23/11/2003 - Babel Master
Gaspard et James

Nouvelle écrite dans le cadre du Méga Atelier d'écriture du 19/10/2003.

Durée : Environ une heure trente
Consigne :

Mes personnages : Un vieil érudit tenant une librairie de livres anciens d'occasion, ayant pris sous son aile un jeune loubard à qui il a appris à lire.
Mes 5 objets : Une balle de golf / une pince à linge / un échantillon de parfum / un gravier pour plantes d'intérieur / un timbre-poste représentant un tableau de James Ensor
Mes deux noms célèbres : Gaston Lagaffe et Schubert
Mon ticket : Le numéro huit (8)



Dans l’arrière boutique de sa librairie, Gaspard ne pouvait cacher son inquiétude. Le vieil homme, voûté mais alerte, parlait seul à voix haute.

— Cré vingt-dieux ! Quelle idée saugrenue ! Pourquoi me suis-je laissé convaincre ? C’est stupide ! Il n’est pas encore prêt. J’espère qu’il ne va pas faire de bêtises et qu’au moindre doute... Pourquoi ne m’appelle-t-il pas ? Il est toujours pendu à son téléphone sans fil, ce foutu GSM, comme ils disent, pour des broutilles et là, alors que c’est primordial, il reste muet. Il va encore me dire que sa batterie était plate. Forcément, à parler des heures pour ne rien dire !

Il grommela encore quelques mots avant de se taire de longues minutes. Tout à coup, une sonnerie stridente déchira le silence, dont la source provenait d’un téléphone à cadran rotatif qui aurait bien trouvé sa place chez un antiquaire.
Gaspard se rua sur le combiné qu’il décrocha en tremblant, puis il chevrota :

— Allo ? Librairie à la page. Que puis-je pour vous ?
— Monsieur Gaspard ? C’est James. Il y a un problème !
— Je sais bien qu’il y a un problème, si c’est toi qui appelles.
— Ne vous moquez pas ! Ce n’est pas drôle ! Je suis dans la merde !
— Alors, ne t’agite pas, sinon tu vas en mettre partout. Calme-toi et explique-moi ce qui se passe.
— Bon, voilà : je me suis rendu à l’adresse que vous m’avez donnée, à l’heure prévue, et quand j’ai sonné, personne n’a réagi.
— Es-tu bien sûr d’être à la bonne adresse ?
— Mais oui, enfin ! C’est pas pour des prunes que vous m’avez appris à lire. Je suis au numéro huit de la rue des crânes, et il y a bien le nom de Monsieur Duplas sur la sonnette.
— Bon. Es-tu certain que la sonnette fonctionne ?
— Je ne sais pas, mais quand je me suis posé la question, j’ai commencé à frapper sur la porte.
— Bon réflexe ! Et personne ne répond ?
— Personne n’est venu, mais sous mes coups, la porte s’est ouverte. Elle n’était qu’entrebâillée. Alors, je suis entré et j’ai appelé.
— Tu es entré sans avoir été invité à le faire ? Bon sang, tu ne changeras donc jamais ! Sors de là immédiatement !
— Comment ça : « Pas invité » ? J’avais bien rendez-vous, non ?
— Rendez-vous, rendez-vous ! Non mais quel rapport ? On n’entre pas chez les gens en leur absence, sauf si on veut les cambrioler, espèce de tête de veau ! Tu as envie de retourner en prison ?
— Non, bien sûr. Mais ce n’est pas le problème parce que le propriétaire est bien présent.
— Ah ! Il ne t’avait pas entendu alors ?
— Ben... Les morts n’entendent rien, enfin, je crois.
— Les morts ? Nom de Dieu, tu veux dire que tu es entré sans autorisation dans la maison d’un mort ?
— Oh ! Ça va, hein ! Quand je suis entré, je ne savais pas encore qu’il était mort. Alors ça ne compte pas.
— Mais si, ça compte !
— Je n’en suis pas sûr. Par exemple, si je vends une moto d’occase et que le moteur claque à cause d’un défaut que j’ignorais, je ne suis pas responsable, quand même ?
— Les motos ! Les voitures ! Bon sang, tu n’as a vraiment que ces mots à la bouche ? Tu sais, à force de consacrer ta vie à ces engins d’acier, tu risques bien de la finir en taule.
— Haha ! C’est drôle ! Mais si vous me disiez plutôt ce que je dois faire ?
— Casse-toi de là, vite fait !
— Mmmff ! pouffa James. Vous parlez comme moi, maintenant ?
— Il faut reconnaître que dans les cas d’urgence, c’est plus rapide. Fous le camp ! Sur-le-champ !
— Il y a juste un problème !
— Quoi encore !
— J’ai marché dans une flaque de sang, et il y a mes empreintes un peu partout.
— On jettera tes chaussures !
— Oui, mais j’ai aussi glissé et il y a les empreintes de mes mains. Vous n’allez pas me les couper aussi, quand même ?
 — Mon Dieu ! Est-ce possible ? Je ferais bien de les couper pour éviter à un Gaston Lagaffe de ton espèce de commettre toutes les bévues imaginables. Efface toutes les traces et vide les lieux !
— Je dois aussi les effacer sur le téléphone ?
— Tu utilises son téléphone ?
— Ben oui. Les batteries de mon GSM sont mortes.

Gaspard poussa un long soupir avant de reprendre :

— Bon, calmons-nous ! Concentre-toi bien ! Qu’as-tu d’autre à me dire qui pourrait être important ?
— Un truc très curieux : le mort a une balle de Golf dans la bouche.
— Une balle de golf ?
— Ouai ! Tué par balle ! je ne voyais pas ça comme ça !
— Y a-t-il quelque chose d’écrit sur la balle ?
— Attendez, je vais voir... Voilà, c’est écrit en rouge : « RANGE ». Comme dans Range Rover ! Vous connaissez ces 4 x 4...
— Oui, oui, je connais ! Et c’est tout ?
— Non, de l’autre côté, il est écrit : « Sport village »
— De l’autre côté ? Comment peux-tu lire de l’autre côté ?
— Ce n’était pas facile, mais je lui ai enlevé la balle de la bouche pour lire plus facilement... C’est un problème ?
— C’est un problème ! répondit Gaspard en soupirant à nouveau.
— Oh ! Désolé ! je ne voulais pas vous mettre dans l’embarras.
— Me mettre dans... Mais James, c’est toi qui es dans l’embarras, ne le comprends-tu pas ? N’y a-t-il rien sur place qui puisse te disculper, quelque chose qui donnerait un indice sur l’identité de l’assassin ?
— J’ai trouvé un mot sur le bureau. Il était attaché avec une enveloppe à l’aide d’une pince à linge.
— Qu’y a-t-il dans l’enveloppe ?
— Rien !
— Et sur l’enveloppe ?
— Juste un timbre. Ca représente un tableau et il y a un nom à côté... Hé ! Il s’appelle comme moi ! James. James Ensor.
— Bien, bien, c’est un signe !
— Un signe ?
— Oui ! Malgré les apparences, James s’en sort toujours !
— Ah ouais ! Pas mal ! Et puis ça rassure aussi.
— Tu m’as dit qu’il y avait un mot. Qu’est-il écrit dessus ?
— C’est adressé à Gaspard Lapage, Librairie à la page. Mais, c’est vous, ça ?
— Diantre, oui, il s’agit bien de moi. Que dit le mot ?
— Monsieur Lapage, je vous communique par la présente lettre mon intention de vous vendre la totalité de ma bibliothèque pour une somme dérisoire. J’y mets cependant une condition. J’ai découvert par hasard, parmi tous les ouvrages entreposés, un livre unique, authentique, écrit de la main de Schubert. Il s’agit de son autobiographie et elle est accompagnée de partitions originales inconnues. Ce livre unique est écrit à la plume, de sa propre main. Je pense que vous pourrez me dénicher un acquéreur pour ce joyau et je ne doute pas que le prix soit lui aussi exceptionnel. Vous trouverez sur le second feuillet, une expertise qui atteste l’authenticité de cet incroyable ouvrage qui va changer mon existence. D’ailleurs, en prévision de mon nouveau train de vie, j’ai décidé de m’entraîner au golf. Il n’y a pas de temps à perdre.
J’ai toujours rêvé de jouer au golf, mais je n’en ai jamais eu les moyens. Bien à vous et à bientôt j’espère pour la vente du siècle.

— L’autobiographie de Schubert ? Diable !
— Dites, Monsieur Gaspard, je suis toujours dans la dèche. Qu’est-ce que je dois faire ?
— Je pense à un détail. La balle de golf ! Pouvez-vous me décrire la scène avec minutie ?
— Avec qui ?

Gaspard entendit un léger chuintement.

— Avec... avec attention ! Qu’est-ce que c’était, ce bruit ?
— Rien ! J’ai utilisé un petit échantillon de parfum Dolce Vita que j’avais sur moi, parce qu’ici, ça ne sent vraiment pas bon. Bien ! le cadavre est par terre, avec la balle de golf en bouche. Je l’ai remise en place pour brouiller les pistes. Il y a un club de golf par terre, à portée de sa main gauche. Il s’est écroulé sur une table basse qui portait un pot de fleurs. Des tas de petits graviers sont étalés sur le sol. Devant, il y a un miroir brisé et dans le mur, le plâtrage est écrasé en rond.
— Quelle taille, le rond ?
— De la taille... d’une balle de golf.
— Je vois, je vois !
— Quoi ?
— Notre homme a voulu s’entraîner au golf dans son séjour en nous attendant. Par maladresse, il a envoyé la balle sur le miroir, elle a fait ricochet sur le mur et lui a percuté la tête de plein fouet. Il est certainement mort dans sa chute ou bien d’étouffement à cause de la balle.
— Vous croyez à ce que vous racontez, là ?
— C’est cela, ou bien il est mort assassiné et tu fais le coupable idéal.
— Je crois que votre histoire n’est pas mal, tout compte fait !
— Oui. C’est plausible.
...
— Gaspard ?
— Oui, qu’y a-t-il encore ?
— Vous ne trouvez pas que c’est une bonne histoire ?
— Que veux-tu dire ?
— Je sais que vous ne me croyez pas capable d’imaginer un tel scénar, surtout qu’il n’y a pas si longtemps, vous m’avez appris à lire. Mais j’aimerais bien un jour écrire des livres et... C’est pas mal, pour un coup d’essai, non ?
— Comment, tu n’es pas chez mon client ?
— Heuu ! Je n’ai pas eu le temps.
— James, James, James...


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