Aimer était un mot trop faible pour qualifier ce que je ressentais pour lui. Il était la tendresse même. Exigeant avec lui-même, il l'était aussi avec moi. Mais d'une exigence sans violence, sans reproches. Oh, bien sûr, comme tous les couples, nous avions nos moments de faiblesse, de doute ou de tentation. Parfois, il se retournait sur une femme plus belle que moi, plus attirante, mais il me revenait toujours chaque soir...

Comme tous les hommes, il avait dans le regard cette conscience de sa fragilité cachée derrière le masque de sa virilité. Il me séduisait, me surprenait toujours. Avec assiduité, chaque soir, il me murmurait des mots doux. Et chaque soir, j'étais aux anges.

Notre travail nous rapprochait. Ensemble sur les planches, nous étions applaudis par le public, ensemble, nous répétions soir après soir la scène capitale de la pièce avec le même amour dans les yeux, avec la même fébrilité. Il croyait en moi et j'avais confiance en lui. Jamais il ne me laisserait tomber. Notre complicité était un atout de plus pour le spectacle et nous le savions.

Pendant la journée, je ne le voyais jamais, mais je savais à quel point, chaque instant de son existence était conditionné par mon image. Et les mots qu'il me susurrait à chaque représentation étaient toujours les mêmes, témoignages poignants de son amour et de sa remise en question permanente. Je pouvais croire qu'il serait à moi pour toujours tant notre communion était parfaite, tant son regard pénétrait le mien, me transportant, me torturant de bonheur...

Et le soir venu, le public était là, la grande scène arrivait, nous étions réunis, il me prenait, comme tous les soirs, dans le creux de
sa main, plongeait son regard dans les trous sans fond de mes orbites, et, murmurant, presque dans un râle, il me glissait :
« To be or not to be, that is the question... »
Comme il devait m'aimer !

Éric Van Cutsem (1990)

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