05/12/2003 - Olivier Poudoulec
Désert

Il y a d’ordinaires silences : celui du désert en est un. Je suis là, observant au-dessus du temps.

Je distingue au loin un fil ocre qui s’approche, une sinusoïde mouvante dans le creux souple des dunes. Ce sont des hommes, des femmes, des enfants qui avancent vers la nuit tombante au large des sables, une longue caravane, navire sans voiles, file mugissante, docile qui tangue doucement dans l’immensité solitaire.

Quelques cris d’hommes parfois se perdent dans la bombance des dunes mordorées, rétablissant dans le tracé invisible quelques bêtes attirées par le mirage de l’eau improbable. Il y a ces hommes qui heurtent les flancs des animaux, d’autres juchés sur ces peaux tendues, vibrantes, fiers d’être au-dessus de l’horizon, signe de l’appartenance supérieure, car ceux qui voient loin sont ceux qui ne se trompent pas.

Des enfants s’attardent devant un fennec, une gerboise, un serpent corail, ces animaux d’un autre monde, ceux qui n’ont d’yeux que pour les gens de passage, ceux qui ne troublent jamais la sérénité du désert. Les femmes suivent, ombres derrière les hommes, grands voiles noirs qui oscillent dans la poussière, les yeux vifs dans la fente du pli de la robe : elles regardent leurs enfants avoir peur. Il faut avoir peur pour continuer à vivre.

Il est l’heure de la halte du soir, le moment ou la nuit devient étoiles, accrochées au souvenir du jour, c’est l’instant ou les toiles se décrochent des dos épuisés des bêtes, redeviennent lieu de repos et d’intimité dans la nuit glaciale du grand désert, ou les tensions s’apaisent. On dresse les tentes. Et puis bientôt, au détour des feux de brindilles sèches, modeste présent de la nature, le feu s’ébroue joyeux comme une divinité ressuscitée au-dessous des mains glacées des hommes, on crépite avec les flammes en entamant à l’unisson de douces mélopées.

On sent alors la fatigue rompre ses attaches, les enfants se blottissent doucement contre leurs mères, leurs grands yeux clairs ouverts, étonnés comme d’immenses lunes offertes à la nuit : ce sont les fils, les filles du sable et du silence. Les hommes assouplissent leurs yeux parmi les rêves du soleil.

On finira de s’endormir, masse muette et endolorie confiée au murmure du feu dans la nuit profonde.

Je m’éloigne du lieu où je n’ai pas ma place et je regarde les étincelles qui montent vers les étoiles comme d’infinis messages vers des mondes que je ne connaîtrai jamais.

Il est tard, il faut rentrer.


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