19/09/2003 - Mélanie Vialatou
Lâme Soeur
Aujourdhui, je dois rencontrer mon âme sur. Jai 21 ans. Je viens de terminer mes études et je dois me marier. Alors, il est temps que je rencontre mon âme sur pour pouvoir fonder une famille. Je ne vais pas être la seule aujourdhui. Nous sommes vingt à être bichonnées pour pouvoir paraître séduisantes. Pour moi, cest le passage de létat denfant à létat dadulte. Alors, je replonge dans mon enfance.
Je suis née le 21 juin 2985. Mes parents voulaient trois enfants. Jétais la deuxième. Dès quatre ans, jai montré une grande attirance pour les chiffres et les substances qui interagissaient avec un effet amusant, comme le bicarbonate de soude et le jus de raisin. Alors, on ma orientée vers une école de mathématiques et chimie. Mon frère aîné, adorant empiler des cubes pour quils ne seffondrent pas et bâtissant des châteaux de sable magnifiques, avait été intégré dans une école de maçonnerie. Il est chef de chantier et marié à une architecte. Ma petite sur, quant à elle, jouait souvent au docteur avec sa poupée. Elle est sur le point de terminer ses études dinfirmière.
Après quelques années dapprentissage, jai surpris les éducateurs en me passionnant de lecture. Principalement pour les livres écrits à la fin du XXème siècle et au début du XXIème. La naïveté de certains auteurs de science-fiction mamusait tandis que la véracité dautres me laissait étonnée. En effet, certains décrivaient la société du futur très proche de celle dans laquelle je vivais réellement.
Dans lécole, nous étions répartis par classes non mixtes. Nous avions le droit de rencontrer les garçons en dehors des cours, mais devant les professeurs, pas dinattention. Ou bien nous avions comme punition de nous occuper du secrétariat et il fallait rattraper les cours le week-end. Dès 12 ans, nous aurions pu aisément nous occuper de nimporte quelle question administrative sans difficulté, mais il y avait toujours un adulte pour nous surveiller et pour soccuper de tout ça quand aucun de nous nétait puni. Un différent toutes les semaines. Après tout, il avait souvent un autre métier à côté, dans la société, on ne pouvait se permettre demployer des fonctionnaires. Pourquoi payer des personnes à lambiner toute la journée et à faire grève à la moindre contrariété quand ces mêmes personnes pouvaient se rendre utiles à la société en variant les expériences de travail ? Il était important de varier les expériences et souvent, les adultes avaient au minimum trois emplois différents.
Le passage de la puberté nétait pas très difficile. Au moindre signe de tension, on parlait avec ladolescent en question et avec ses parents. Sil y avait besoin, ils sexpliquaient face à face avec une seule obligation : tout se dire, tout pardonner et ne pas recommencer la même erreur. La méthode marchait dans la majorité des cas. Pour ma part, il ny eut quun seul conflit grave. Mon père, à la suite dun malentendu, avait compris que mon travail à lécole nétait pas suffisant et avait voulu me faire travailler en plus pendant mes vacances. Mais les éducateurs le rassurèrent vite alors. Mon parcours était correct, même si loin dêtre brillant. Alors, il ny avait aucun besoin de me faire plus travailler que ce que je faisais à lécole. Mon programme était adapté à mes capacités.
À 16 ans, mes études préliminaires furent achevées, et je pus enfin me concentrer sur lapprentissage de mon futur métier dans laspect pratique. En effet, la théorie était considérée comme inapte à former à un métier, même si lerreur de préférer des diplômes témoignant de plusieurs années de théorie à lexpérience au début du XXIème siècle avait failli faire sécrouler toutes les sociétés procédant à ce type de sélection. Enfin, je pus observer en temps réel les maladies gagner lentement lorganisme des rongeurs transgéniques que nous avions créés pour que leurs cellules possèdent des marqueurs très semblables à ceux des humains.
Puis je devais, en observant le mode de transmission des virus, bactéries et autres antigènes, décider quelles molécules ou quels virus inoffensifs pour lorganisme infecté je devais utiliser pour amener le rongeur à sa guérison. La première année, peu de rongeurs avaient survécu. Et quelques étudiants avaient par mégarde injecté les toxines aux instructeurs, qui, à part à une occasion, sétaient dépêchés de sinjecter lantidote. Un seul était mort. Affolé, il navait pas retrouvé lantidote assez vite. Mais il faut dire quil avait atterri ici après un stage initiant à lhypnotisme. Il avait tenté de régresser dans ses vies antérieures mais navait réussi quà se provoquer des amnésies passagères. Dont une était arrivée au mauvais moment. Mais la dernière année, on avait pu samuser avec les nouveaux virus, les dernières mutations en date. À nous de reconnaître de quelle souche un virus dérivait afin dadapter nos soins.
À présent, jattends avec impatience dentrer dans la salle où nous allons rencontrer nos âmes surs. Il va y avoir 50 % de médecins, 25 % de biologistes et 25 % de pharmaciens. Je crois que je vais préférer un médecin. Il faudra quil aime lire et quil ait suivi un module de mathématiques avancées, comme celui que jai effectué à 12 ans. On parlera dintégrales, de dérivées et de primitives. Mais ils ont déjà veillé à ce que lun des hommes présents réponde à mes critères et que je réponde à ses critères. Ils savent toujours à lavance celui quon va choisir daprès ma mère.
Dans un des livres de science fiction que jai lu récemment, les gens ne se rencontraient pas comme ça. Ils se mettaient en couple au petit bonheur la chance. Mais ils parlaient damour. Quest-ce que cest ? Je nai pas pu le découvrir. Peut-être leur manière de trouver une âme sur. Un fil sort dune jointure entre mon ongle et ma phalange, à laide dun coupe-ongles, je le remets en place. Il ne manquerait plus quun court-circuit fasse sauter mes plombs. Je fais rouler mes mécanismes bien huilés. Jai gardé un des rongeurs bioniques que lon utilise. Très bien faites ces petites bêtes. Pour un peu, on les confondrait avec les originaux gardés dans lArche de Noé, le centre de cryogénisation où lon a enfermé tous les vivants car ils ne parvenaient plus à nous supporter, nous, les « robots » comme ils nous appelaient. Quelle décadence !
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