16/02/2003 - Georges Viguier
Enfin la liberté ! - Part 4

Le plus dur à supporter, plus que les mauvais traitements qu'elle recevait, était cette détention arbitraire, sauvage sans la moindre explication. Elle n'avait rien fait d'aussi terrible pour être punie de la sorte, mérité un châtiment si dur. Chaque heure qui passait augmentait sa détresse. Que pouvait-elle faire sans contact extérieur, sans quelqu'un à qui se confier, sans aide possible.

Elle se retrouva nue et au milieu d'autres détenues nues elles aussi, des jeunes et des vieilles, des grosses et des maigres, certaines encore belles, le visage marqué par la souffrance. Elles étaient une trentaine peut plus. L'air était chargé d'odeurs irritantes, suffocantes. Nina passa devant deux femmes portant une sorte de masque à gaz, très impressionnant quand on s'attend au pire, les mains gonflées et rouges d'irritation qui lui projetaient une sorte de poudre blanche sur tout le corps. C'était une sorte de désinfectant genre DDT. Nina en reçut dans l'œil. Elle souffrait mais ne dit rien, de peur d'attirer une fois de plus l'attention sur elle.

Ensuite, le groupe de détenues se dirigea vers une autre salle, apparemment des douches. L'eau se mit à pleuvoir du plafond en jets puissants et froids. Nina n'avait pas de savon. Les femmes se précipitaient sous les jets. Il n'y en avait pas pour tout le monde. Elle n'eut pas le temps de se laver, l'eau fût coupée. Une grosse boite de morceaux savon noir passait entre les rangs, chacune en prenait une poignée et s'en frottait le corps à la hâte. Nina fit la même chose. Ce savon sentait la graisse d'atelier. Elle se rappelait les recommandations de la femme des toilettes, en garder un petit morceau. L'eau revînt. Dans un cri unanime, toutes les détenues se précipitèrent sous les jets d'eau, se bousculant parfois durement pour avoir la meilleure place. Les corps enduits de mousse glissaient les uns contre les autres, les vieux corps contre les jeunes, sans pudeur, sans ostentation, comme au bains turcs. Il fallait jouer des coudes, chacun pour soi.

C'était peut-être le seul instant de douceur que ressenti Nina, presque un plaisir inavouable de se frotter contre ces femmes. L'eau froide coulait sur son corps. Une eau bonne et agréable tant elle se sentait lavée des souillures, nettoyée des coups, débarrassée de cette saleté de poudre si urticante. Elle put se rincer, ce qui lui sembla un luxe inouï. L'eau cessa de couler, quelques gouttes trop lourdes vinrent s'écraser contre un ciment délavé, un ruisseau d'eau savonneuse s'écoulait à travers la bonde d'évacuation. Les femmes grelottaient de froid, se serraient les unes aux autres.

Nina était au milieu de toutes ses Chinoises. Elle était la curiosité du jour. Chaque détenue semblait détailler le corps de Nina, le commenter à voix basse en un long chuchotement qui enfla rapidement laissant place à des voix claires et aiguës puis à des rires joyeux et fort. Nina se savait être le point de mire de toutes ce qui la troubla sans vraiment l'affecter. Cet instant de calme, presque de réconfort ne pouvait pas durer.

Une gardienne siffla, mit fin instantanément à la scène. Ramassée sur elles-mêmes, les détenues se dirigèrent vers une autre salle. Il n'y avait pas de serviettes pour s'essuyer. Elles se mirent à former une longue fille d'attente silencieuse. Nina prit place, sans comprendre, sans réfléchir qu'allait elle faire maintenant ? Une autre bastonnade, aller aux toilettes, passer devant un peloton d'exécution ? Il ne fallait plus qu'elle réfléchisse à tout cela. Qu'elle agisse uniquement par réflexe, sauver sa peau, éviter les coups, se fondre dans la masse des prisonnières. Chaque femme passait devant un infirmier et un médecin. Nina ne pouvait voir leurs visages, ils lui tournaient le dos.

Deux hommes les ausculter une à une, aussi rapidement qu'on jette un vieux kleenex à la poubelle. Pour chacune d'elle, un des deux hommes prononçait une courte phrase, toujours la même. Chaque femme répondait la même réponse. Le tour de Nina approcha. Elle se dépêcha d'apprendre la réponse par cœur, sans savoir ce que cela voulait dire. Il ne fallait pas qu'elle se distingue des autres, se taire, éviter les coups. Quand vint son tour, Nina se campa devant le médecin. A sa surprise, c'était l'homme qui l'avait reçut dans le bureau, l'homme à lunettes cerclées de métal. Elle essaya de cacher sa nudité, la présence de ce type était terriblement gênante. L'homme lui parla en français, les gardiennes voulurent intervenir, matraque à la main, deux infirmiers s'interposèrent, les rembarra violemment.

— Madame Charles Nina ! Quelle surprise de vous revoir ! Vous êtes ....si peu vêtue en cet endroit ! C'est impardonnable de ma part. Au fait, ce n'est peut-être pas le lieu ni le moment de vous faire ce compliment mais je vous trouve particulièrement belle aujourd'hui. Je suis navré pour ce qui vient de se passer. Mes subordonnés ont certainement fait une erreur. J'avais laissé quelques consignes. Qu'on ne vous garde qu'une petite heure après mon départ et qu'ensuite on vous libère. Ces idiots n'ont rien compris ou n'ont pas voulu comprendre. Depuis la mort de notre guide, tout va mal en Chine. Nous allons réparer cela très immédiatement.

L'homme se leva, retira ces lunettes, dit quelques mots en chinois, se rassit. Le petit homme des vestiaires arriva en courant, portant ses vêtements, son sac à main, son sac de voyage. La vue de ses effets lui provoqua une émotion terrible. Nina sentit ses jambes mollir sous elle. Son cœur battait à tout rompre. Ses yeux déversèrent lentement un flot de larmes ininterrompu. Toutes les autres femmes la dévisageaient avec envie, presque avec rage. Elles aussi auraient aimé être reconnue, puis libérées. Elle eut une seconde d'hésitation, ne savait pas ce qu'il fallait faire, remerciez l'homme à lunette, ne rien dire, continuer de pleurer, se plaindre, se rhabiller.

Elle prit le parti du silence, empoigna son vestiaire, suivit le petit homme sans un mot, la tête dans les épaules. Une porte s'ouvrit, ils la franchirent, puis se referma bruyamment derrière eux. L'homme avait disparu. Nina perçut quelques bruits de bousculade, des cris de femmes puis des coups de feu et des gémissements enfin un silence de mort. Nina eut une terrible envie de fuir, d'appeler au secours. Elle pressa le paquet de ses habits contre son visage, cria de toutes ses forces jusqu'à ce que la gorge lui fasse mal. Dans quel monde était-elle tombée ? On tuait encore des gens, comme ça, sans procès, sans jugement.

Elle eut bien trop peur qu'on l'enferme, qu'on la maltraite. Elle attendit debout, sans osé le moindre geste, espérant qu'on n'irait pas l'enfermer. Elle se retrouva seule dans une petite pièce sans fenêtre. La lumière s'éteignit, Nina sursauta, son angoisse augmentait terriblement. Son corps fut pris d'un tremblement insupportable. Son ventre lui faisait très mal. La porte s'ouvrit. Devant elle un couloir sombre, apparemment vide. Elle osa s'y aventurer, fit quelques pas, derrière elle la porte claqua en un tonnerre de ferraille et de grincements de gonds mal graissés. Nina jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. Personne ne la suivait. Inquiète, elle avança droit devant elle, sans plus se poser de question, avec la terrible impression d'être suivi de près par quelqu'un.

Elle rencontra une autre porte en métal, sans serrure, sans savoir ce qui l'attendait derrière. Seule une barre métallique en barrait l'accès. Nina ne voulut pas y toucher. Inconsciemment, elle attendait d'en recevoir l'ordre, qu'on lui dise d'avancer, que c'était la sortie. Elle était là, sans savoir, à presser ses vêtements contre sa poitrine, attendre était la meilleure stratégie du moment. Qu'allait-t-elle devoir subir après toutes ces violences ? Une irrépressible envie de courir l'envahie. Nina osa poser la main sur la barre de fer. Elle entendit comme un bruit de pas, une conversation de personnes derrière la porte, un bruit de voiture, de rue, peut-être de liberté.

Poussée par l'irrésistible envie de fuir, Nina enfonça cette barre qui s'abaissa très doucement dans un petit grincement dont elle se serait bien passée de peur d'attirer l'attention, l'attention de qui ? Elle n'en savait rien, puis la porte céda d'un seul coup, une forte lumière l'aveugla, le soleil brillait de mille feux. L'air sentait bon la foule des rues, l'air des fumées des gaz d'échappement, des petites gargotes qui vendait une cuisine savoureuse et très épicée, qui dégageait une odeur délicieuse de poisson frit, de viande grillée et de beignet de crevette à la sauce de soja.

Elle sentit une violente poussée dans le dos, Nina se retrouva au beau milieu de la rue. Elle avançait d'abord prudemment, puis ce mit à courir droit devant elle, comme une folle, heureuse de pouvoir respirer, de voir des hommes et des femmes normaux, sortir de cet univers concentrationnaire digne des camps de la mort, endroit de cauchemar qui n'avaient pas disparu. Etre enfin libre. Les gens la regardaient un peu étonnés, faisant un cercle autour d'elle, une rumeur montait de la foule. Elle n'avait pas eut le temps de s'habiller, se retrouva nue au milieu d'une masse compacte de gens qui se moquait d'elle. Deux policiers se dirigeaient vers elle quand une sonnerie puissante se mit à retentir.

— Déjà cinq heures ! Il faut que je me lève....


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