16/02/2003 - Georges Viguier
Enfin la liberté ! - Part 3

La porte du bureau resta entrouverte. Un autre homme, un militaire très jeune entra, s'approcha de la fenêtre en fumant une cigarette qui empestait le tabac de mauvaise qualité, se retournant de temps en temps vers Nina, la dévisageant avec un petit regard effronté ne laissant aucun doute sur ses pensées. L'homme chauve à lunette revint, fit un signe au subalterne, s'assit derrière son bureau.

— Désolé. Il n'y a que le répondeur de votre compagnie qui diffuse le même message. Il faudra rappeler dans trois jours, à cause de votre grève. Vraiment les Français vous êtes étonnants. Vous avez la liberté, la richesse, des professions très protégées et des salaires vingt fois supérieurs aux nôtres et vous faites la grève. Vraiment, quel luxe !

Nina se rappelait du préavis de grève déposé ce matin même. C'était exact, Bill lui en avait dit deux mots avant le décollage. Elle demanda.

— Et bien, il ne vous reste plus qu'à téléphoner à mon Ambassade. Il doit y avoir des gens de mon pays vous répondre et pour m'aider.
— Non, Madame, je ne leur téléphonerai pas. En revanche j'appellerai le service consulaire dont vous dépendez, si vous le voulez bien.

Il faisait de l'humour, du très mauvais humour. Cet homme énervait Nina avec ses manières excessivement polies et son air arrogant. Il rappela l'homme de faction, s'éclipsa quelques minutes puis revint avec la mine victorieuse. Nina était contente, enfin elle allait être libérer. Le fonctionnaire se rassit tranquillement. Ses gestes étaient d'une lenteur qui exaspéraient Nina. Il chassa son subordonné, remit ses lunettes puis repris la conversation. Nina l'aurait embrassé tant elle était contente que prenne fin cette vilaine aventure.

— Alors, je suis libre ? Ils ont du vous confirmer ma présence ?
— Désolé Madame, le service consulaire est fermé pour le week-end à cause de votre fête religieuse de la Pentecôte. Je dois vous garder ici jusqu'à mardi. Vous verrez, ce n'est pas long et vous serez très bien traitée, je vous le promets. Vous aurez tout loisir d'apprécier notre système de petit travaux rendus à la collectivité, Peine très allégé, vous verrez.

Nina n'avait plus de voix. Elle s'effondra sur son siège. Dans l'Affolement, elle essaya de trouver une solution. Oui, faire une proposition d'argent. Tous ces sales types sont corrompus jusqu'au cou, lui aussi, certainement.

— Monsieur, s'il vous plait, je vous en prie, vous ne pouvez pas m'emprisonner trois jours. C'est impossible. Enfin je n'ai rien fait de mal, et puis, on aura peut être retrouvé mes papiers et mon sac. Enfin je ne sais pas. Vous devez respecter ma liberté. Je suis française et je pourrai me plaindre à votre gouvernement pour séquestre abusif d'une étrangère.
— Pardon, Madame, vous faites erreur. Le gouvernement de Chine Populaire, c'est moi qui le représente en ces lieux. Si vous avez une plainte à formuler, je la prendrai par écrit et je la transmettrai à ma hiérarchie. Je vous écoute à ce sujet. Qu'avez-vous à dire ?

L'homme ouvrit un classeur à tirette, sortie une liasse de papiers machine bleu pale, rose pale, vert pale, tout était pale. Nina aussi d'ailleurs.

—  Je vais lui proposer de l'argent, oui, cents dollars. Il acceptera j'en suis sûre, pensa-t-elle.
— Ecoutez-moi, Monsieur, j'ai de l'argent en France, beaucoup d'argent, plus que vous n'en gagnerez dans toute votre vie de fonctionnaire. Vous me libérez sur parole et je vous apporte cent dollars. Cela vous convient-il ?
— Désolé, chère Madame, mais le dollar c'est américain. Notez que si vous me proposez trois cent mille yens, c'est préférable pour moi. Je vous ferai remarquer aussi que vous essayez de corrompre un agent d'état. Je n'ai pas besoin de votre argent, mon gouvernement me paye très bien et j'ai tout ce qu'il me faut ici.

Nina blêmit. Elle s'en voulait d'une telle méprise à l'encontre de cet homme. Que pouvait-elle faire maintenant, lui proposer davantage. Il fallait y mettre le prix.

— Pardon Monsieur, je ne vous ai pas proposé assez. Je double, non je triple la somme, je la multiplie par dix. Vous rendez-vous compte de ce que représentent mille dollars pour un chinois comme vous ?
— Vous faites une grave erreur, Madame. Je vous ai déjà dit que je ne suis pas achetable. Vous aggravez votre cas. Multipliez par dix mille et je vous promets que je vous libère sur le champ.

L'homme souriait, calme et imperturbable, certain de son effet. Sa proposition dépassait l'entendement de Nina. Il se mit à écrire quelques mots puis leva la tête, hurla vers le garde de faction. Il devait être quatre ou cinq heures de l'après midi, elle n'avait rien mangé ni bu depuis son arrivée. Précipitamment, le soldat entra, se mit au garde-à-vous, salua et pris la liasse de papiers. Tous deux se levèrent, face à face, puis se saluèrent en s'inclinant. L'autre fit demi-tour et parti. Le fonctionnaire reposa ses lunettes, rangea son bureau, le ferma à clé. Ensuite il se leva, prit son vêtement bleu, sa casquette de cuir marron, s'inclina respectueusement devant Nina, lui faisant un baisemain surprenant et s'en alla sans plus d'explication en lui souhaitant seulement un bon week-end. Nina voyait fondre ses espoirs en un instant. La panique s'empara d'elle.
Affolée ,elle s'adressa au garde. Imperturbable, il ne bougea pas, ne comprenant probablement rien à ses propos. Elle se leva, immédiatement l'homme la fît s'assoire avec brutalité.
Quelques minutes s'écoulèrent, deux femmes en uniforme entrèrent dans le bureau. L'homme de faction s'éclipsa. La plus grande s'adressa à Nina en chinois, unique lange qu'elle devait connaître, évidemment. Nina ne comprit pas un mot.

— Pardon, je ne comprends pas le chinois, parlez français ou anglais si vous...

Nina n'eut pas le temps de finir sa phrase. Elle reçut un coup de poing à l'estomac qui la fit se plier en deux, le souffle coupé de douleur et d'étonnement. Une des deux gardes la redressa par les cheveux, lui parla, probablement la même phrase, les mots semblaient les même, du moins Nina le pensait.

— Je vous en prie. Je ne vous comprends pas, qu'est-ce qui vous autorise à me frapper, Je vous int..

Nina reçut un deuxième coup, plus violent que le premier, puis une gifle sur la lèvre inférieure. Elle se mit à crier, puis du sang envahir sa bouche. Tout devenait trouble, vague, tout était rouge autour d'elle, les deux matrones redoublant de cris et de coups. Enfin tout devint noir et immobile. Nina s'écroula massivement sur le plancher en s'ouvrant l'arcade sourcilière sur le coin d'un bureau.

Quelques heures s'étaient écoulées. Nina ne savait pas où elle était. Pourquoi souffrait-elle de la tempe. L'endroit où elle se trouvait était plongé dans une obscurité quasi totale. Elle avait mal au nez, à la lèvre. Elle sentit quelque chose de mou dans sa bouche, mou comme du foie de veau mal cuit et froid. Dans un gémissement de dégoût, Nina recracha un gros caillot de sang, le toucha de la main et le trouva énorme. Brutalement elle se souvint, les deux femmes qui l'avaient battue, le taxi, le flic dans la rue, les soldats, ses papiers que le taxi avait embarqués, le bureau avec cet homme chauve aux lunettes.

C'était un cauchemar, un horrible cauchemar, il fallait qu'elle se réveille au plus vite. Nina restait là, inerte, incapable de se relever tant elle souffrait de son corps tout entier. Mal au ventre, mal à sa lèvre, une énorme bosse au cuir chevelu. En reprenant conscience, Nina ressentit une forte envie d'uriner. Il devenait urgent qu'elle soulage sa vessie. Elle se mit à tâtonner le sol, à repérer les lieux, peut-être trouver une porte et partir d'ici au plus vite. Elle avança toujours à tâtons, sans rencontrer d'autres obstacles que quatre murs poussiéreux et collant. La pièce était complètement vide. Il y régnait une odeur âcre et nauséabonde. Etait-ce une prison, un cachot, une cellule de garde ? Elle ignorait tout de cette détention forcée. Pourquoi l'avait-on enfermé ici, pour quel motif valable, quel crime qui aurait pu justifier une telle punition.

Elle ressentait le poids de l'injustice, le besoin de nourrire sa haine envers Chinois maudits. Elle se plaindrait au gouvernement de Chine et de France, elle les poursuivrait en justice, par la voix diplomatique. Elle ferait intervenir un vieil ami, un avocat new-yorkais, un jeune stagiaire avocat avec qui elle avait partagé un petit appartement de la quarante septième rue presque une année entière. Un type très curieux, un bûcheur de première, un brillant élève, un compagnon avec lequel elle n'eut que des rapports platoniques tant il s'était montré distant à son égard. Il n'avait jamais osé faire le premier pas, rien tenté ne serait-ce qu'un geste qui aurait pu changer leurs destinées, peut-être parce qu'elle avait eu trop d'ascendance sur lui, elle qui se croyait être son inférieure. Elle se souvient bien de lui, avec regret et nostalgie ? Elle aurait du faire les premiers pas, le sollicité, lui sauté dessus, le demander en mariage. Elle aussi avait été très réservée, peut-être trop timorée d'ailleurs. Elle vivrait peut-être aux Etats-Unis, dans une maison spacieuse à une heure de route du centre de New York ou de Washington. Elle leur ferait un procès retentissant, mais lequel au juste ? Les problèmes d'une petite française n'intéresseraient personne excepté peut-être son entourage immédiat. Qu'importe, elle ameuterait la presse, la télé, les magasines à scandales. Elle frapperait aux portes des O.N.G., des associations pour la défense des droits de l'homme et de la femme.

Il fallait qu'elle sorte de cette galère infernale. Nina se mit à appeler, à crier au secours. Personne ne vint. Son envie d'uriner grandissait de minute en minute, lui comprimait douloureusement le bas ventre. Il fallait qu'elle aille se soulager au plus vite tant la douleur devenait intolérable. Nina ne pensait plus qu'à son bas ventre, sa vessie prêt à éclater tant elle devait être distendue. Nina se retenait autant qu'elle pouvait quand une puissante lumière jaillit du plafond. Aveuglée, elle se protégea les yeux comme elle put immobile, sans pouvoir deviner ce qui allait se passer, sans envisager avec calme la suite des événements.

La porte s'ouvrit brutalement, deux gardiennes se tenaient dans l'embrasure de la porte, deux tortionnaires, des caricaturales de bandes dessinées en tenues de combat, bottes noires et ceinturons serrés autour de la taille. Une tenue faite pour accentuer les formes des deux cerbères. Elles criaient et cognaient leur matraque sur la porte de la cellule. Nina ne savait plus quelle attitude prendre. Il fallait éviter une autre raclée. Elle se leva péniblement puis se dirigea vers la porte. Elle eut le réflexe de baisser la tête en signe de soumission ce qui lui évita une autre raclée. Elle fut projetée hors de la cellule ex abrupto, menottée, puis conduite sans ménagement vers un endroit qui ne laissait aucun doute sur ce qu'on était censé y faire tant l'odeur qui s'en dégageait était nauséabonde. Nina se retrouva au milieu d'autres femmes, certaines à moitié nues, toutes accroupies et trop occupées par la nécessité première de la défécation. L'endroit n'offrait aucune intimité, de simples trous dans la céramique, l'eau ne coulant que trop faiblement pour espérer un peu de propreté. Il y avait huit places par deux vis-à-vis, une était libre.

Une des femmes accroupies lui fit signe de s'asseoir à côté d'elle. Elle lui souriait gentiment. Nina ne pouvait se dévêtir, ses menottes l'en empêchaient. Elle se retourna vers les gardes. La plus petite s'approcha d'elle, lui releva sa jupe. La surprise fut générale, toutes les femmes rirent à la vue de ses sous-vêtements d'occidentale nantie bien trop cher pour une chinoise qui n'avait que quelques dizaines de yens par mois pour vivre. La plus grande lui fît signe de lever les bras, l'autre lui ôta sa petite culotte d'un geste rageur. Elle fourra la culotte de Nina dans sa poche, ce qui la révolta mais bien trop morte de peur pour oser élever le ton. Elle finit part s'accroupir mais ne put se relaxer suffisamment pour uriner. On pouvait tout voir, tout entendre. C'était répugnant, très inconvenant, Faire ses petits besoins devant tout le monde ressortait de l'exploit pour Nina qui était si pudique. A sa grande surprise, la vielle femme d'à côté lui dit quelques mots en Français ?

— Dépêchez-vous. Dans deux minutes tout devra être terminé et vous ne pourrez plus revenir ici avant plusieurs heures, ce qui est très long quand on est pressé. Vous vous êtes retenue depuis trop longtemps. C'est mauvais pour votre corps. Ils font systématiquement cela les premiers jours, uniquement pour vous humilier, pour vous faire souffrir. Elles sont terribles dans ce centre, surtout les deux salopes de gardiennes qui vous ont accompagnée. Elles prennent un malin plaisir à voir vous tortiller de douleur, malheur à vous si vous faites vos besoins dans la cellule, elles vous marquent au fer rouge sur les épaules, comme les bovins.
— Je, oui, merci. Qui êtes-vous pour parler aussi bien le français ?
— Voilà plus de quinze ans que je suis dans ce trou de misère. Je suis chinoise mais j'ai vécu en Belgique presque vingt ans, mon mari était diplomate. Ils l'ont tué puis m'ont emprisonné, sans motif valable, sans jugement. J'attends d'être libérée dans quatre mois. Quatre mois ce n'est rien quand on a fait dix neuf ans de captivité. Vous verrez, ça passe plus vite qu'on ne le pense, seulement si vous avez la chance d'en réchapper. Allez, dépêchez-vous, il faut que vous uriniez rapidement sinon vous retournerez en cellule avec votre envie de pisser. Dépêchez-vous. Ici tout le monde se fiche bien de vos humeurs, de vos bruits. Nous sommes logées à la même enseigne. On fait et puis on s'en va. C'est tout.

Le visage de Nina s'inonda de larmes. Avec réticence, elle put enfin se libérer, se soulager. Apparemment, l'autre femme n'avait plus ce genre de préoccupations pudiques et ne semblait pas gênée par ses incongruités qu'elle faisait bruyamment. Elle se retourna vers Nina, et dit.

— Vous devriez faire comme moi. Ce n'est pas facile mais vous y arriverez très vite. Et puis si vous êtes constipée, vous vous mettrez un petit morceau de savon noir dans l'anus. Vous verrez, c'est très efficace. Le seul inconvénient ici, c'est le manque d'hygiène. Pas d'eau, pas de papier toilette, il faut se débrouiller avec les moyens du bord. Vous ramasserez quelques cailloux pendant la promenade, c'est très pratique et ça nettoie très bien, comme font les Africains.

Nina était dégoûtée, désespérée. Elle ne comprenait pas pourquoi une gifle à un agent pouvait entraîner une situation si désastreuse. C'était inimaginable. Elle fut reconduite dans sa cellule, toujours sans ménagement. La porte claqua brutalement derrière elle, puis l'obscurité. Nina s'assit lentement et se mit à appeler, à crier son innocence.

— De quel droit m'enfermez-vous ? Je veux sortir d'ici, entendez-vous, bande de chiens galeux ?
La voix de Nina n'avait pas d'écho, aucune réponse. Elle pensa à ses enfants qu'elle adorait plus que toute chose, sa maison si confortable, son frigo bien rempli, rien que des produits bien français, du camembert et de la crème fraîche, des fruits et des légumes, des tomates bien rouges et juteuses, un gigot d'agneau.... Nina salivait tant la faim la taraudait, tant elle avait souffrait de contractions stomacales. A bout de fatigue, elle finit par trouver le sommeil, à même le sol, humide et froid, sans rien avaler.

Quelques heures passèrent. Nina sortit très difficilement de sa torpeur. Il faisait jour dans la pièce, la lucarne laissait passer un peu de ciel bleu. Dehors il faisait grand soleil, le temps revenait au beau fixe. Elle reçut un coup de pied dans le dos, sans avertissement. Elle se retourna en sursautant, deux gardiennes lui firent signe de ce lever immédiatement. Nina se plia rapidement aux ordres, puis fût de nouveau menottée et conduite à travers d'interminables couloirs aux odeurs de saleté et de mauvaise cuisine de cantine, des vestibules sans fin. Ses gardiennes avançaient vite, très vite. Celle de devant ouvrait la marche en hurlant, celle de derrière la poussait avec sa matraque à petits coups, dans le creux des reins. Nina souffrait de partout. Une porte à double battant s'ouvrit. Sans réfléchir, elle s'avança. On lui désigna un panier, une sorte de vestiaire en plastique rouge et crasseux, les mêmes qu'on pouvait trouver dans les piscines parisiennes devenues trop vétustes.

Un homme d'apparence âgé, un ancien détenu ou un fonctionnaire lui ordonna quelque chose qu'elle ne comprit pas. Il s'approcha d'elle et tira violemment sur sa veste de tailleur, lui déchirant quelques boutons. Elle comprit qu'il fallait qu'elle se déshabille. Elle se dévêtit avec empressement, plaça ses habits sur le vestiaire. Elle n'osa retirer sa jupe, elle se savait nue dessous. Le vieil homme lui fit signe de l'ôter, une garde lui administra une gifle, une de plus, d'ailleurs Nina ne les comptait plus tant elle en avait reçu en quelques heures. Inutile de lui faire un dessin. Elle ôta le dernier rempart à sa nudité, se trouva complètement dévêtue. Elle se cacha comme elle put, un bras sur ses seins, l'autre main devant son pubis. Elle se sentait couverte de honte. L'homme lui pris son vestiaire, lui fit un clin d'œil lubrique. Par pur reflex Nina lui crachat dessus. L'homme maugréa mais ne répliqua pas. A sa grande surprise, les deux femmes rirent en le montrant du doigt. Elle se surprit à rire elle.

Le vieil homme quitta la pièce. Une détenue lui apporta un paquet de vêtements. Elle compris qu'il fallait qu'elle s'en vêtît sans tarder. Elle s'exécuta de peur d'être battu. Ils étaient un peu trop grand pour elle. Ils ne ressemblaient à rien de civilisé, totalement inélégant. Une culotte trop grande en toile rêche, sans élastiques, une sorte de chasuble sentant fortement la transpiration, un costume bleu nuit en toile de coton matelassé. Ses nouveaux habits étaient humide et sentaient la moisissure. Elle avait tout l'air d'une vraie chinoise, une pauvre chinoise. Elle avait faim et soif. Quand allait-on lui donner à manger ?

On vint la chercher, puis, après un interminable périple de couloirs, Nina pénétra dans une immense salle haut de plafond rappelant un hangar d'usine. Il y avait des centaines de femmes assises devant leur bol de riz, mangeant en silence, une musique nasillarde et propagandiste sortait de quatre haut-parleurs datant de la seconde guerre mondiale. Son arrivée ne passa pas inaperçu. Toutes les têtes convergèrent vers elle, la dévisagèrent. Elle ne savait plus ou se mettre tant elle voulait se cacher de ces femmes. Une détenue obèse lui désigna une place. Elle s'assit puis baissa la tête. La table était sale, collante de crasse. Un chariot genre popote s'arrêta à sa hauteur. On lui tendit une assiette remplie de riz collant surmonté d'un morceau de poison noir, des baguettes, un car en aluminium rempli d'une boisson qui aurait pu être du thé sur laquelle nageaient des ronds de graisse comme les yeux d'un pot au feu. Nina eut un haut le cœur. Elle ne put rien avaler tant cette nourriture la dégoûtait. Depuis combien de temps n'avait-elle rien mangé ? Elle ne sut pas répondre. Il fallait pourtant qu'elle avale quelque chose, qu'elle boive surtout. Sa voisine, le nez dans son bol se gavait de cette nourriture infecte, presque à s'en étouffer. Nina reconnut la femme des toilettes.

— Dépêchez-vous de manger. Mélangez le thé à votre riz, ça passe plus facilement.

Elle hésita un instant de trop. La musique cessa, un coup de sifflet strident retenti. Sans comprendre ce qui venait de se passer, Nina se retrouva seule assise, toutes les autres femmes étant debout, au garde à vous.

— Je vous avais prévenue. Maintenant il est trop tard. Levez-vous vite, sinon elles vont vous faire ramasser le sceau.

Nina n'eut pas le temps de réagir qu'elle reçut en pleine figure un sceau d'ordures infectes et collantes. Personne ne bougeait. C'était la sanction pour celle qui n'avait pas obtempéré.

— Baissez-vous et ramassez les vites. Sinon nous resterons debout toute la nuit et elles vous forceront à manger cette pourriture.

Nina se baissa, prit les déchets à pleines mains, les replaça du mieux qu'elle put dans le sceau. Ses mains puaient, les débris glissaient entre ses doigts. C'était écœurant. Elle était punie pour n'avoir pas assimiler suffisamment vite un règlement qu'elle ne pouvait apprendre que par l'expérience. Elle se dépêcha autant qu'elle put. Malgré cela une des gardiennes se dirigea vers elle, abattit sa matraque sur son dos qui n'était plus qu'un hématome. Elle hurla de douleur.

— Assez, je vous en prie ? Arrêtez, arrêtez ! Je vais tout ramasser.

Un deuxième coup la fit hurler, l'écho lui renvoya en pleine figure sa détresse. Nina s'écroula à terre puis perdit connaissance.

Un cri de terreur la fit sortir de son demi-sommeil. Elle avait le dos en feu. Chaque mouvement n'était que torture, supplice inutile.

— Que se passait-il ? Mon dieu !

Nina perçut un second cri, celui d'une femme qui rallait sous la torture. Puis un long gémissement et plus rien. Le plafonnier inonda la cellule de lumière. Elle ne comprit pas le message diffusé par haut-parleurs. Nina se leva péniblement, lourdement. De nouveau sa lèvre saignait. La porte s'ouvrit, Nina sursauta de peur d'être encore battue. Les deux grades étaient plantées devant elle, l'air encore plus mauvaises. Il fallait qu'elle se déshabille encore et encore. Dans l'immédiat, il fallait qu'elle se plie aux ordres.


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