07/06/2002 - Philippe Lugrin
Quazarus - Chapitre 2



Je suivais ses instructions et arrivais sur l’aire d’atterrissage numéro 29. Curieusement, le secteur militaire du spatioport qui d’habitude regorgeait d’activité était très calme. Il y avait juste un ou deux croiseurs et quelques vaisseaux ravitailleurs, mais quasiment aucune unité lourde excepté un cuirassé de classe "Centurion" qui s’était posé quelques minutes plus tôt afin d’effectuer un changement d’équipage et un ravitaillement complet avant de repartir en mission. L’opération durerait trois jours. Je connaissais parfaitement cette procédure, l’ayant moi-même effectuée à plusieurs reprises.

Par contre sur la partie civile, l’activité était intense. Les décollages et les atterrissages se succédaient à un rythme soutenu. Des vaisseaux de toutes tailles et de toutes catégories faisaient escale ici : Les unités de ligne géantes pouvant embarquer plus de neuf mille trois cents passagers en classe Ultra Confort, les cargos en provenance des autres planètes du système d’Atar, mais aussi de systèmes extérieurs et même des galaxies voisines, les corvettes d’affaires, les petits vaisseaux privés et bien d’autres encore.
Au milieu du brouhaha des propulseurs, j’entendis une voix qui me hélait.

— Amiral ! Amiral !

Je détournais mon regard de ce spectacle et aperçus un homme qui me faisait de grands signes depuis le haut de la passerelle d’accès de sa navette. Il descendit les quelques marches le séparant du sol pendant que je m’approchais à vitesse réduite. Je coupais le moteur et descendis à sa rencontre.
Il mesurait environ 1 mètre 80, ses cheveux noirs descendaient jusque sur ses épaules. L’inscription gravée en lettres argentées au-dessus de la poche gauche de son uniforme orange le désignait comme étant le capitaine Dobrajewski.
Il avança et me tendit la main. Tout autre que moi aurait établi un rapport pour ce manque de respect envers un officier supérieur, mais je tendis la mienne et nous échangeâmes une solide poignée de mains.

— Et bien capitaine Dobrajewski, les nouvelles vont vite.
— Dobs, tout le monde m’appelle Dobs, Amiral… et votre second nous a informés… je ne voudrais pas vous presser mais si nous ne décollons pas d’ici cinq minutes nous allons perdre notre créneau horaire.
— Ah ?
Il me désigna deux transporteurs posés un peu plus loin.
— Si ces deux-là décollent avant nous, nous allons être sacrément à la bourre !

« À la bourre » ? Certainement une ancienne expression argotique terrienne que je ne connaissais pas. J’en avais déjà entendu beaucoup mais celle-ci ne faisait pas partie du nombre. Nous avons embarqué ma Vector que je ne voulais pas laisser à l’abandon et quatre minutes plus tard, la navette ISIS quittait le sol d’Atariss.

Dès que nous fûmes dans l’espace, les systèmes automatiques assombrirent les vitrages du vaisseau afin que nous ne soyons pas aveuglés par le rayonnement des deux soleils. Au bout d’un moment, j’aperçus à ma droite la station orbitale OMEGA 8, sorte de garage spatial de 25 kilomètres de circonférence. C’est ici que la plupart des véhicules spatiaux font halte, soit pour une réparation de fortune ou alors pour un service d’entretiens complet.
Si on en est assez éloigné, sa forme sphérique fait penser à une petite planète. Mais dès que l’on s’en approche un peu, on peut nettement distinguer en son centre une immense ouverture rectangulaire éclairée par de puissants projecteurs qui telle une gueule géante avale et recrache des engins de tous types. Et sur ses côtés, les deux excroissances, également rectangulaires, servant d’amarrage pour les ravitailleurs.

17 heures 52, les battements de mon cœur s’accélèrent au fur et à mesure que les minutes s’égrainent. Dans quelques instants, Dobs va envoyer son code d’identification.

— Ici navette ISIS, nous demandons la désactivation de l’écran AF, nous envoyons notre code…
Il tapota quelques symboles sur le digiclavier de l’ordinateur de bord, et au bout de quelques secondes, une voix de femme nous répondit.
— Ici contrôle Ataraxia, votre code est correct, nous désactivons l’écran AF.
Devant moi, l’espace sembla se troubler et se mettre en mouvement, petit à petit, je commençais à distinguer les contours d’un gigantesque mur qui se dressait immobile devant nous. Après environ dix secondes, tout devint net et je pus contempler l’un des flancs de l’Ataraxia.
— Contrôle Ataraxia à navette ISIS, virez au 230 afin de vous aligner sur le pont A, nous vous guiderons pour l’appontage.
— Bien compris Ataraxia.

Dobs se retourna vers moi et afficha ce qui devait être son plus beau sourire en me déclarant fièrement :

— Et voilà Amiral et pile à l’heure en plus ! Voici votre nouveau jouet : le SCA. ATARAXIA. Neuf mille trois cent vingt-trois mètres de long de la proue à la poupe et trois mille six cent vingt de large, du pont C au pont D. Soit respectivement quatre cent soixante et deux cent six mètres de plus que les autres SCA ! Huit mille six cent cinquante membres d’équipage. Scientifiques, techniciens, ingénieurs, médecins, soldats, pilotes, ainsi que bon nombre de spécialistes en tout genre. Cinq ponts d’envols. Quatre disposés en X, chacun fixé à trois bras de soutiens. Le cinquième se trouvant sur la partie supérieure du vaisseau. Vitesse maximale : Disto 18.5 . Il paraît même qu’il a dépassé 21.9 en simulation ! Meilleures armes offensives : 2 pulsars MANDRAGORE à l’avant, 8 lance-torpilles à antimatière PHOENIX dont 4 orientables. 3 sur la partie antérieure du vaisseau, 2 sur chaque côté et 1 à l’arrière.
Meilleures armes défensives : Le dispositif d’occultation AF et l’écran protecteur SH capable à lui tout seul d’encaisser le feu nourri d’une escadre entière pendant 12 minutes ! Le contrôle positronique est assuré par un super cerveau Krell de génération Protheus. Avec ça et tout le reste, vous pouvez vous sentir le maître de l’univers !
— Je n’en demande pas tant !
— Ah ! encore un détail, ne vous fiez pas aux apparences, malgré sa taille et sa masse, il est aussi maniable que cette navette.
— Bien Dobs, merci pour tous ces détails.
— Pas de quoi, Monsieur.
Un bip d’avertissement retentit.


— Ça y est, le contrôle appontage vient de nous prendre en main.
Isis se cabra légèrement et se positionna à la verticale de ce mastodonte dont on m’avait confié le commandement. Nous avons commencé à en longer la surface et au bout de trente secondes les lumières du pont A nous apparurent. L’ouverture, quoique bien moins grande que celle de la station OMEGA 8 possédait les mêmes caractéristiques : Des bandes rouges clignotantes courraient le long des sept cent vingt mètres de piste. L’alignement était parfait et elles passèrent au vert.
Nous nous sommes délicatement posés sous le regard bienveillant des contrôleurs d’appontage perchés dans leur cabine de surveillance. Je reconnus l’une des femmes, je savais bien que sa voix me disait quelque chose, elle avait été sous mes ordres un an au paravent avant d’être grièvement blessée pendant l’attaque de l’ARAGOSTA par les Stridiens. J’étais heureux de voir qu’elle s’était bien rétablie, il fallait que je pense à passer lui dire bonjour un de ces jours.

Une garde d’honneur m’attendait. Deux rangs de douze hommes impeccablement alignés, habillés de leur uniforme de parade blanc avec à leur tête un homme en uniforme noir, sa cape jaune lui descendant jusqu’aux chevilles, encore un souvenir du passé terrien. Ses traits m’arrachèrent une exclamation de surprise.

— Tiens donc !
À peine avais-je posé le pied sur mon nouveau bâtiment que la troupe se mit au garde à vous et l’homme en noir s’approcha. Je crois que sa surprise fut encore plus grande que la mienne.
— Vous ! Euh ! excusez-moi Amiral.
— Eh bien Commandant Danwell ! Il ne se sera pas passé beaucoup de temps avant que nos chemins ne se croisent à nouveau.
— En effet !
— Repos Commandant et félicitations pour votre promotion.
— Merci, de même Monsieur.
Après avoir procédé de manière solennelle à l’inspection des hommes et fait rompre les rangs, je me dirigeais vers les ascenseurs antigrav, le Commandant Danwell m’emboîta le pas.

— Au fait Commandant, ma Vector est à bord. Si par hasard nous découvrons une planète où la configuration au sol s’y prête, vous pourrez faire un tour. Qu’en dites–vous ?
— Et comment ! Avec le plus grand plaisir !
— Bon, ce détail étant réglé, emmenez-moi sur la passerelle de commandement.
— A vos ordres Monsieur.

Le poste central du vaisseau était situé quelques centaines de mètres avant la proue. Il formait une petite excroissance sur son sommet. L’intérieur en forme de demi-cercle était traversé de part en part par des rangées de consoles où siégeaient des spécialistes de tous bords.
Surplombant ces trente personnes, mon domaine, la passerelle de commandement. Également de forme demi-sphérique elle ne comprenait qu’une seul rangée d’écrans et de systèmes de contrôle. Un peu en retrait se trouvait ce que je nommais mon « bureau », une console isolée comprenant cinq écrans me retransmettant en permanence les données importantes ainsi qu’un digiclavier et divers systèmes de commande.
Derrière tout ceci trônait un fauteuil de cuir noir qui semblait extrêmement confortable et que je me réjouissais d’étrenner. De mon perchoir, j’avais une vue parfaite sur la baie panoramique en plastoverre de quarante mètres de large qui offrait le spectacle fascinant d’une nuée étoilée. L’avantage de ce type de vitrage était que l’on pouvait afficher une foule de données en surimpression, il était également possible de le transformer en simple écran et se servir des caméras extérieures et autres télescopes ultra sensibles pour zoomer sur un ou différents points de l’espace.

Pour qui pénètre pour la première fois dans le poste central d’un Super Cuirassé Astroforteresse, l’impression de gigantisme éprouvée à ce moment là restera gravée comme le plus impérissable des souvenirs.
L’officier de service m’annonça :

— Commandeur sur la passerelle !

C’est ainsi que dans les unités lourdes des Centuries l’on nomme le premier homme du bord et ceci quel que soit son grade.
« Commandeur sur la passerelle », il allait falloir que je me m’habitue à ce que cette phrase soit prononcée par un autre que moi !
Toutes les personnes présentes se levèrent et se mirent au garde à vous.

— Repos et dorénavant, lorsque ces paroles seront prononcées, vous n’aurez plus à vous interrompre pour saluer, elles ne serviront qu’à vous informer de ma présence dans le poste central. Veuillez reprendre vos activités je vous prie.


— Si vous le permettez Commandeur, je voudrais vous montrer vos quartiers, il va bientôt être l’heure du repas au mess des officiers et vous désirez certainement vous changer auparavant.
Il était dit que l’inauguration de mon fauteuil devrait attendre encore un peu, mais le Cdt Danwell avait raison. Il était temps pour moi d’abandonner mon uniforme actuel et de revêtir celui qui correspondait à ma nouvelle fonction.
— Entendu Cyruss, vous permettez que je vous appelle Cyruss ?
— Oui Monsieur, aucun problème.
— Alors, allons-y ! Je vous suis.

Une fois entré, j’entrepris l’exploration de mes quartiers. La pièce dans laquelle je me trouvais faisait office de lieu de travail. C’est là que je recevrais les membres de mon équipage. Un bureau noir brillant aux bords en faux marbre bleu roi, un fauteuil et deux chaises anamorphiques, une armoire fermée ainsi qu’une étagère en composaient l’équipement. Les murs étaient décorés des classiques holophotos du vaisseau, des insignes de la 6ème Centurie et de quelques autres représentations de moindre importance. Le plafonnier diffusait une douce lumière blanche.

Je fis quelques pas, une porte s’ouvrit et je découvrais ma salle de séjour. Plus spacieuse, elle était meublée d’une table basse en plastoverre transparent dont le pied en acier travaillé représentait deux lions se faisant face, de deux canapés et d’un fauteuil en cuir vert pâle, d’une holobibliothèque, d’un bar argenté qui m’avait l’air bien garni et d’une installation audio-vidéo dernier cri. La lumière venait de la grande plastovitre qui longeait toute la pièce. Mon exploration se termina par une chambre à coucher et une salle de bain dans le plus pur style des Centuries : Fonctionnel et sans aucune fantaisie.

Dans la chambre à coucher, je constatais qu’un droïde avait déjà déballé mes effets personnels, mes vêtements étaient impeccablement rangés dans l’armoire trois portes et mon nouvel uniforme délicatement posé sur le lit.

Je crois que ce fut la douche la plus rapide de ma vie tellement j’avais hâte d’enfiler ma nouvelle tenue. Une fois accroché le dernier bouton de ma vareuse pourpre et attaché la double boucle de ma longue cape turquoise, je me rendis au mess des officiers. Cyruss était assis à une table, son assiette déjà bien entamée. Lorsqu’il me vit, il se leva et se mit au garde-à-vous, imité presque immédiatement par le serveur et les autres officiers présents.

— Repos Messieurs et bon appétit.

Je me fis servir un repas frugal et le rejoignis.

— Vous permettez ?
— Vous êtes chez vous Monsieur !
— Merci, il faudrait que vous passiez me voir, je dois préparer une petite intervention à l’intention de l’équipage et j’aurais besoin de vos critiques sur ce que j’aurais écrit.
— Et quand dois-je venir ?
— Disons vingt-deux heures, comme ça j’aurais le temps de rédiger ma prose.
— Entendu.
— Bien… comment est la cuisine dans ce palace ?
— Je vous laisse vous faire votre propre opinion !

Le test fut concluant, la nourriture s’avéra excellente. J’y prêtais une attention toute particulière, car ne dit-on pas : si la nourriture est bonne, le moral est bon !


« Mesdames et Messieurs, je suis l’Amiral Keldan d’Atariss votre nouveau commandant. J’espère que nous pourrons faire du bon travail ensemble.
La mission qui nous a été assignée par le Sénat est l’exploration de la galaxie de Tanos, cela signifie une absence d’au minimum dix mois. Dix mois loin de vos planètes d’origine et de vos familles. Pour cette raison, je tiens à vous remercier de vous être portés volontaires pour cette ambitieuse entreprise.
Nous serons escortés par la 6ème centurie jusqu’aux abords de la galaxie Elias. Ensuite, nous continuerons en solitaires jusqu'à Tanos. L’appareillage aura lieu à quatorze heures précise. Pour toute question et si je n’étais pas disponible, vous pouvez vous adresser à mon nouveau commandant en second Cyruss de Danwell que vous connaissez déjà et en qui j’ai une absolue confiance . Merci de votre attention. »

— Alors, ça vous paraît comment ?
— Je crois que les choses sont claires et j’ai beaucoup aimé l’avant-dernière phrase !
— Cyruss, je crois que nous allons bien nous entendre vous et moi ! Ainsi donc, tout le monde devrait y trouver son compte ?
— Excepté le Capitaine Bergman…
Son visage se ferma.
— Avez-vous un quelconque grief contre le Capitaine Bergman ?
— Oh non ! Ce serait plutôt lui qui en aurait un contre moi…
— Précisez…
Il prit une profonde inspiration.
— C‘est lui qui devrait se trouver devant vous ce soir.
Je soupirais, car l’une des choses que j’avais craint était en train de se produire.
— D’accord… voyez-vous Cyruss, il y a quelques minutes, je parcourais vos dossiers respectifs et rien de ce que j’y ai lu ne me permettrait de prendre une décision en faveur de l’un ou l’autre. Le fait qu’il soit le fils du professeur Bergman, également présent sur ce vaisseau, n’y changerait rien. De plus, le Sénat a reçu pour chacun de vous une lettre de recommandation des plus élogieuse. Malheureusement, un seul poste était à repourvoir pour deux candidats. Le Sénat a donc dû trancher et c’est vous qui avez été nommé. Il n’y a rien à ajouter à cela.
— Essayez donc de le faire comprendre à Bergman !
Le ton qu’il employa était plein de défi, je décidai de mettre immédiatement les choses au point :
— Que cela soit bien clair, Commandant Danwell, je ne tolérerai aucune querelle d’officier à mon bord. Cela pourrait gravement compromettre notre mission. En outre, vous et moi avons la responsabilité de plus de huit mille personnes et cela doit passer avant tout !
— Mais…
— Le capitaine Bergman en sera également informé demain matin. Ce sera tout pour ce soir Commandant, vous pouvez disposer !
— A vos ordres, bonne nuit Monsieur.
— Bonne nuit.


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