21/09/2003 - Babel Master
Baroud d'honneur
Cest le jour tant attendu, celui où je vais prendre possession de ma nouvelle voiture. Il est vrai que lancienne, que jutilise depuis 15 ans déjà, ne me donne plus satisfaction. Entre les pannes de moteur, les défauts dallumage des feux et les freins capricieux, je ne me sens plus très à laise aux commandes.
Je prends donc place dans lhabitacle, pour la dernière fois, de cet ancêtre qui nest même pas capable de voler à plus de 20 mètres au-dessus du sol. Je tourne la clef de contact. Rien ! Décidément, elle a décidé de mempoisonner la vie jusquau bout.
Je sors donc de cette maudite boîte de conserve, passe devant et lui assène un coup de pied magistral. Imperturbable ! Moi, jen suis quitte pour un gros pansement sur le gros orteil gauche qui nest plus très droit après ce geste rageur.
Calmons-nous ! Il me reste lautre solution, pas très recommandée, cest vrai. Mais je me fiche pas mal des conséquences. Un branchement en surtension sur le générateur, et ça devrait redémarrer. Aucun moteur, neuf ou ancien, ne résiste à un tel choc. Au diable le démarreur ! Sil est grillé dans laventure, je nen aurai de toute façon bientôt plus besoin.
Un grésillement ! Quelques étincelles ! Et voilà le ronronnement presque agréable de ce vieux moulin électrique. À entendre cette musique onctueuse, je me demande si elle nessaierait pas de mamadouer pour que je change davis.
En route ! Ça faisait longtemps que je navais plus constaté une telle maniabilité. Wouaouww ! Cest génial ! je suis grisé par la vitesse. Tirons le manche vers le haut : Ciel ! Je le rejoins ! Cest incroyable, je décolle.
Comment est-ce possible ? Satanée voiture ! Tu aurais pu te montrer aussi docile depuis longtemps, et je taurais peut-être gardé encore un peu. Mais puisque tu es dans daussi bonnes dispositions, voyons ce quil te reste dans le ventre.
Jappuie à fond sur la pédale et reçois en réaction un fameux coup de pied au cul. Quelle accélération, mes aïeux ! Cest dingue, je nai jamais vu ça ! Continuons ! Montre-moi jusquoù tu peux aller. Accélère ! Accélère, encore ! Cest pas croyable. Je naurais jamais cru cela possible.
Ah ! Ça chauffe. Les warnings sallument et lalerte sonore vient de retentir. Bah, je suis presque arrivé. Au fond, autant lui offrir une belle mort. Un baroud dhonneur en somme. Continue ! Fonce ! Ne tarrête pas !
Je coupe lalerte pour ne plus être dérangé, je suis grisé par la vitesse. Et puis « Crac » ! Ça devait arriver ! Plus de pression, la poussée cesse instantanément. Le pilote automatique rétablit lassiette et me fait redescendre en douceur. La vitesse diminue et je touche le sol sans trop de mal. De nouveaux témoins clignotent, les extincteurs automatiques entrent en action. Je continue sur ma lancée, le garage est à vue. Il se rapproche encore, encore... Voilà ! Cest fini ! Mon véhicule simmobilise à 20 mètres de lentrée. Il nira pas plus loin mais je ne peux pas lui en vouloir.
Jentre dans létablissement et je demande à laccueil de me débarrasser de lépave grillée à deux pas. Je fais fi de la grimace du réceptionniste et annonce que je viens chercher mon nouveau véhicule au nom de « Takassé Momoteur ».
Lhomme en face de moi tapotte quelques touches, lit ce qui saffiche sur son écran, puis esquisse un sourire qui se mue en rictus en levant les yeux sur moi et mannonce :
Votre femme est venue hier en prendre livraison.
Comment, dis-je, ce nest pas possible ! Où est-il ?
Lhomme regarde par la fenêtre et martèle ces mots avec un plaisir évident :
Je crois quil brûle en ce moment sur le parking.
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