31/05/2003 - Eric Van Cutsem
Serpent de Malheur...

Devoir traverser un parc et passer dans l’herbe humide pour atteindre une entrée de métro ! Voilà bien encore une idée stupide de nos élus locaux, pourquoi pas une jungle pendant qu’ils y sont. Enfin, de toute façon, je n’ai jamais de chance, je suis sûre et certaine que c’est la seule station de ce type dans toute la ville et qu’il a fallu que je tombe sur celle-là. Comme il était évident, d’ailleurs, que ma voiture tomberait en panne le jour où je ne peux m’en passer.
La chance, c’est comme la bêtise, ça s’attrape à la naissance et ça s’emporte dans la tombe… Et j’ai comme l’impression que les fées sont passées à côté de mon berceau sans s’apercevoir qu’il y avait quelqu’un sous les draps… parce que côté chance… S’il y a une m... de chien sur un trottoir, elle est pour moi, même un aveugle ne marcherait pas dedans, moi si. Si les portes automatiques du grand magasin décident de coincer quelqu’un, ce sera bibi. Et j’en passe et des meilleures… Je me demande d’ailleurs ce qui me donne le courage d’affronter le métro, ses portillons automatiques, ses contrôleurs, sa populace, ses grèves sauvages… autant de déveines qui me sont pratiquement réservées…

Et merde ! Ma jupe… Qu'est-ce que je disais ! Il y avait une seule bouche de métro alentour, un seul courant d’air chaud tous les quart d’heure et une seule personne qui porte encore une jupe sans bas à l’entrée de l’hiver et c’est ce courant d’air chaud là qui doit soulever MA jupe jusqu’au milieu de MES fesses afin de dévoiler MON anatomie à la moitié de la ville… Et celui-là, là-bas, qui ricane avec son sourire béat ! Je lui enverrais bien une paire de baffes pour laquelle il lui faudrait bien plus de sept ans de réflexion pour s’en remettre.

Enfin, je n’ai pas de temps à perdre avec un imbécile, quand faut y aller… Et hop, descendons en enfer… Pouah, quelle odeur pestilentielle, les égouts doivent probablement aboutir au même niveau que le métro, il n’y a pas d’autre explication… Et ça y est, la foule, qu’est-ce que je disais ? Heureusement que j’ai déjà mon ticket, parce que vu la queue au guichet, le dernier dans la file risque de ne pas recevoir son billet avant la dernière rame. Le portillon, maintenant, rude combat en perspective… Et je passe comme une fleur sur un cercueil. Incroyable, c’est peut-être l’unique jour de chance de ma vie, qui sait ? Aïe, la police… un contrôle d’identité… je parie que c’est pour ma pomme… voilà, ils s’avancent vers moi… c’est bon, c’est pour…

— Messieurs, là-bas, s’il vous plaît, vos papiers d’identité…

Ce n’est pas pour moi ! Ça alors, je dois être malade, en rentrant ce soir, je mange un peu, un bon grog, et puis au lit… Ma malchance ira mieux demain… Bon, maintenant, ne pas se tromper de direction, voyons le plan… Bastille… oui, c’est cela, c’est par là, parfait…

Et me voici sur le quai sans encombre… Aussi bizarre que cela paraisse, j’ai échappé à toutes les embûches classiques. Et là, quelle étourdie je suis, j’allais oublier. Sur les quais, ne jamais s’approcher des rails. Avec tous ces tarés qui courent les métros en poussant sur les rails tout ce qui se trouve à moins d’un mètre du bord, chats, chiens, mémés, jeunes gens, dans le seul espoir qu’une rame vienne parachever leur oeuvre d’une signature sanglante.

Ah, j’entends la rame qui arrive. Ça va, nous ne serons pas trop, une petite centaine à se précipiter sur trois ou quatre portes ouvertes pendant 20 secondes, tout va bien…
Et hop, un petit bond à l’intérieur de la voiture, tout en douceur. Me trouver une petite place debout, parce qu’assise, il ne faut pas rêver tout de même, surtout dans l’état de pourriture où se trouve la galanterie actuelle !

— Non, Monsieur, ce n’est pas la main courante, c’est ma main tout court, merci… et ça c’est mon pied, si, si, je vous assure, il n’est pas grand mais c’est le mien quand même…

Si je ne meurs pas écrasée, je mourrai sans doute asphyxiée par les diverses odeurs de transpirations et de parfums mélangés… Et c’est parti comme en 14. Allez, ne soyons pas négative, je vais même peut-être arriver à l’heure à mon travail !

Qu’est-ce qui se passe ?! Oh, non, ce n’est pas vrai ! Il ne manquait plus que cela ! La panne d’électricité… J’aurais dû m’en douter, trop de chance en si peu de temps ne pouvait qu’attirer sur moi soit un tremblement de terre, soit un raz de marée ou alors un cyclone… Je serais seule dans une voiture avec un homme, je dirais qu’il essaie de me faire le coup de la panne, mais là vu le nombre de personnes embarquées… Il fait vraiment noir… et ce n’est pas les quelques lampes de secours à la lumière blafarde qui arrangent les choses. Heureusement que je ne suis pas claustrophobe !

Tiens, les respirations deviennent plus saccadées. J’ai l’impression que nous sommes tous dans le même sac… Un grand mouvement en forme de vague parcourt la foule amassée dans la voiture. Évidemment, tous ces gens ne sont pas habitués, comme moi, à ces petits malheurs qui font le quotidien… car entre un cyclone et une simple panne d’électricité…

Mais qu’est-ce que c’est ? Ah, ça… Mais… je sens un truc glacé qui me monte le long de la jambe… surtout ne pas bouger… Ça ne peut pas être quelqu’un, c’est au niveau de ma cheville. C’est froid… froid comme… un serpent ! C’est un serpent, j’en suis sûre ! Ça ne peut être que ça… C’est glacé… il continue à monter… surtout ne pas bouger, ne pas crier, il ne m’a pas encore mordue. Je dois garder mon sang-froid et essayer de faire signe, d’alerter quelqu’un. Je savais que cette journée finirait mal. J’ai l’impression de sentir chacune de ses écailles, c’est horrible… et tous ces gens qui discutent et s’agitent sans même me remarquer… Surtout, ne pas bouger, je ne dois pas bouger… Mon dieu, faites quelque chose… il est presque à mon genou et j’ai beau chercher à l’entrevoir, il fait si noir, si noir… La lumière, oui, la lumière est revenue… je vais enfin pouvoir… mais…

Oh, non, ce n’est pas vrai, c’était un simple escargot…

7.12.89


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