain, contre cette soif de plaisir et de luxure qui me tiraillait le ventre. Quand je sortais trop souvent au lieu de chercher des casting, elle crachait du feu.
A côté de ça, elle pouvait aussi devenir mon être de lumière. Quand je buvais plus que de raison et que ma conscience se désintégrait, elle me soutenait et m’enlevait des griffes de ces hommes avides de pouvoir profiter de mon état.
Pour la remercier, j’agissais comme Pinocchio avec son Jimmy Cricket, je lui disais des gentillesses.
- Ton pull est horrible ! T’es vraiment trop coincée ! Baise une fois pour toute !

Un vrai ami sincère mais un tant soit peu ingrat, il est vrai. Mais, elle adore. C’est de cette façon que l’on s’aime, alors pourquoi bouleverser les choses en s’échangeant des propos sirupeux et hypocrites ?

Là, son regard est terrifiant. Ses flammes me calcinent sur place. Heureusement que Romain m’accompagne, elle n’osera rien dire.
Une fois bien foudroyé, elle pose son regard sur Romain. Tout n’est plus que miel et douceur. Romain, mal à l’aise mais tout aussi sournois, se baisse pour lui claquer la bise.
Vive l’hypocrisie ! Mes amis, vous êtes les meilleurs !

C’est Romain qui a déclenché les hostilités le premier, il y a trois ans de cela. Si Cathy est une fille aux épaules plus larges que la moyenne de ses consœurs, Romain lui a fait porter la lourde responsabilité de notre rupture. Il pense qu’elle a voulu par tous les moyens briser notre couple pour m’avoir à elle, intégralement.
Fausse route. Il ignore à quel point je peux énerver la jeune femme quand je suis célibataire !
Elle prend un cahier et comptabilise, déprimée, le nombre de mes conquêtes avec des soupirs qui en disent long sur le mal dont je souffre.

Autour de notre café, nous évitons donc de parler de tout ce qui pourrait réveiller les rancœurs pour nous concentrer sur tous les malheurs qui tombent sur la tête des gens célèbres en reprenant toutes les unes à sensation que l’on a vues ces dernières semaines comme :
- Céline Dion et son René, victime d’une nouvelle attaque !
- Lara Fabian, elle a failli mourir !
- Amanda Lear, sauvagement agressée !
Que du plaisir à l’état pur.
Ils ont beau être connus et riches, ils ont aussi un tas de problèmes dans leur vie de strass. Et les énumérer nous rassure quelque part.
Jusqu’à ce que Cathy change de sujet et s’adresse à Romain :
- Et comment ça se passe à Air France ?

Le mur des lamentations, le retour...


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