16/03/2002 - Philippe Vandamme
Comment peut-on supporter le supporteur ?
Février 1970. Un samedi après-midi. Sur le stade de football adossé aux murs de lusine sucrière. Lherbe est gelée par endroits, ça glisse un peu sur les ailes. Devant les buts, cest boueux et presque injouable. Je suis lavant centre de léquipe minime du Lille Université Club. Je fais une saison tonitruante : à mi course, jai déjà marqué une vingtaine de buts, dont cinq contre Seclin pour ma première titularisation, un but du gauche à la rattache contre Hem, et un planté de la tête à notre ennemi héréditaire, Cysoing, tout en me mettant K.O. en percutant simultanément la nuque dun défenseur.
Je finirai les matchs cette année-là avec 35 buts à mon actif.
Aujourdhui contre Thumeries, rien de bien folichon. Jai juste trouvé le moyen de briser en mille morceaux et à bout portant les parties génitales du mec qui me marquait, en reprenant de volée le ballon, quon aurait dit avoir passé la nuit dans un bac à glaçons, et que jai catapulté dans son intimité durcie à mort par le froid. Il sest à moitié évanoui.
Le match sétire mollement, transi, vers un zéro zéro frigorifié. Il ne reste plus que quelques minutes avant le coup de sifflet final et la ruée vers la buée de la douche à la chaleur de bouillotte. Quand soudain...
Pascal, André ou Jeannot, je ne me men souviens plus, prend son envol. Cest un minime deuxième année, il est grand, rude sur lhomme. Il est arrière central. On na jamais perdu quand il était là. Il démarre à une dizaine de mètres de notre surface de réparation et sen va onduler sur le terrain balle au pied, dans des gestes hybrides de patineur artistique et de footeux. Ses très longs cheveux blonds filasses flottent comme la bannière dun chevalier à lassaut. Au début, tout le monde se tient prêt, nous comme les adversaires. Personne chez ces derniers ne songe encore à lui barrer la route. Mais il faut se rendre à l'évidence : il y va tout seul. Il parvient sans avoir réellement été inquiété à quinze mètres des buts, quand le stoppeur adverse se rend compte du danger et tente un tacle désespéré. Jeannot balance du droit une praline du feu de dieu qui échoue à la vitesse de lobus dans les filets et laisse à trois bons pas les bras du gardien de but qui jurera plus tard lavoir pourtant frôlée.
Un silence de crypte congelée succède à nos cris de joie impudiques et irrespectueux pour ladversaire qui joue à domicile. Et tandis que nous regagnons nos places pour les dernières secondes du match, un supporteur en rage déchire lambiance glaciale et hurle de lautre côté du terrain à ladresse de Pascal, André ou Jeannot, je ne men souviens plus : « Tu frais mieux dcouper tes cheveux, eh ! Abruti ! »
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