Nouvelle écrite dans le cadre du Méga Atelier d'écriture du 19/10/2003.
Durée : Environ une heure trente
Consigne :
Mes personnages : Un vieil érudit tenant une librairie de livres anciens d'occasion, ayant pris sous son aile un jeune loubard à qui il a appris à lire.
Mes 5 objets : Une balle de golf / une pince à linge / un échantillon de parfum / un gravier pour plantes d'intérieur / un timbre-poste représentant un tableau de James Ensor
Mes deux noms célèbres : Gaston Lagaffe et Schubert
Mon ticket : Le numéro huit (8)
Dans larrière boutique de sa librairie, Gaspard ne pouvait cacher son inquiétude. Le vieil homme, voûté mais alerte, parlait seul à voix haute.
Cré vingt-dieux ! Quelle idée saugrenue ! Pourquoi me suis-je laissé convaincre ? Cest stupide ! Il nest pas encore prêt. Jespère quil ne va pas faire de bêtises et quau moindre doute... Pourquoi ne mappelle-t-il pas ? Il est toujours pendu à son téléphone sans fil, ce foutu GSM, comme ils disent, pour des broutilles et là, alors que cest primordial, il reste muet. Il va encore me dire que sa batterie était plate. Forcément, à parler des heures pour ne rien dire !
Il grommela encore quelques mots avant de se taire de longues minutes. Tout à coup, une sonnerie stridente déchira le silence, dont la source provenait dun téléphone à cadran rotatif qui aurait bien trouvé sa place chez un antiquaire.
Gaspard se rua sur le combiné quil décrocha en tremblant, puis il chevrota :
Allo ? Librairie à la page. Que puis-je pour vous ?
Monsieur Gaspard ? Cest James. Il y a un problème !
Je sais bien quil y a un problème, si cest toi qui appelles.
Ne vous moquez pas ! Ce nest pas drôle ! Je suis dans la merde !
Alors, ne tagite pas, sinon tu vas en mettre partout. Calme-toi et explique-moi ce qui se passe.
Bon, voilà : je me suis rendu à ladresse que vous mavez donnée, à lheure prévue, et quand jai sonné, personne na réagi.
Es-tu bien sûr dêtre à la bonne adresse ?
Mais oui, enfin ! Cest pas pour des prunes que vous mavez appris à lire. Je suis au numéro huit de la rue des crânes, et il y a bien le nom de Monsieur Duplas sur la sonnette.
Bon. Es-tu certain que la sonnette fonctionne ?
Je ne sais pas, mais quand je me suis posé la question, jai commencé à frapper sur la porte.
Bon réflexe ! Et personne ne répond ?
Personne nest venu, mais sous mes coups, la porte sest ouverte. Elle nétait quentrebâillée. Alors, je suis entré et jai appelé.
Tu es entré sans avoir été invité à le faire ? Bon sang, tu ne changeras donc jamais ! Sors de là immédiatement !
Comment ça : « Pas invité » ? Javais bien rendez-vous, non ?
Rendez-vous, rendez-vous ! Non mais quel rapport ? On nentre pas chez les gens en leur absence, sauf si on veut les cambrioler, espèce de tête de veau ! Tu as envie de retourner en prison ?
Non, bien sûr. Mais ce nest pas le problème parce que le propriétaire est bien présent.
Ah ! Il ne tavait pas entendu alors ?
Ben... Les morts nentendent rien, enfin, je crois.
Les morts ? Nom de Dieu, tu veux dire que tu es entré sans autorisation dans la maison dun mort ?
Oh ! Ça va, hein ! Quand je suis entré, je ne savais pas encore quil était mort. Alors ça ne compte pas.
Mais si, ça compte !
Je nen suis pas sûr. Par exemple, si je vends une moto doccase et que le moteur claque à cause dun défaut que jignorais, je ne suis pas responsable, quand même ?
Les motos ! Les voitures ! Bon sang, tu nas a vraiment que ces mots à la bouche ? Tu sais, à force de consacrer ta vie à ces engins dacier, tu risques bien de la finir en taule.
Haha ! Cest drôle ! Mais si vous me disiez plutôt ce que je dois faire ?
Casse-toi de là, vite fait !
Mmmff ! pouffa James. Vous parlez comme moi, maintenant ?
Il faut reconnaître que dans les cas durgence, cest plus rapide. Fous le camp ! Sur-le-champ !
Il y a juste un problème !
Quoi encore !
Jai marché dans une flaque de sang, et il y a mes empreintes un peu partout.
On jettera tes chaussures !
Oui, mais jai aussi glissé et il y a les empreintes de mes mains. Vous nallez pas me les couper aussi, quand même ?
Mon Dieu ! Est-ce possible ? Je ferais bien de les couper pour éviter à un Gaston Lagaffe de ton espèce de commettre toutes les bévues imaginables. Efface toutes les traces et vide les lieux !
Je dois aussi les effacer sur le téléphone ?
Tu utilises son téléphone ?
Ben oui. Les batteries de mon GSM sont mortes.
Gaspard poussa un long soupir avant de reprendre :
Bon, calmons-nous ! Concentre-toi bien ! Quas-tu dautre à me dire qui pourrait être important ?
Un truc très curieux : le mort a une balle de Golf dans la bouche.
Une balle de golf ?
Ouai ! Tué par balle ! je ne voyais pas ça comme ça !
Y a-t-il quelque chose décrit sur la balle ?
Attendez, je vais voir... Voilà, cest écrit en rouge : « RANGE ». Comme dans Range Rover ! Vous connaissez ces 4 x 4...
Oui, oui, je connais ! Et cest tout ?
Non, de lautre côté, il est écrit : « Sport village »
De lautre côté ? Comment peux-tu lire de lautre côté ?
Ce nétait pas facile, mais je lui ai enlevé la balle de la bouche pour lire plus facilement... Cest un problème ?
Cest un problème ! répondit Gaspard en soupirant à nouveau.
Oh ! Désolé ! je ne voulais pas vous mettre dans lembarras.
Me mettre dans... Mais James, cest toi qui es dans lembarras, ne le comprends-tu pas ? Ny a-t-il rien sur place qui puisse te disculper, quelque chose qui donnerait un indice sur lidentité de lassassin ?
Jai trouvé un mot sur le bureau. Il était attaché avec une enveloppe à laide dune pince à linge.
Quy a-t-il dans lenveloppe ?
Rien !
Et sur lenveloppe ?
Juste un timbre. Ca représente un tableau et il y a un nom à côté... Hé ! Il sappelle comme moi ! James. James Ensor.
Bien, bien, cest un signe !
Un signe ?
Oui ! Malgré les apparences, James sen sort toujours !
Ah ouais ! Pas mal ! Et puis ça rassure aussi.
Tu mas dit quil y avait un mot. Quest-il écrit dessus ?
Cest adressé à Gaspard Lapage, Librairie à la page. Mais, cest vous, ça ?
Diantre, oui, il sagit bien de moi. Que dit le mot ?
Monsieur Lapage, je vous communique par la présente lettre mon intention de vous vendre la totalité de ma bibliothèque pour une somme dérisoire. Jy mets cependant une condition. Jai découvert par hasard, parmi tous les ouvrages entreposés, un livre unique, authentique, écrit de la main de Schubert. Il sagit de son autobiographie et elle est accompagnée de partitions originales inconnues. Ce livre unique est écrit à la plume, de sa propre main. Je pense que vous pourrez me dénicher un acquéreur pour ce joyau et je ne doute pas que le prix soit lui aussi exceptionnel. Vous trouverez sur le second feuillet, une expertise qui atteste lauthenticité de cet incroyable ouvrage qui va changer mon existence. Dailleurs, en prévision de mon nouveau train de vie, jai décidé de mentraîner au golf. Il ny a pas de temps à perdre.
Jai toujours rêvé de jouer au golf, mais je nen ai jamais eu les moyens. Bien à vous et à bientôt jespère pour la vente du siècle.
Lautobiographie de Schubert ? Diable !
Dites, Monsieur Gaspard, je suis toujours dans la dèche. Quest-ce que je dois faire ?
Je pense à un détail. La balle de golf ! Pouvez-vous me décrire la scène avec minutie ?
Avec qui ?
Gaspard entendit un léger chuintement.
Avec... avec attention ! Quest-ce que cétait, ce bruit ?
Rien ! Jai utilisé un petit échantillon de parfum Dolce Vita que javais sur moi, parce quici, ça ne sent vraiment pas bon. Bien ! le cadavre est par terre, avec la balle de golf en bouche. Je lai remise en place pour brouiller les pistes. Il y a un club de golf par terre, à portée de sa main gauche. Il sest écroulé sur une table basse qui portait un pot de fleurs. Des tas de petits graviers sont étalés sur le sol. Devant, il y a un miroir brisé et dans le mur, le plâtrage est écrasé en rond.
Quelle taille, le rond ?
De la taille... dune balle de golf.
Je vois, je vois !
Quoi ?
Notre homme a voulu sentraîner au golf dans son séjour en nous attendant. Par maladresse, il a envoyé la balle sur le miroir, elle a fait ricochet sur le mur et lui a percuté la tête de plein fouet. Il est certainement mort dans sa chute ou bien détouffement à cause de la balle.
Vous croyez à ce que vous racontez, là ?
Cest cela, ou bien il est mort assassiné et tu fais le coupable idéal.
Je crois que votre histoire nest pas mal, tout compte fait !
Oui. Cest plausible.
...
Gaspard ?
Oui, quy a-t-il encore ?
Vous ne trouvez pas que cest une bonne histoire ?
Que veux-tu dire ?
Je sais que vous ne me croyez pas capable dimaginer un tel scénar, surtout quil ny a pas si longtemps, vous mavez appris à lire. Mais jaimerais bien un jour écrire des livres et... Cest pas mal, pour un coup dessai, non ?
Comment, tu nes pas chez mon client ?
Heuu ! Je nai pas eu le temps.
James, James, James...