06/12/2003 - Marcus Mildner
Le feu arrière de l’amour...

... ou la parodie mode d’emploi

DÉFINIR les personnages principaux en commençant par le principal, ici un médecin.
Le milieu médical a ceci de merveilleux qu’il est perçu de tous comme un milieu mystérieux (cadre énigmatique, hommes et femmes en blouse blanche, des produits, pilules appareillages à foison, aux noms imprononçables).
Tout le monde ou presque a déjà été malade, d’où une installation facile du lecteur. Les lecteurs qui n’ont jamais été malades ne sont de toute façon pas nos lecteurs.
L’homme ou la femme qui n’a jamais été malade est de toute façon une minorité et, franchement je ne les vois pas s’arrêter au kiosque de la gare et feuilleter (les mains moites) « le feu arrière de l’amour » !
Il faut le dire clairement : c’est une insolence que d’être en parfaite santé de nos jours, alors qu’il y suffisamment d’émissions sur la santé pour vous prouver le contraire, pour se sentir quelque chose de pas correct, de sournois, d’incubant.

BREF notre histoire d’hôpital c’est le top : commercialement on cible large et waoua ! Quel vocabulaire fantastique à disposition ! Dès que l’histoire patine un peu on insère une urgence avec tout le climbim qui en fait partie. Et des urgences dans un hôpital il y en a (c’est là qu’on mesure l’efficacité d’une série qui s’appelle justement… urgences).

LE NOM du personnage maintenant. Je propose « Attis Bertrand ». Pourquoi ?
Revenons pour cela à nos lecteurs qui ont entre 35 et 99 ans. Pour donner une aura au personnage il faut que son nom soit intemporel. Difficile de l’appeler « Kévin » ou « Jason » ou autre prénom de jeune délinquant en puissance. Les prénoms comme « Jean » ou « Daniel » sont ostensiblement trop connotés bibliquement et il faut penser aux athées. Le prénom doit avoir aussi quelque chose de mystérieux (suggérant la réincarnation d’un esprit au karma surchargé) avec une ouverture ésotérique (zeste de sciences orientales) annonciateur d’un combat intérieur et titanesque possible : qui l’emportera dans le moment insoutenable; qui est celui qui décidera de la vie ou de la mort ? L’esprit rationaliste du docteur Attis Bertrand ou sa nature profonde d’Homme ? (Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais de telles phrases sont nécessaires.)

CETTE dramaturgie ne doit pas exclure un brin d’humour, un clin d’œil du lecteur averti ou muni d’un bon dictionnaire. Car quoi de plus amusant que de lire qu’Attis est aussi le nom d’un berger aimé de Cybelle qui s’émascula dans un moment de folie après une violente colère de la déesse.

LE NOM lui laisse plus de latitude. Bien sûr Martin, Dupuis, etc. sont à proscrire, car trop communs (il pourrait y avoir un Dupuis, Martin dans l’entourage du lecteur). Bertrand est bien. D’abord, il est bien français (imaginez-vous un dieu en blouse blanche s’appelant « Virinovsky » voire « Abeba » (car cela ferait « Attis Abeba »)). Ensuite « Bertrand » cela fait un peu aristocratique tout en restant proche !

NOTRE personnage principal s’appelle Attis Bertrand. Qui est-il ?
Attis Bertrand n’est certainement pas heureux en amour, car sur quoi se fixerait l’émotion du lecteur qui, faut-il le préciser, est une lectrice ?
Attis Bertrand a environ cinquante ans. En dessous, il fait trop « gendre ». Une femme qui peut se dire « tient, l’Attis, il a l’âge du Pascal de ma Clara ! » ne va pas en tomber amoureuse.
Au-dessus de cinquante, Attis Bertrand rappelle trop la prostatite de l’oncle germain ou, pire, du mari !
Attis Bertrand, pardon « Dr » Attis Bertrand, est un homme mûr qui aime passionnément son métier : parcourir en blouse blanche d’un pas élastique les couloirs de l’hôpital, le visage légèrement soucieux (il pense toujours à ses patients, car il aime passionnément son métier), les stylos dans la poche gauche de sa blouse blanche (il aurait aimé les stylos dans la poche droite de sa blouse (blanche) car en fait il est gaucher) et le beeper accroché, cool, tel un colt, sur les hanches, parcourir disais-je, le fait… rêver.

DR. BERTRAND, égérie de ses lectrices, fait des rêves d’infirmières aux courbes charnelles qu’il croise dans les couloirs et qui le font bander.
Attis Bertrand a le sensoriel en alerte quand il croise Aline, infirmière aux formes pleines et fermes sous une blouse stricte et légèrement trop serrée.

MAIS là, on sort de notre propos.
Attis, la flamme de nos lectrices (si, si, il fallait la faire) aime passionnément son métier, d’ailleurs c’est son refuge depuis la disparition malheureuse de sa femme par une terrible maladie. (Très bien, la disparition de la femme, car il est maintenant totalement disponible.)
La lectrice pense : « Il était heureux, quel destin tragique ! Lui, Dr Attis Bertrand perdre sa femme par la maladie ! Moi, je saurais le consoler ! Moi, je saurais apaiser ce tourment intérieur ! »

ALINE aux seins fermes n’apaise pas Dr Attis Bertrand, car elle marche maintenant au côté du docteur.
— Docteur, les analyses du quatorze qui souffre d’une spondylite viennent d’arriver du laboratoire.
— Ah, merci Aline !
Dr Attis Bertrand saisit et parcourt avec attention le dossier du quatorze qu’Aline lui a remis.
Son ton est professionnel, même s’il dit :
— Ah, merci Aline ! alors que
— Ah, merci ! aurait amplement suffi.

MAIS voilà, ses rapports avec Aline sont paternels. Aline voit en Dr Attis Bertrand une figure rayonnant d’une autorité naturelle. Dr Attis Bertrand cherche à relâcher la tension qui naît à l’intérieur de son calcif et que chaque pas semble amplifier, en se plongeant dans le dossier du quatorze. N’y arrivant pas, il s’arrête :
— Voilà qui est vraiment préoccupant ! dit-il en pensant « pan ! » intérieurement (ce qui fait ce que vous en pensez !).
Aline, devant lui maintenant, plonge son regard dans le sien. Elle sait qu’il a vu juste.
Il a remarqué le taux anormal de facteur X dans le sang.

ALINE n’est pas simple infirmière car elle poursuit des cours par correspondance. Le facteur X, elle connaît donc bien, car c’était le sujet de son dernier devoir.
— L’hypophyse glandulaire du facteur X va nécessiter une opération d’urgence !

LE regard du Dr Attis Bertrand glisse vers le dossier et, du dossier, vers l’infirmière en chef Mme Berewsky qui s’avance vers eux et qui fêtera dans cinq jours son départ à la retraite.

MME BEREWSKY sourit au Dr Attis Bertrand.
Dr Attis Bertrand se détend et sourit à Mme Berewsky : il peut de nouveau marcher.


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