24/04/2002 - Gilles Capdivila
Deuxième chance - le temps d'une balle

La seconde chance de vivre sa vie... certains en ont rêvé, Franck y a droit. Encore faut-il savoir l'utiliser.

La journée avait pourtant si bien commencé. Jamais il n’aurait pensé qu’elle finirait ainsi. Même s’il savait que cela devait arriver un jour, il ne pensait pas que son passé le rattraperait aussi rapidement. Et pourtant…

Voici son passé qui se tient debout à moins de deux mètres de lui, immobile, les pieds solidement ancrés au sol, les yeux noirs, froids, comme la mort. D’ailleurs, il est la mort, enfin c’est lui qui l’amène, il est son cruel messager. Voici l’homme qui est venu colporter le message de la mort, il brandit l’instrument par lequel il donnera le dernier sacrement.

Le canon est pointé directement sur la tête de Franck. Trou béant de quelques millimètres de diamètre par lequel il se sent aspiré. L’acier de l’arme accroche un rayon de soleil. Plus jamais il ne pourra revoir cet astre. Il ne pourra plus jamais rien voir d’ailleurs, à part la mort, s’il y a quelque chose à visiter dans cet autre monde. Mais il n’est pas croyant alors pour lui l’autre monde n’existe pas.

C’est contraire à ses principes, mais il trouve quand même l’inspiration pour une prière silencieuse.

Puis… le coup part. La détonation est assourdissante. La peur lui fait tourner la tête, il ne veut pas voir la mort en face. Va-t-il avoir la chance de voir sa vie défiler devant ses yeux ? Il ne le pense pas. C’est trop tard, le coup est déjà parti.

Ça y est ? Il est mort ? Il n’a rien senti. Il ne sent plus rien. Il n’entend plus rien. À part peut-être ce désagréable bruit de fond, grave, à la limite de l’inaudible, très proche de l’infrason.

Alors, c’est ça la mort !
Il ouvre les yeux. Il voit…
Le mur contre lequel il s’était réfugié sans succès.
Et s’il se retourne ? Que verrait-il ? Son propre corps peut-être, avachi, sans vie ?

Mais non ! Ce qu’il voit est vraiment incroyable. Le tueur est toujours là, il tient toujours son arme mais quelque chose n’est pas… naturel.
Le canon du pistolet crache toujours le feu. Une flamme formidable qui n’aurait normalement dû durer que quelques centièmes de seconde. Mais elle est encore présente et ne semble pas disparaître. À mi-chemin entre la tête de Franck et l’arme du tueur se trouve…

Mais oui, c’est bien ça ! La balle crachée par le pistolet est toujours en suspens dans les airs, comme tenue par un fil invisible manipulé par un être puissant. La balle est là, immobile à quelques centimètres de sa tête. Non. En y regardant attentivement, elle n’est pas tout à fait immobile, on peut voir un mouvement de rotation et de translation, très lent. Bien trop lent pour que cela soit normal.

Que se passe-t-il ?

Une voix résonne dans sa tête.
– Le temps est ralenti. Tu as droit à une deuxième chance.
– Hein ! Qui est là ? Qui est là ? Pourquoi ?
– Qui je suis, je ne peux te le dire, disons que je suis une sorte de protecteur. Et pourquoi ? Je te l’ai dit, parce que toi, tu as droit à une deuxième chance. Profites-en.
La voix s’éteint.

Franck doit profiter de cette deuxième chance. Et il en profite pour voir les événements importants de sa vie. Son mariage. La naissance de ses enfants. La mort de son premier enfant par overdose. Son enquête sur les trafiquants de drogue. Le départ de sa femme fatiguée par toutes ces histoires. Son titre de témoin à charge dans une histoire de meurtre entre clans. La fausse identité délivrée par les services de police, en guise de protection. Et puis…

Certaines personnes ne voulaient pas le voir au tribunal et elles avaient leurs raisons. Ces personnes avaient leurs propres tueurs à gage et l’un d’eux se trouve juste devant lui, dans un autre espace-temps. Il regarde à nouveau la balle, elle se rapproche toujours aussi lentement, alors il écarte lentement la tête de la trajectoire.

C’est le seul mouvement qu’il a le temps de faire.

Le monde retrouve tout à coup son aspect normal. Tout revient en place comme un élastique qui se détend enfin. L’espace-temps est à nouveau le même pour Franck et pour le reste du monde. La balle miaule près de son oreille et va se ficher dans le mur envoyant des éclats de ciment sur le crâne de Franck.
Il l’a raté ! Il est encore vivant. Il a sa deuxième chance pour fuir, pour vivre sa vie. Il a échappé à la mort. Il se relève et s’apprête à partir en courant. Mais son triomphe est de courte durée, il entend une deuxième détonation.

Il a eu droit à sa deuxième chance. Cette deuxième chance est accordée à certains hommes. Mais ces hommes n’ont jamais droit à une chance supplémentaire. Deux chances, jamais plus, c’est la règle.

La balle pénètre dans sa tête, lui perfore le cerveau et ressort de l’autre côté pour percuter le mur ne faisant que l’ébrécher.

Cette fois-ci, il est mort.

Le tueur est à moitié satisfait de son action, sa mission est accomplie, mais quelque chose le trouble. Il se dirige vers le mur et touche du doigt l’impact de la première balle, vérifie de près son arme sans rien trouver à lui reprocher.

– Putain ! Mais comment j’ai fait pour le rater !


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