07/12/2003 - Thierry Kemp
De maux tus en mots dits

Je vous écris une lettre, et je précise bien une lettre pour marquer mon intention de ne pas vous en écrire d’autre, vu que les précédentes, au nombre de dix-huit, sont restées à ce jour sans réponse, ce pour quoi je les ai répertoriées et classées avant de les confier à un cabinet d’avocats pour qu’il constitue un dossier à charge, et vu que mon avocat (son nom vous fera peut-être sourire, mais, croyez-moi, sachant le sérieux avec lequel il a analysé les pièces reçues et la validité de mon cas, je pense que vous auriez tort de le prendre à la légère) Maître Tapin a décidé de prendre les mesures qui s’imposent pour mettre de l’ordre dans mon affaire, comme il dit, et de vous assigner devant le tribunal afin que, endéans les quinze jours, vous acceptiez de reconnaître vos torts ou, du moins, de convenir d’un accord satisfaisant sur l’évaluation du préjudice dont ma femme et moi-même furent les victimes bien involontaires et bien accommodantes puisque, dans l’intervalle de temps qui sépare l’erreur de diagnostic dont votre laboratoire – voyez comme je n’accuse aucun membre du personnel en particulier – est responsable et cette dernière lettre, je n’avais encore pris aucune décision (si ce n’est celle de vous écrire dix-huit fois la même lettre sollicitant une entrevue) quant à l’attitude à prendre devant ce problème, mais, étant donné que d’une part, vous restez sourd à mes appels et que d’autre part, mon épouse ne cesse de me harceler pour, je cite ses propres mots, vous faire souffrir autant que vous l’avez fait souffrir (et même pire encore), j’ai pris conseil auprès de cet avocat, ou plutôt du cabinet dont il est l’un des associés, renseigné par mon beau-frère qui le connaissait de réputation par l’intermédiaire d’un ami de son ex-femme qui y avait eu recours récemment et en était particulièrement satisfait, pour faire bouger les choses, sachant que tout cela vous dérange probablement et que vous devez maintenant vous demander pourquoi je vous raconte ce genre de détails superflus, à vos yeux, mais ô combien salutaires pour moi, car, si ma femme n’entend plus la plume gratter le papier, elle va s’imaginer que je vous ménage et va s’énerver, ce qui, vous devez le savoir depuis que les analyses (les bonnes, celles-là) ont révélé son insuffisance cardiaque, serait néfaste à sa santé et à votre portefeuille, bien que je n’en attende aucun remerciement de votre part alors que, d’une certaine manière, en agissant de la sorte, je veux lui éviter une aggravation de sa maladie, voire son hospitalisation, sachant que les frais que vous avez occasionnés par votre incompétence – et peut-on parler d’autre chose au regard de ce stupide échange de prélèvements – ces frais, dis-je, sont déjà suffisamment élevés pour nos maigres revenus et, du fait que vous n’avez toujours pas remboursé un centime ni versé le moindre sou pour nous dédommager, ne m’ont laissé d’autre choix – et, croyez-moi si vous le voulez, c’est la mort dans l’âme que j’en viens à cette extrémité – que de vous poursuivre en justice, tant il est vrai qu’arrivé à ce niveau de prétention où vous n’avez même pas la politesse de répondre à mon courrier, à mon grand désespoir, et pourtant, je peux vous dire que j’en ai eu des déboires avec la médecine, mais jamais, au grand jamais, on n’a eu l’audace de me faire l’affront, et affront il y a, de considérer mes demandes comme infondées car, si vous ne répondez pas, c’est bien sûr ce que vous en pensez, ou alors que vous vous imaginez que je vais perdre pied, me lasser, m’effacer, voire même disparaître simplement si le temps m’use suffisamment, ce en quoi vous misez sur le mauvais cheval, sachant que ma femme est la seule à souffrir d’une santé fragile mais que je suis fait du bois dont on fait les centenaires et que vous avez toutes les chances de prendre votre retraite avant que j’aie épuisé mes forces dans ce combat légitime et que, malgré tout le respect que je dois à votre personne que je sens bardée de diplômes mais exempte d’humilité, tout cela m’amène à vous dire zut, tout simplement, et à vous attendre de pied ferme à la première audience.

Victor Marcot


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