20/01/2002 - Erwan Chuberre
Le royaume perdu des fées - 57..60
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Il nest que vingt deux heures trente. Lheure idéale pour aller au Warning histoire de noyer nos pastis et notre vin dans une boisson dhommes : le whisky coca !
Comme le bar est minuscule, on a limpression quil y a beaucoup de monde. Si le Retro est un royaume de fées, elles ne ségarent pas dans ce bar de peur dy brûler leurs ailes.
Ici, cest ambiance mâle attitude... Un peu léquivalent du Cox à Paris. Les mecs sont là dans un seul but : baiser. Lesprit fête et éclats de voix nexistent pas. Ici, cest chuchotements à loreille du futur amant et regards de braise.
Notre arrivée tapageuse provoque des vagues dans cette mer de séduction perverse. Nous ne sommes pas là pour draguer mais pour nous amuser. Ce contraste entre les habitués et notre joyeuse troupe mamuse.
Le barman, Jeff, semble aussi amusé par notre arrivée. Il sennuie tellement derrière ce bar. Je le comprends maintenant...
Cathy a raison, il est carrément beau mec. Un vrai latino lover. Un amant qui ne fait pas de manières et qui a bon caractère. Si je nétais pas rempli daussi bonnes résolutions, je me serai bien laissé tenter par une violente corrida...
Cathy la reconnu. Elle court au bar soccuper de nos boissons.
Nous la suivons pour trouver nos marques quelque part dans un coin du bar.
La musique est plutôt groovy avec les Destinys Child. La communication est très difficile, il faut hurler pour se faire comprendre. Lalcool nous en donne la force.
Didier vient près de moi. Il na pas lair enchanté par sa soirée. Depuis quon est arrivé, il a repris son visage de misère. Il se baisse pour me dire quelque chose à loreille.
Je ne comprends rien. La musique couvre ses paroles. Je lui demande de parler plus fort, tout en ayant deviné depuis longtemps sa question. Il veut savoir sil a ses chances avec Romain qui, vers le fond du bar, sentretient déjà avec un superbe métis, torse nu. Cet inconnu répond tout à fait au profil de mec que Romain recherche.
- Quest-ce que tu dis ?
- Est-ce que tu crois que je plais à ton copain ?
- Je ne sais pas... Demande-lui !
- Mais, tu le connais mieux que moi... Tu peux aller le lui demander ? Moi, il mintéresse à fond ! Cest tout à fait mon type de garçon !
- Ah bon ? Pourtant, il est plutôt mec.
Il fait la grimace.
- Je plaisante... Bon je vais voir le bourreau de ton cur.
Et Didier a quarante ans... Mon Dieu !
Je file vers Romain, le kidnappe à son étalon le temps davoir une réponse on ne peut plus directe.
- Il est lourd ton Didier ! Pour lui, je suis le mec quil attendait depuis toujours, je suis le garçon le plus intéressant quil ait jamais rencontré etc... etc... Il est un peu tordu, non ? En plus, il critique ce bar parce que tout le monde fait la gueule et cest lui, le premier qui fait une tronche de deuil ! Non trop lourd... Il était marrant au resto avec ses petites manières, mais là, il faut quil me lâche, jai envie de prendre mon pied !
Je nous reconnais bien là... Le schéma sans surprise du séducteur : je sors le grand jeu pour que le poisson morde à lhameçon, et dès que le poisson est pris dans les mailles du filet, je le renvoie dans son océan de solitude.
Et un de moins...
Didier napprécie pas du tout les paroles de Romain que je lui répète de façon plus édulcorée, bien sûr... Il quitte le Warning, furieux, maudissant Romain et tous les parisiens.
Pauvre Didier.
Voilà comment il arrive à séduire toutes ses petites fées, avec des phrases bien académiques. Normal quun gamin de dix huit ans soit séduit par ce genre de déclarations. Surtout quand elles sont prononcées par un homme à priori plus mature. Le problème est quà trente ans, ce discours semble bien désuet. Qui succomberait encore à des sophismes de ce genre ?
Une femme peut-être...
Lisa ma un jour dit que Didier serait plus épanoui sil sortait avec des femmes. Après réflexion, elle na pas tort.
Et deux de moins...
Romain vient nous dire quil ne sera pas de la fête au Paradis vert , il a trouvé sa proie et compte bien en profiter toute la nuit.
Je le laisse partir avec une petite pointe de jalousie. Moi aussi jaime bien zouker...
Face au terrible professionnalisme de Jeff qui reste insensible aux nouveaux charmes de Cathy, elle commence à simpatienter.
- A quoi ça sert que je sois la seule fille si tous sont homos !
Matthieu, lui, danse sur la petite piste, il se fout de tout quand ça balance.
Je lappelle pour boire cul sec un dernier verre. Il est minuit. En Province, cest lheure daller en boîte.
- Ils sont passés où Didier et Romain ? Tu ne vas pas me dire quils ont conclu ? me demande Matthieu.
- Non... Je texpliquerai en chemin.
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Direction le Paradis vert. Le temple de la nuit montpelliéraine.
Si les montpelliérains critiquent beaucoup plus les parisiens que le contraire, la première fois que jai mis les pieds dans cette boîte, un détail ma frappé tout de suite: la déco rappelle beaucoup le Bouddha Bar et le Queen réunis.
Et la clientèle qui la journée trouve un tas de noms doiseau pour qualifier les parisiens, se transforme le temps dune nuit en caricature de gravure parisienne.
Ils en prennent tous les points négatifs (trop lookés, trop prétentieux) quand ils dansent en gardant tous leurs défauts de provinciaux ( je commente ce que fait mon voisin).
Trop de contradictions...
Pour un dimanche soir, je trouve quil y a du peuple. A croire que tous sont en vacances (ce qui est vrai) ou que personne ne travaille demain !
Moi, le dernier. Demain, je dois ouvrir le Jet. Je ny pense pas, je préfère oublier le peu de conscience professionnelle que jai à légard de ce bar. Je me limite à profiter des avantages que donne le statut de barman dans un établissement affilié au SNEG (syndicat national des établissements gay): la bouteille de whisky offerte !
Cathy et Matthieu sont épatés ! Cathy, encore plus heureuse de ne pas à avoir à toucher à son porte-monnaie.
- Cest vraiment cool de travailler dans un lieu homo... Après tu ne payes plus rien ! me dit Matthieu.
Oui. Il a sans doute raison, mais il peut employer le passé. Demain, je démissionne. Et tout simplement je me surprends à rêver dun retour à Paris.
Le temps de quelques rasades et Cathy est déjà sur un des podiums à simuler le coït avec deux gogos. Elle a atteint un degré dhystérie incroyable ! Serait-elle droguée ? Elle a du prendre un exta, je ne lai jamais vu si déchaînée sur de la techno. Elle qui déteste cette musique.
Matthieu est tout aussi étonné que moi.
Depuis le début de la soirée, son entrain sest épuisé. Il doit penser à Fifi. Lalcool doit le rendre nostalgique. Il regarde tous ces corps à moitié nus offerts aux caresses des lumières enivrantes, en regrettant ne pas pouvoir être avec son Fifi bien au calme, en tête-à-tête...
Maintenant quil a trouvé le vrai amour, tout ce spectacle lui semble bien futile, tous ces beaux mecs ne sont que du plastique alors que son Fifi, cest un diamant...
- Yan, je vais un peu danser... me dit-il sans grande conviction.
Vas mon petit, je reste le gardien de notre bouteille. Je suis toujours à une goutte près !
Tout le gratin de monde branché est présent. Devant moi. La plupart ont les yeux éclatés par une multitude de petites étoiles.
Ils se roulent des pelles et exhibent leur nouveau piercing au téton, la bouteille de poppers bien ancrée dans leur narine.
La rouille est torse nu, endiablé il fait son show encerclé par une ronde de fées qui gambadent et qui sautillent.
La pensée de revenir à Paris revient. Marre du Jet.
A trente ans, ma place est ailleurs. En temps normal, jaurai été pire que Cathy. Toujours le premier à se complaire dans cette impudique euphorie. Toujours le dernier à réaliser que lalcool est mon pire ennemi. Je deviens un monstre assoiffé de sexe. Toujours plus... Encore et encore. Pour me réveiller, dégoûté de ma soirée, mon portefeuille perdu et mes rêves déchus. Jai commis tellement derreurs sous leffet de cet alcoolisme mondain. On se prend pour des êtres irrésistibles, on danse nimporte comment sous le regard médusé des personnes sobres qui se disent au fond deux-mêmes.
- Mais pourquoi tout ce gâchis ?
Matthieu décide de rentrer se coucher. Sans sa moitié, il se sent moins que rien. Jaurai voulu laccompagner, mais je reste collé à mon bar. Immobilisé par une force inconnue. Je suis dans ma bulle. Je ne veux pas rejoindre les autres. Je reste juste spectateur de ce bordel psychédélique. Cathy en est la reine. Elle a quitté son piédestal pour se rapprocher dun jeune homme de vingt ans. Se rapprocher de très prés. Il deviendra son esclave. Elle ne cache pas son envie de le dévorer, de déchirer sa chair fraîche.
Lionel est aussi de la partie. Le summum du grotesque. Il se prend pour Patrick Dupond. Alors que toute la boîte est entraînée dans une orgie sensuelle. Lionel effectue ses petits entrechats et ses grands écarts sans se soucier des autres. Je connais maintenant la réelle raison de son célibat...
Ma bouteille de whisky est vide. Un papy Brossard maccoste et me le fait remarquer. Il veut moffrir un verre. Je refuse poliment. Il insiste. Je labandonne pour courir aux toilettes.
Je viens de refuser un verre. Je nen reviens pas. Je dois vraiment me sentir mal. Et pourtant non. Jai limpression de navoir jamais été aussi lucide avec autant dalcool dans le sang.
Dans le labyrinthe des toilettes, des mâles me lancent des regards minvitant à plonger dans leur univers de plaisir. Je nai pas envie de sexe. Plus comme ça. Plus dans cette odeur de pisse et de sueur. Jai envie de fleurs et de tendresse. Je ne veux plus nêtre quun corps quon abuse et quon use...
Je quitte ma cachette, prends Cathy par son bras pour lasseoir sur un canapé vide.
- Cathy, tu veux faire quoi ? Moi, je vais me coucher.
Je nai rien compris à sa réponse, mais son brusque retour vers son cavalier me fait comprendre que je peux rentrer seul.
Loin des fumées de cigarettes et de cette musique assourdissante, le silence de la rue me procure une sensation de bien être. Ma montre marque cinq heures. Dans quatre heures, je dois être au Jet. Je rentre heureux, je suis content de ma soirée.
Il est vraiment temps pour moi de tourner la page.
Jattends ce moment de lucidité depuis des années. Il venait le temps dun éclair mais repartait aussitôt !
Même lalcool ne veut plus me rendre ivre malgré le culte que je lui ai voué durant quinze ans.
Fini pour moi le temps de lalcool, sexe et jen passe...
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Si lalcool ne veut plus me rendre saoul, il continue à me persécuter au petit matin. Jai les tambours du Bronx qui tapent dans ma tête.
Matthieu dort encore. Romain et Cathy ne sont pas rentrés. Jespère que leur nuit a été à la hauteur de leur espérance. Surtout pour Cathy.
Depuis le temps...
Jai cinq messages de Didier sur mon portable. Proche du suicide, il ne veut plus revoir Romain. Il va jusquà mettre en doute notre amitié. Je ne lai pas assez aidé dans sa tentative de séduction. Jabandonne...
Je laisse un mot à Matthieu. Je suis au Jet.
Sur le trajet, jappelle Cathy. Sans succès. Jespère quelle ne va pas se lever tard. Cest ce soir quelle doit partir à Béziers.
Sur la bande originale du film Le fabuleux destin dAmélie Poulain, je parcours les offres demploi du Midi libre.
Aucune ne me correspond. Si javais voulu être responsable du rayon frais dun supermarché, cest clair, les offres étaient là.
Mais cest une vocation que je nai pas...
Je dois pourtant quitter ce bar !
Je nai plus quà finir mon autobiographie. Cela peut intéresser des vieux pervers. Mais, je navance pas.
Un mélange de manque de temps, de courage et dinspiration. Quoique pour linspiration, je reste septique. Ecrire cest un travail comme les autres. Linspiration na pas lieu dêtre. Comme pour chaque discipline, il faut travailler encore et encore pour se perfectionner et surtout ne jamais se relâcher...
Je suis bien connu pour les projets avortés dans ce domaine. Cette autobiographie nest pas mon premier essai littéraire. Loin de là.
Déjà ado, je griffonnais des longs poèmes sur le thème : mal de vivre et soif damour (déjà...). Cétait comme un exutoire quand je me sentais aller à la dérive.
Etudiant en lettres modernes, jétais le joyeux luron dune troupe de théâtre pour laquelle javais écrit une petite pièce qui restera dans les annales de la mémoire de mes camarades : La folle de Louis II.
Fier de ce succès destime, je me suis lancé dans une pièce Le retour dAntigone qui reste à ce jour inachevée. Suivirent une série décrits jamais finis. Entre mes nouvelles érotiques, mes chansons tristes et tout dernièrement mon one-man-show, je peux me vanter dêtre celui qui commence sans jamais aller jusquau bout.
Dans mes écrits, dans mes amours... Enfin, dans tout ce que jentreprends... A part bien sûr dans le domaine de la sexualité où jai toujours tout achevé, et avec le sourire...
Cest pour ça que je me dis que choisir comme sujet ma vie sexuelle peut être une bonne motivation. Jécris et je revis dans ma tête toutes ses nombreuses jouissances...
Je pourrais peut-être me lancer dans la chanson ? Il nest pas spécialement nécessaire de savoir chanter... Le tout est déviter les plateaux télé en direct, après cest un travail de studio.
Non, je serai une star de la chanson dans une vie prochaine. Peut-être que jaurai le talent pour.
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De la chanson à Chantal Goya, il ny a quun pas.
Elle me donnera la pêche... Elle ne pourra pas faire fuir les clients qui nexistent pas.
- Sympa la musique dans ton bar !
Je me retourne. Javais bien reconnu la voix de Matthieu. Il entre dans le Jet pour la première fois.
- Cest sympa ici... Je ne le voyais pas comme ça. Comme tu en parlais, je voyais ça beaucoup plus crade.
Oui, face au mon enthousiasme limité quand je parle du Jet, joublie de dire que la déco a coûté une petite fortune. Cest vrai que cest un beau bar. Il fait un peu harem oriental. Il ne manque plus que le hammam.
Devant son café, je le sens hésitant. Il a quelque chose à me dire. Je baisse Chantal. Je vais lui faciliter la tâche.
- Matthieu, il ny a aucun problème. Tu devais rester toute la semaine mais Fifi te manque trop. Tu voudrais repartir à Paris plus tôt...
- Oui... Je narrête pas de penser à lui...
- Tu as ma bénédiction. Vas le rejoindre. Jen ferai pareil !
Je suis vraiment grand seigneur. Un seigneur un peu vexé quand japprends quil a déjà tous les horaires. Il est passé à la gare avant davoir ma permission !
Je continue sur ma lancée lyrique.
- Ce qui me dérange le plus, cest de te voir triste et cest vrai que de mon côté, jai aussi le bourdon. Ce nest pas évident dêtre aussi drôle que dhabitude. Si javais un mari, je nhésiterai pas comme toi. Jen ai tellement envie...
- Toi ? Amoureux ? rigole-t-il.
Il me vexe vraiment.
- Oui, monsieur...
- Et pour combien de temps ? Cest quoi ton record ?
- Trois mois, dis-je honteux.
Le téléphone sonne. Tiens cest justement le numéro dun de mes trimestre boy.
- Allô, la voix du plaisir jécoute... Je suis content pour toi. Si tu veux avoir des nouvelles de tes bagages, ils vont bien... Il sappelle comment ?... Steve... Il est réunionnais ! Supers amants ces gars-là, élevés au bon riz ! Okay... Je finis vers quinze heures... No problema... Bises.
Et un de plus. Romain semble accroc. Il nous rejoint chez moi en fin daprès-midi. Il doit finalement rentrer ce soir. Dommage quil habite à Paris. Loin du cur, loin des yeux.
Qui sait, peut-être que son Steve nest pas dici. Je ne lai jamais croisé en tout cas. Je laurai remarqué...
Il ne manque plus que des nouvelles de la reine de la soirée.
Et toujours sa satanée messagerie.
Matthieu a besoin de parler de son amour. Fifi par ci, Fifi par là. Cest son nouveau Dieu. Il oublie le pronom je pour nemployer que le nous.
- Nous partons en Egypte dans un mois... Nous allons adopter un chat... Nous prendrons un appartement plus grand... Nous songeons à nous pacser...
Javais presque envie de lui dire.
- Et la phrase je vais enfin trouver du travail, tu ne la sors jamais ?
Jaurai été cruel pour rien. Ce nest pas de sa faute sil na aucune qualification et quil ne trouve pas de boulot. Et puis, je nai rien à dire à ce niveau. Malgré une licence de lettres, je suis bien barman.
Cest lenvie à mon tour demployer le nous qui a éveillé en moi ce désir de le blesser.
Serai-je capable à mon tour doublier le je, de sortir de cet ego envahissant.
Je nai jamais envisagé sérieusement lavenir à deux. Cela doit être troublant. Je ne sais pas si cela me plairait réellement. Je crois que oui. Déjà, tu ne vis plus seul... Et je naime pas prendre mon petit déjeuner comme un pauvre abandonné. Je suis un enfant de la colocation.
Rien que pour ce détail, je crois que vivre avec mon amoureux serait une bonne chose... Et quand je vois mes parents soudés depuis tant dannées et heureux de lêtre, jimagine que le bonheur cest tout simplement ça.
Je vole dans mes pensées.
Matthieu continue mais je suis parti dans mon imaginaire. Je vois déjà la couverture de Voici :
Brad Pitt et le nouveau Johnny Depp français, amants à la ville comme à lécran.
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