12/07/2002 - Beatrice Delbaer
Une journée au zoo

Anvers, 11H30.

L'enveloppe était posée sur la table basse. Il l'ouvrit pour la quatrième fois. La photo, les mêmes commentaires que d'habitude, le lieu où devait se dérouler « l'opération ». Pour une fois, c'était un endroit qu'il trouvait incongru. Un zoo. Il comprit que c'était le seul endroit où la cible serait vulnérable. Le service d'ordre serait toujours aussi important, mais il y aurait aussi beaucoup de monde. Comme toujours quand il faisait beau !

Le rendez-vous était prévu dans 2H30, il ferait mieux de s'habiller et d’aller repérer les lieux. La dernière fois où il avait mis les pieds dans un zoo remontait aux calendes grecques.

Le trajet en voiture ne lui prit que 20 minutes. Il lui restait assez de temps pour régler tous les détails. Rien ne vaut un revolver muni d'un silencieux, les cris des animaux couvriraient, sans problème, le bruit déjà assourdi de la détonation.

Il se promena comme un vulgaire touriste, ça le calmait. Quoi qu'il n'ait jamais eu de problème de stress. Un boulot est un boulot. Et c'était quand même plus facile de gagner 50.000 euros en 2 ou 3 heures plutôt que de travailler pour les avoir. Tuer ne l'avait jamais dérangé. Dommage qu'il ait raté toutes les guerres, il aurait pu montrer toute l'étendue de son talent. Enfin, heureusement qu'il y aura toujours des hommes, comme ce politicard pourri, pour faire appel à lui pour éliminer un rival. Ça l'ennuyait un peu de tuer un ministre, mais le salaire proposé l'aiderait à étouffer ses réticences.

Il entendit les premières sirènes vers 13h45. Le zoo était bondé, il ne devrait pas y avoir de pépins. Il avait prévu de se planquer près de la cage des singes. Il était collé contre la grille. Les singes, des chimpanzés, faisaient un bruit d'enfer et il avait repéré des cabanes à proximité où il pourrait se cacher le cas échéant.

Il s'apprêtait à mettre ses gants et sortit son revolver de son étui. Une femme, accompagnée d'un enfant qui pleurait à fendre l'âme passa juste à côté de lui, il n'eut que le temps de glisser son arme dans la poche arrière de son pantalon.

La femme passa sans se presser. Elle était à environ 1 mètre de lui et le fixait d'une telle façon qu'il se demanda s'il n'était pas écrit « tueur à gages » sur son front. Elle le frôla et prit la direction de la sortie.

C'est alors qu'il sentit une main dans son dos et qu'on lui enlevait son arme. Il n'osa pas se retourner. Il était impossible que la police l'ait déjà repéré. Personne ne le connaissait. Il attendit l'ordre de lever les mains. Ordre qui n'arriva pas. Il se retourna et la première chose qu'il vit était ce chimpanzé qui jouait avec son arme. Le singe était déjà à plus de 10 mètres de lui.

Il savait comment tuer quelqu'un en 10 secondes, comment poser des bombes, comment faire en sorte qu'on ne retrouve jamais un corps, mais personne ne lui avait jamais appris la façon de récupérer son arme dans les pattes d'un chimpanzé farceur. L'animal était en train de tourner son revolver dans tous les sens et d'en sucer le canon. Il fallait absolument qu'il récupère son arme, il n'avait pas encore mis ses gants et ses empreintes se trouvaient sur l'arme. Il ne nettoyait ses armes « qu'après usage ». Heureusement que personne ne se trouvait près de lui, la plupart des gens étaient allés voir le Ministre dès que celui-ci était descendu de voiture.

Il n'y avait pas 36 solutions. Il allait d'abord essayer de l'attirer vers lui. Il l'appela, ce qui eut pour effet de faire sursauter cet imbécile de singe ainsi que tous ses cousins et cousines. Ils disparurent dans toutes les cachettes possibles et imaginables et il ne vit plus SON singe.

Il devait absolument entrer dans cette cage, mais le verrou avait l'air solide. Le temps pressait, le Ministre n'allait pas rester là pendant des heures. Il courut jusqu'à un marchand de pop corn et en acheta 5 sachets. Revenu à la cage, il y jeta 2 sacs d'un seul coup. Les singes revinrent aussitôt et il put voir celui qui tenait toujours son arme. Le singe essayait d'avoir du pop corn, mais le revolver le gênait dans ses mouvements et, pour tout arranger, un autre singe essayait de lui prendre l'arme.

Du bruit sur sa droite le fit sursauter. Le Ministre, entouré par le service d'ordre et les journalistes, venait dans sa direction. C'était pas croyable, une histoire pareille. Il se voyait déjà expliquer au politicard pourri que si le Ministre était encore en vie, c'était à cause d'un singe. Il allait avoir l'air malin.

Les 2 singes continuaient à se chamailler pour le revolver et se poursuivaient dans les hauteurs de la cage. C'est alors qu'il entendit du remue ménage dans son dos. Il n'eut que le temps de se retourner pour voir un policier qui tombait à terre, la poitrine pleine de sang.

Il se retourna vers le singe, le filet de fumée qui sortait du canon lui donna la chair de poule : le coup de feu était parti. Le singe prit peur et lança l'arme loin de lui, le revolver tomba au beau milieu de la cage. Il ne pouvait pas rester là, tant pis pour l'arme. Il profita de la panique générale pour courir vers les cabanes, il fallait qu'il se cache au moins jusqu'à la nuit. Les policiers allaient fouiller tout le zoo pour retrouver le tireur.

Il entra dans la première cabane. L'intérieur était sombre et sentait le fauve. Les lions ne devaient pas être loin, mais plusieurs grilles devaient les séparer. De nombreuses personnes passaient devant la fenêtre de la cabane, mais il ne comprit pas ce qu'elles disaient. Il y voyait un tout petit peu grâce à la porte d'entrée qu'il avait laissée entrouverte. Mais cela ne dura pas, la porte se ferma tout à coup et il se retrouva dans le noir complet. Il ne pourrait pas sortir car le verrou se trouvait à l’extérieur, mais d'un autre côté, les policiers ne pourraient pas entrer non plus.

Il lui sembla que tous les policiers d'Anvers étaient dans le zoo, il entendait des cavalcades devant la cabane. Un bruit dans son dos le fit se retourner, il n'était pas seul. Il entendit 2 gardiens qui s'étaient arrêtés devant la cabane. Il entendit distinctement les paroles de l'un d'eux : « Je me demande si le policier blessé va s'en sortir. Tu te rends compte, dresser un singe pour tuer quelqu'un. Faut le faire, quand même. » Et son collègue lui répondit : « Avec les animaux, tout est possible. En parlant d’animaux, bonne idée qu'on a eu d'employer ces vieilles cabanes pour y loger les fauves blessés. J'espère que Brutus va vite se remettre, mais enfin, une patte foulée, c'est pas la fin du monde. »


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