13/04/2002 - Philippe Lugrin
Quazarus - Chapitre 1



Je n’en suis pas encore revenu ! ! Ce matin alors que je profitais pleinement de mon dernier jour de repos, l’holophone a sonné. En décrochant, j’eus la grande surprise de découvrir sur l’écran le visage ridé de l’Amiral Suprême !
Il me dit à peu près ceci :

— « Commandant Keldan, je vous attends à dix heures trente au sénat, soyez à l’heure ! »
Ce furent ses seules paroles. Je voulus confirmer que j’avais bien compris les ordres mais le faciès de l’Amiral Suprême avait déjà été remplacé par un écran noir.

À dix heures, je pris ma Flycar et empruntais la voie urbaine 167 qui est le chemin le plus rapide pour atteindre le sénat. A mi-chemin je suis tombé sur un embouteillage dut a un accident, pour ne pas perdre de temps, j’activais le système de vol de ma Vector Flycar et m’élevais doucement du sol, en quelques secondes, je me retrouvais à trois cent mètres d’altitude, dans l’intervalle, j’avais programmé l’ordinateur de bord sur « Sénat », ceci afin de pouvoir me concentrer sur les raisons de l’appel du « Suprême » comme on surnommait le Big Boss des Centuries sans avoir à me préoccuper des délicates manœuvres de pilotage à travers les innombrables tours géantes qui formaient la ville d’Inir.
Mais plus je me concentrais et moins je ne trouvais d’explication logique à cet appel, je n’avais commis aucun impair qui justifierait une intervention personnelle de l’Amiral, je sais que c’était ce qui se passait parfois en cas de faute vraiment grave et si une menace pesait sur Atariss, j’en aurais été averti par mon supérieur direct dont je suis le second : Le Colonel Peerson du croiseur « IRYU IX  » alors, que pouvait-il me vouloir ?

Une fois arrivé, je repris les commandes manuelles pour l’atterrissage et je me suis posé sur une des places réservées aux visiteurs. Une fois descendu, je ne pus m’empêcher d’admirer ma Vector Flycar série 8000 édition limitée, « le plus puissant modèle de sport de série jamais construite par l’homme » pour reprendre les termes du concessionnaire, qui lui les avaient repris du dépliant publicitaire ! 860 chevaux sous le capot, carrosserie en fibres de compositium, affichage « tête haute » comme pour les chasseurs de combat ! Ordinateur de bord « Sam 456 », le must  ! Système de vol antigravitationnel de dernière génération développé par Avry Astronautics ! Etc.…etc., je stoppe ici cette description car la liste est encore longue ! Les zéros après le premier chiffre que la virtuabanque débita de mon compte le jour de son achat aussi !

Bon ! Ceci dit, je me suis dirigé vers l’entrée de l’imposant immeuble du Sénat dont l’architecture très ancienne contrastait avec les tours cubiques qui l’entouraient, le cadre était agréable, de nombreux coins de verdures avaient été savamment disposés afin que tout l’endroit rappelle le style terrestre du 19ème siècle, ceci en hommage a notre lointaine galaxie mère d’où partirent les premiers colons qui ont découvert Atariss il y a plus de 5000 ans, nous n’avons pas grand-chose de commun avec nos anciens cousins, si ce n’est notre aspect, notre langage et certaines mauvaises habitudes !
Cela aurait put perdurer si nos archéologues n’avaient découvert, 3000 ans plus tôt, la trace d’une civilisation hautement développée, Les Krells, qui aurait vécu ici il y a plus de 150000 ans. Notre vie changea radicalement une fois compris et mis à profit cette sensationnelle découverte, nos scientifiques et nos archéologues travaillèrent d’arrache pied durant des années pour percer les secrets de cette fantastique civilisation et… mais je m’égare.

J’arrivais donc au Sénat.

À peine à l’intérieur, je fus abordé par un jeune homme vêtu de l’uniforme des Centuries.
— Euh ! excusez-moi
— Oui ?
— Je suis le capitaine Cyruss De Danwell et…
— Oui capitaine ?…
— Pardon de vous importuner mais… elle est à vous cette 8000 bleue métallisée ?
— En effet, elle est à moi.
— Vous en avez de la chance, elle est… superbe, vraiment superbe
— Merci.
— Oh ! Et en plus, c’est la version Flycar ! ! quel veinard vous faites, moi je n’ai qu’une 3500 en version normale, je n’ai pas les moyens de m’offrir la version Fly.
— Tout cela est très intéressant mais…
— Dites, elle doit coûter cher !
— Très ! maintenant excusez-moi, mais je suis attendu. À la prochaine peut-être ?
— Oui… oui, c’est ça, à la prochaine et… excusez-moi !

Après cette rencontre pour le moins incongrue mais qui, je dois le reconnaître, avait flatté mon orgueil, je pus enfin me présenter à l’Amiral Suprême mais avec une minute de retard !
C’était un homme d’une soixantaine d’années, plus grand que je ne l’imaginais, le contraste entre ses cheveux blancs coupés en brosse et la couleur pourpre de son uniforme constellé de décorations était saisissant. Il était assis derrière son bureau en bois bleu de Kolira , l’air contrarié.

Je m’attendais à un sermon sur la ponctualité, mais il n’en fût rien, au contraire, alors que je me tenais au garde à vous raide comme un piquet, il me dit avec un large sourire :

— Repos commandant ! Repos ! et asseyez-vous, vous allez en ressentir le besoin après ce que je vais vous apprendre !
Après une hésitation, j’obtempérais, en m’attendant au pire. Les questions se bousculaient dans ma tête. Au même instant, l’Amiral perdit son sourire et déclara solennellement :
— Commandant, après avoir étudié votre dossier et vos états de services, le Haut Commandement à décidé de vous confier le commandement d’une unité de la 6ème Centurie… et ceci avec effet immédiat !

J’étais surpris certes, mais pas au point d’avoir besoin d’une chaise, c’était effectivement un honneur de commander une unité de la prestigieuse 6ème Centurie, mais je pouvais encaisser beaucoup plus que ça sans pour autant défaillir.

— Commandant, savez–vous ce que signifie le nom d’« ATARAXIA » ?

Si je le savais ! ! si je le savais ! ! et comment que je le savais ! l’« ATARAXIA » vaisseau amiral de la 6ème Centurie, le fleuron de nos géants de l’espace, la plus moderne de ses unités ! n’importe quel commandant donnerait jusqu'à sa dernière chemise pour le commander ne serait-ce qu’un jour ! je me calmai et répondis d’une voix neutre :

— Oui, je le sais, mais pourquoi ?
— L’Amiral Keeran qui le commandait pour sa période de rodage depuis sa sortie des chantiers de construction d’Akir a pris une retraite bien méritée. Ce vaisseau se trouve actuellement sans commandant, il était nécessaire que nous en trouvions un et c’est vous qui avez été désigné pour le remplacer !
Puis il me gratifia d’un sourire et se penchant vers moi, me chuchota d’un air complice :
— Et je vous rappelle que seul un Amiral est habilité à commander une unité de ce type…

C’est là que j’ai été heureux de trouver la chaise ! avais-je bien entendu : ATARAXIA ? Amiral ? J’étais sans voix ! le Suprême remarqua mon trouble et paru s’en amuser :

— Amiral, ça ne vas pas ?
— Oui ! euh ! NON… enfin SI…
— Je pensais bien que cela vous ferait un choc, j’ai donc bien fait de vous faire asseoir !
— Veuillez m’excuser Amiral Suprême, quand dois-je prendre mon poste ?
— La 6ème Centurie appareillera dans 72 heures, vous devrez être à l’astroport dans deux jours à 16 heures, une navette vous attendra et vous conduira à bord, là vous serez accueilli par votre second, un brillant jeune officier commandant, il vous fera faire le tour du propriétaire, si j’ose dire. Cependant, il faut que je vous précise certaines choses…

VOILÀ, on y était, il y avait un mais… c’était trop beau pour que ça dure.

— Bien qu’il soit basé sur l’architecture de nos Super Cuirassés Astroforteresses, le vaisseau que vous allez commander n’est pas exactement une unité de combat, il s’agirait plutôt d’une base scientifique mobile qui doit nous permettre… VOUS permettre ! d’apporter certaines réponses aux questions que le conseil se pose à propos de la constellation de Tanos.

Tanos ! ce n’était pas ce que l’on pouvait appeler la porte à côté et servir de nourrice a un équipage de vieux scientifiques n’avait vraiment rien de très excitant.

— Vous trouverez tous les détails de votre mission à bord.
Il s’en suivit un long moment de silence et je crois qu’une certaine déception pouvait se lire sur mon visage car le Suprême ajouta :
— Je sais ce que vous pensez : je suis un soldat et je me retrouve commandant d’une expédition scientifique à bord d’un mastodonte de l’espace fait pour le combat avec pour équipage un tas de vieux cerveaux excentriques qui emploient pour s’exprimer un langage qu’eux seuls peuvent comprendre. Un conseil, oubliez les vieux clichés et ne prenez pas cette mission à la légère.
— Telle n’était pas mon intention Monsieur.
Ma voix était moins assurée que quelques minutes au paravent.
— Allons rassurez-vous ! l’ATARAXIA possède une puissance de feu suffisante pour assurer votre sécurité. Seuls quelques éléments ont été modifiés afin de répondre aux exigences de cette mission pour le reste… Avez-vous des questions ?
— Une seule.
— Je vous écoute.
— … Pourquoi moi ?
— Keldan ! Vous devez être le seul officier de toute les Centuries à vous poser des questions sur le pourquoi de sa nomination !
— C’est normal, qu’ai-je fait pour mériter cet honneur ? Je me suis peut-être distingué une fois ou deux dans des situations difficiles, mais je le dois plus à la formation dispensée à l’Académie qu’à mes ressources personnelles.

À ce moment-là, il me fixa droit dans les yeux, si intensément que je me sentis mal à l’aise.

— Vous vous sous-estimez Keldan, il est extrêmement rare qu’un officier commandant en second soit promu Amiral, sans avoir suivi le parcours hiérarchique. Mais sachez une chose : nos amiraux ne sont jamais choisis par hasard, ce sont tous des hommes exceptionnels, et croyez-moi, VOUS… Keldan, vous avez l’étoffe d’un grand Amiral !
Son regard quitta le mien. Il se redressa, se dirigea vers la grande baie vitrée qui donnait sur le parc et croisant les mains derrière son dos ajouta :

— Mon instinct ne m’a jamais trompé, il m’a sauvé la vie plus d’une fois, lorsque je combattais à bord de mon chasseur, durant les Guerres Stridiennes, je ne serais pas devant vous si je ne lui avais pas fait entièrement confiance. Bien, si vous n’avez pas d’autres questions, vous pouvez disposer.
N’ayant aucunes autres questions je me levais, saluais et me dirigeais vers la porte automatique lorsque sa voix grave me stoppa net.
— Encore une dernière chose, Amiral, n’ayez qu’une confiance limitée en la technologie ! et laissez votre instinct vous guider !

Il était 11 heures 30 lorsque je quittais le Sénat, bien que toujours sous le coup de l’émotion, je me dis qu’une telle promotion devait ce fêter. Alors, j’ai pris ma Vector et je suis allé dîner dans un restaurant chic.

Cet établissement était reconnu pour accueillir des gens fortunés et mon entrée fut pour le moins remarquée ! En effet, un officier des Centuries ne fait pas partie de la clientèle habituelle !
Je sentis tous les regards se poser sur moi, celui inquisiteur des hommes et celui plus intéressé des femmes. Le prestige de l’uniforme ?

Vers 14 heures, après avoir fait un bon repas et le mot est faible ! je me suis baladé dans Inir sans aucun but précis, une promenade d’adieu en somme, comme j’en fais toujours avant de partir en mission. Cette manie date du temps où frais émoulu de l’Académie je suis parti pour la première fois à la découverte de l’inconnu, car même à notre époque nous ne connaissons pas tout de l’univers et de ses secrets, certains d’entre eux peuvent être mortels.
Chaque fois que je pars, je ne suis pas sûr de revenir, alors je prends mes précautions.

L’idée que dans deux jours à cette heure j’aurais pris le commandement de l’« ATARAXIA » provoque en moi un mélange d’impatience et d’anxiété. Enfin, une bonne nuit de sommeil et tout devrais rentrer dans l’ordre !


19 juilla

Tout n’était pas rentré dans l’ordre loin de là, mon repos avait été agité, d’incessantes images s’étaient bousculées dans mon esprit : La Terre, Atariss, l’histoire de ma naissance que ma mère me racontait sous le regard amusé de mon père. J’étais né en bordure du système d’Atar 35 ans plus tôt à bord du vaisseau de ligne AJIMA qui établissait la liaison entre Atariss et Boralus. Mes parents, d’éminents scientifiques, l’empruntaient régulièrement pour se rendre sur la 3ème planète de ce système qui abritait leur laboratoire de recherche. Je revis également l’ARAGOSTA, mon croiseur, déchiqueté 6 mois au paravant après avoir essuyé plusieurs coups au but tirés par des nefs dissidentes Stridiennes, bien qu’un traité de paix ait été ratifié par l’empereur de Stridia 40 ans au paravent, il restait encore des factions dissidentes que Välipalak VII n’avait pût mater.

Tout cela fit que les deux soleils jumeaux pointaient à l’horizon lorsque je pus enfin trouver le sommeil et ils étaient déjà très hauts lorsque je m’éveillais. Le seul problème c’est qu’ils s’étaient recouchés entre deux ! J’avais dormi plus de trente heures, le temps de rotation d’Atariss et il ne me restait que quelques heures avant d’embarquer dans ma navette.

Je pris une bonne douche et revêtis mon uniforme gris de Commandant (j’espérais qu’ils n’avaient pas oublié d’embarquer mon nouvel uniforme !) un bref message m’informa que mes effets personnels avaient été transférés de mon ancien bâtiment, à bord de l’ATARAXIA.

À 16 heures, je quittai mon logement tout en me demandant : Quand serais-je de retour ? Je dois dire que l’anxiété me gagnait quelque peu, une fois à bord de ma Flycar, je décidais de ne pas enclencher le pilotage automatique et d’emprunter la route pour me rendre à l’Astroport, le fait d’utiliser la conduite manuelle et d’être maître de mon véhicule avait sur moi un effet relaxant, j’oubliais pour quelques instants, l’extraordinaire défi qui se présentait à moi.

Au fur et à mesure que je quittais le centre-ville et son opaque forêt de tours géantes, les beautés d’Inir commencèrent a s’offrir à mon regard, de grands et magnifiques espaces de verdure composaient les faubourgs de la cité, les habitations s’harmonisaient parfaitement avec le reste du paysage, au loin j’apercevais les collines de Tisiak et au-dessus de moi je devinais les incessants aller et retour des Flybus faisant la navette entre l’astroport et le centre-ville.
Dans quelques minutes, j’atteindrais le tunnel qui devait me conduire aux abords directs des halls d’embarquement d’Inir, deux cent soixante-cinq kilomètres de ligne droite. Plus je m’en approchais et plus je me sentais fébrile comme un enfant qui va retrouver son jouet favori après une longue séparation.
Les 860 chevaux de ma Vector allaient enfin pouvoir mugir en toute liberté, cette sensation de vitesse est indescriptible, bien sûr dans l’espace les chasseurs peuvent atteindre des vitesses phénoménales, mais on ne voit pas les arbres et les lumières défiler à toute allure ! Non, décidément ces deux sensations n’ont rien de comparable !
Mon seul regret était que technologie oblige, je ne percevrais que le sifflement des deux compresseurs et non le ronronnement de mon V8 comme je l’avais entendu en visionnant des archives de courses automobiles qui avaient lieu sur Terre en circuit fermé au 20ème siècle, mais enfin on ne peut tout avoir n'est-ce pas ?

J’enfonçais la pédale de l’accélérateur et ne la relâchais plus durant près d’une demi-heure, durant ce laps de temps, il n’y avait plus sur Atariss que moi et 900 kilos de plastométal bleu métallisé rugissants !


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