30/08/2002 - Philippe Lugrin
Quazarus - Chapitre 4



— Ainsi donc, vous avez fait partie de la Sécurité Atarienne !
— C’est exact.
— Mais comment ce fait-il que ce ne soit pas dans votre dossier ?
— Les affectations de moins de deux semaines ne sont pas mentionnées dans le dossier personnel.
— C’est exact, est c’est un tort à mon avis… mais puisque ça ne figure pas dans votre dossier, comment l’Amiral Suprême était-il au courant ?
— C’est très simple, c’est lui qui m’y a envoyé personnellement !
— Personnellement… mais attendez une minute… le nom du Suprême est Vjoran Danawillis … Danawillis… Danawillis… Danwell… Danwell… Danawillis, vous… vous êtes le fils de l’Amiral Suprême ! ! ! ! !

Il parut tout à coup nerveux et se mit à faire les cent pas dans la salle de conférence.

— Amiral, s’il vous plaît, ne l’ébruitez pas ! Et surtout pas de traitement de faveur, je… je ne veux pas attiser les jalousies…
— Je ne dirais rien, vous avez ma parole d’officier. Quant au traitement de faveur, vous êtes mal tombé avec moi, j’ai le « pistonnage » en horreur !
— Merci Monsieur, je me sens soulagé.
— Vous savez Cyruss, je ne pense pas que votre père vous aurait affecté à cette entreprise si vous n’en aviez pas eu les capacités. Je vous renouvelle encore une fois ma pleine confiance.

Mes paroles le rassurèrent définitivement et il changea de sujet.

— Alors comme ça vous aussi avez fait partie de la SectAt ?
— Un an, ce fut une expérience ma foi fort enrichissante…
Notre conversation se poursuivit encore pendant quelques minutes puis Danwell prit congé et retourna terminer son quart dans le poste central. Je restais seul dans la grande salle de conférence. J’étais psychologiquement épuisé. La journée avait été particulièrement chargée en événements et je réalisais pour la première fois ce que signifiait véritablement le poids du commandement.

21 juilla


Je ne dormis pas cette nuit-là, trop de choses se bousculaient dans mon esprit et je devais mettre de l’ordre dans ce chaos. Les équipages avaient été informés le soir même des événements et les conversations allaient bon train dans les coursives et les salles de repos. Mais les gens vaquaient dans le calme à leurs occupations. Je reçus un rapport similaire de la part des autres commandants d’unités.

En fin de matinée, je remis au lieutenant chargé des communications la liste des trente et un Super-Cuirassés que j’avais décidé de garder pour la suite et restais sur la passerelle pour surveiller les opérations de séparation.
Bientôt, soixante-six unités atariennes se détachèrent lentement du convoi et firent demi-tour, je leur souhaitais silencieusement un bon retour.

Aux environ de seize heures lorsque je regagnais mes quartiers, je découvris un appel sur mon holomessagerie. Après m’être servi un verre de liqueur frosienne, je l’écoutais :

— Bonjour Commandeur, j’ai faim ! Si votre invitation tient toujours, je termine à dix-huit heures. Vous me laissez une heure et je vous rejoins sur le pont E, réservez une navette…

Voilà qui était direct ! Je ne pus m’empêcher de sourire, ainsi donc elle avait accepté. Surprenant ! Mais je n’allais pas laisser passer l’occasion !

— Ici Keldan, Lieutenant, je veux que pour dix-neuf heures ma navette personnelle soit sur le pont E prête à décoller.
J’appelais ensuite le « Grand Hôtel » et plus particulièrement le « Nakedja  », un des deux grands restaurant de luxe du vaisseau. Un droïde, approximativement de forme humaine me répondit :
— Bonjour, mon nom est Fengor. Que puis-je pour vous Amiral ?
Apparemment ses banques mémorielles avaient été mises à jour, j’étais impressionné, et sa voix synthétique était l’une des plus agréables qu’il m’ai été donné d’entendre.

— Fengor, réservez-moi une table pour ce soir dix-neuf heures trente.
— Mais Commandeur, votre table est réservée d’office ! À votre discrétion trente heures sur trente !
— Oh ! pardon ! Je n’ai pas encore l’habitude, mais je m’en souviendrais !
— Combien de convives ?
— Juste moi et une autre personne.
— De sexe masculin ou féminin ?
— Pardon ! ?
— La personne vous accompagnant.
— Je ne comprends pas ?
— C’est pour la décoration de table.
— Ah !… Alors plutôt féminin.
— Je m’en doutais…

Avais-je rêvé ou y avait-il un soupçon d’ironie dans sa digivox lorsqu’il prononça cette dernière phrase !

— C’est comme si c’était fait, votre table avec deux couverts pour dix-neuf trente, c’est enregistré !
— Merci et à tout à l’heure.

Lorsque j’arrivais au pont E, la Scienti Naudanlhia m’attendait au pied de la navette. Incroyablement transformée ! Elle avait abandonné son chignon pour une coiffure beaucoup plus sophistiquée et elle portait une magnifique robe longue noire aux reflets argentés qui moulait avantageusement ses formes ainsi qu’un boléro assorti. Son cou était ceint d’un fin collier en diamants vert bleu de Tilus qui faisait ressortir ses superbes yeux émeraude. Un léger maquillage apportait la touche finale à ce tableau de rêve. Je restais bouche bée.

— Amiral, à moins que vous n’ayez décidé que nous dînions sur ce pont d’envol, il serait peut-être temps d’embarquer…
— Oui, oui, vous avez raison !

En regardant en direction du poste de pilotage, j’eus le plaisir d’apercevoir Dobs à travers le hublot rectangulaire. Je lui adressais un signe de la main auquel il répondit. Nous avons grimpé la petite rampe et nous nous sommes installés dans les confortables sièges passagers de la navette Isis.

— Content de vous revoir Amiral !
— C’est pour moi une bonne surprise Dobs.
— J’en suis heureux, car vous allez m’avoir sur le dos encore un bon moment !
— Que voulez-vous dire ?
— On m’a affecté à votre service, je suis votre pilote officiel.
— Félicitations.
— Merci ! Alors, direction le « Grand Hôtel » ?
— Comment avez-vous deviné ?
— On ne s’habille pas en uniforme d’apparat pour un combat spatial et l’habillement de la Dame qui vous accompagne n’est pas très indiqué non plus !
— D’accord Dobs… vous avez gagné !
— Alors en route…
Vanhéa parut surprise de cet échange de paroles :
— Vous le laissez vous parler de la sorte ? Ce n’est qu’un simple capitaine et vous êtes l’officier numéro un de la Centurie !
— Vous n’êtes pas originaire d’Atariss et certains aspects de la psychologie humaine peuvent vous échapper. Voyez-vous, cet homme qui nous pilote est un très bon officier, son dossier le prouve et j’ai besoin que mes équipages se sentent à l’aise avec moi. Bien entendu si nous étions avec d’autres officiers ou membres de l’équipage, il ne se permettrait pas cette familiarité et redeviendrait un capitaine respectueux de la hiérarchie.
— Je pense pouvoir le comprendre.

Nous étions déjà en vol et au bout de vingt-cinq minutes nous arrivâmes en vue du « Paradisia » le vaisseau-détente de la sixième Centurie. Long de huit cents mètres et haut de trois cent quarante. On y trouvait tout pour l’agrément et les loisirs : Cinq restaurants, trois hôtels, cinémas, théâtres et même un établissement de jeux ! le tout géré par une entreprise privée spécialisée dans le divertissement et qui avait passé un juteux contrat avec les autorités militaires du système d’Atar.
Une fois arrivés, j’appelais le turbolift qui reliait directement le hangar au restaurant. Fengor nous accueilli :

— Bonsoir Madame, bonsoir Commandeur, bienvenue au Nakedja, je vais vous conduire à votre table.

Nous le suivîmes, la grande salle était richement décorée, le luxe y était omniprésent. Le long couloir central était bordé par de majestueuses colonnes de marbre rouge qui soutenaient la voûte du toit. Elles étaient ornées à leur base et à leur sommet par d’extraordinaires sculptures dorées. Les tables étaient disposées sur les côtés. Au centre de la salle était dressée une petite estrade sur laquelle se trouvait une joueuse d’orièdre, dont l’agilité des doigts sur les cordes faisait naître une agréable mélodie qui se dispersait dans tout le restaurant. Nous avons traversé une grande partie du couloir central et Fengor se dirigea vers une table un peu en retrait. Elle était suffisamment grande pour accueillir six personnes.

— Voici votre table Monsieur, nous espérons que la décoration est à votre goût.
— Cela me semble parfais et vous, qu’en pensez-vous Mademoiselle Naudanlhia ?
— J’aurais préféré quelque chose de plus intime, mais la décoration est parfaite.

Une nappe bleu nuit recouvrait la table, des fleurs jaunes d’adjoria la décoraient et le service en porcelaine terrienne finement incrustée de fils d’or étincelait de mille feux à la lumière des véritables bougies qui créaient une ambiance tamisée.
Une fois confortablement assis, j’engageais la conversation de manière tout à fait banale :

— Je suis flatté que vous ayez donné une suite favorable à mon invitation.
— C’est avec plaisir.
— Pour être franc, je ne pensais pas que vous accepteriez.
— Pour être franche, je ne pensais pas accepter.
Elle sourit.
— Vous devez une fière chandelle à Kitara.
— Kitara ? Ah oui ! votre assistante, faites-moi penser à la remercier chaleureusement !
— C’est elle qui m’a convaincu, nous n’avons que peu de différence d’âge mais il y a des fois où elle se prend pour ma mère ! Elle s’est plainte que je ne… comment dit-on déjà… ah oui ! Ne m’éclatais pas assez, que je ne voyais jamais personne et que j’étais toujours cloîtrée dans mon laboratoire obsédée par mes recherches !

Je ne pus me retenir de rire. Ainsi donc j’avais vu juste !

— Qu’y a-t-il de drôle ?
— Rien, je pensais… non, pas grand chose.
— Allons, partagez donc votre hilarité avec moi !
— Si vous y tenez ! Il se trouve que c’est exactement ce que j’avais imaginé, j’étais certain que vous ne vous décideriez pas toute seule, sans vouloir vous offenser bien sûr !
— Vous aviez donc quand même un mince espoir ?
— Je suis d’un naturel assez optimiste. Comment vous êtes-vous décidée ? Si ce n’est pas indiscret.
— Ça ne l’est pas… j’ai réfléchi et je me suis dis qu’elle ne se trompait pas. Il est vrai que depuis cinq ans maintenant, l’entier de mon temps est consacré à mon projet.
— Et quelle est la nature de vos travaux ?
— L’Emocyb.
— L’Emocyb ?
— Contraction d’ « Emotionnal-Cybernetic » un système d’intelligence artificielle capable d’éprouver et d’exprimer des sentiments. Comme vous le savez, l’intelligence artificielle est hautement développée, mais personne n’a jamais réussi à y introduire de véritables émotions, et c’est ce que je cherche à faire. J’ai déjà obtenu des résultats vraiment très prometteurs, mais je suis encore loin du but.

Lorsqu’elle parlait de ses recherches, sa voix était pleine d’excitation et ses yeux verts brillaient d’une étrange façon. Pour elle, il ne faisait aucun doute que c’était l’œuvre de sa vie, j’en étais convaincu.

— Il est vrai que ces derniers temps je n’ai pas vraiment eu d’activité sociale. Mais je crois que penser à autre chose de temps à autre ne peut que m’être bénéfique.
— C’est passionnant, mais si vous réussissez, ne craignez-vous pas que des androïdes puissent un jour devenir trop… disons indépendants ?
— C’est l’éternelle question que tout le monde me pose, il y a des gens totalement opposés à mes recherches et d’autre au contraire très enthousiasmés. Et vous de quel côté seriez-vous ?
— Joker ! !
— Mais nous ne parlons que de moi et vous qu’avez-vous à me dire sur vous ?
— Oh, rien de spécial, je n’ai pas de choses aussi intéressantes que vous à raconter.
— Vous paraissez fatigué.
— Ça se voit tant que ça ! Je vous avoue que oui, je n’ai pas beaucoup dormi ces derniers jours.
— L’attaque que nous avons subie ?
— Entre autres choses oui, mais aussi notre mission. Je n’étais que commandant et me voilà propulsé amiral, chargé de vous emmener, vous et vos collègues au fin fond de l’univers pour chercher des réponses à des questions qui n’ont même pas été formulées de manière précises. Je suis aux commandes de quelque chose qui je crois me dépasse, du moins c’est l’impression qui est en train de s’immiscer en moi.

Elle posa si délicatement sa main sur la mienne que j’en eus un frisson.

— Ne vous inquiétez pas. Tout ne se passera pas sans difficultés c’est certain, mais je vous crois de taille à les surmonter toutes, sans exception.

Je n’aimais pas la tournure que prenait cette conversation, je m’ouvrais à Vanhéa comme si je la connaissais depuis toujours. Je ne savais pas comment changer de sujet sans paraître perturbé. Heureusement, je fus sauvé par Fengor qui nous apportait la carte des mets.

— Si je peux me permettre, vous devriez essayez le filet de nakril, accompagnée de garyn en branche et d’un vin rouge d’Alisius cette viande est tout à fait exquise !
— D’accord pour le nakril ! Et vous Amiral ?
— Keldan… je prendrais la même chose que mademoiselle.
— Choix judicieux par excellence Monsieur !!

Il s’éloigna et je repris ma conversation avec Vanhéa, j’avais eu le temps de penser à un autre sujet de dialogue et je me sentais un peu mieux. Le repas se déroula dans les meilleures conditions. Mais arrivés au dessert le professeur Naudanlhia me posa une question qui me déconcerta :

— Quel but poursuiviez-vous en m’invitant à ce repas ?
— Euh ! Aucun but précis, c’était histoire de faire plus ample connaissance et de passer un moment en votre compagnie autour d’un bon repas et…
— Mais votre but ultime n’était-il pas un CPI ?
— Un quoi ! ?
— Un contact physique intime.
— Non !… Peut-être !… Enfin je ne sais pas, c’est possible…
— Pour nous Naudalith, la séduction est une notion difficilement compréhensible, elle est considérée comme une perte de temps. Nous partons du principe qu’une demande directe et un consentement mutuel suffisent pour pratiquer un CPI. Alors puis-je vous demander si vous avez retenu une suite dans l’un des hôtels du vaisseau ?
— Vous savez… je… je ne voyais pas les choses se dérouler de cette façon et…
— Allons Commandeur, je vous désire, vous me désirez, alors pourquoi compliquer les choses et de toute façon, la dernière navette en partance à quitté le vaisseau il y a une demi-heure !
— Vous oubliez que j’ai ma propre navette et que nous pouvons partir quand bon nous semble.
— Vous ne m’avez pas vue parler à votre pilote quand vous appeliez le turbolift ?
— J’avoue ne pas y avoir fait attention. Et que lui avez-vous dit ?
— Que vous ne rentreriez pas ce soir, qu’il pouvait retourner à l’Ataraxia et disposer du reste de sa soirée.
— Et il vous a obéi !
— Je sais me montrer convaincante.
— Vous êtes une femme bien surprenante.

J’appelais Fengor.

— Je suppose qu’en plus de ma table, j’ai également une suite réservée dans l’un des hôtels du Paradisia ?
— Effectivement Commandeur, je vois que vous apprenez vite.
Décidément, ce droïde aussi était surprenant. Vanhéa souriait et je lui demandais pourquoi ?
— C’est un type neuf, ils sont équipés d’un processeur qui leur permet un simulacre d’humour, c’est la seconde fois que je me retrouve confrontée à l’un d’eux et je dois dire que c’est très amusant !

Très amusant ! Je lui faisais remarquer que ce n’était pas elle que ce tas de ferraille prenait pour une andouille ! Mais elle ne pouvait pas savoir combien je lui étais reconnaissant de m’avoir tiré d’embarras.

— Excusez-moi, déformation professionnelle.
— Quel est cet hôtel ?
— Hôtel Ipshar, du nom de la cinquième planète du système Torius. Il se trouve dans la troisième section. Longez la coursive principale et prenez le turbolift éponyme à votre droite.
— Merci Fengor.
— Je vous en prie Amiral et passez une bonne nuit…

Encore ce ton ironique décidément…
La suite dans laquelle nous nous sommes retrouvés faisait passer mes quartiers, pourtant spacieux, pour une cellule de vaisseau pénitentiaire !
Vanhéa déposa son petit sac et son paréo sur l’une des chaises de la chambre et sans se retourner me dit :

— Je désire prendre une douche, auriez-vous la gentillesse de m’aider à dégrafer ma robe, Amiral ?

Je n’allais pas me faire prier pour accéder à sa demande et je commençais à décliper ses fermoirs un à un. Au fur et à mesure que je descendais, son dos m’apparaissait. Sa peau avait l’air aussi douce que de la soie et il me tardait de la sentir sous mes doigts. Lorsque j’eus fini, elle s’écarta et se dirigea vers la salle d’eau en laissant glisser sa robe à ses pieds me dévoilant ainsi sa nudité. Elle tourna la tête de mon côté et me fixa avec ses grands yeux verts.

— Vous pouvez me rejoindre si vous le désirez…

Je la suivais. Ses mains s’attaquèrent lentement à la double boucle de ma cape et aux boutons de ma vareuse blanche. Bientôt je me retrouvais dans la même tenue qu’elle. J’activais le commutateur de la douche et réglais le système automatique sur une température agréable. Lui prenant la main, je l’attirais contre moi et l’embrassais fougueusement. Je sentis la pointe de ses seins se dresser de désir contre mon torse, elle vibrait de plaisir, nous nous sommes ainsi caressés mutuellement pendant de longues minutes puis, nous nous sommes éloignés l’un de l’autre et je pus m’émerveiller devant son corps si magnifique. Les gouttes d’eau qui ruisselaient sur sa peau la rendaient encore plus désirable. N’y tenant plus, je la pris dans mes bras et la portai jusqu’au grand lit où je la déposai délicatement. Elle soupira tout en s’étirant telle une chatte prenant ses aises. Elle était là, son corps offert à mes caresses et à mes baisers. Je m’allongeai à ses côtés et nous nous sommes enlacés.

Ce qui se passa ensuite fut l’expérience la plus extraordinaire de toute ma vie. J’avais plusieurs fois entendu dire que les femmes de la planète Naudhal étaient expertes dans les arts érotiques. Cela se confirma, et bien au-delà des descriptions que l’on avait pu me faire. Durant toute la nuit, j’espérais que les suites de l’hôtel Ipshar étaient équipées d’une insonorisation sans faille !

22 juilla


Je me réveillais seul dans le grand lit de ma suite, Vanhéa était déjà partie. Il y avait un databloc posé sur la table de nuit. Je l’allumai et son visage m’apparut :

— Keldan, il me reste beaucoup de travail avant que nous traversions Ounakor, j’ai donc pris la première navette, nous nous verrons un peu plus tard.

Il était déjà dix heures trente, heure stellaire standard, je pris contact avec Dobs en l’enjoignant de venir me chercher au plus vite. Il ne restait que peu de temps avant la traversée. Je m’habillais et descendis à la réception de l’hôtel afin de signaler que les droïdes ménagers pouvaient faire la chambre. Je pris ensuite le turbolift jusqu’au hangar. Seize minutes plus tard, la navette Isis appontait.

— Bonjour Amiral.

Je lui répondais quelque chose comme :

— Jour’ Dobs.
— Wouaow, à voir vos traits tirés, j’imagine que la nuit a dû être torride !
— En quoi cela vous regarde-t-il Capitaine et à ce propos, pourquoi êtes-vous reparti hier soir, je ne vous en avais pas donné l’ordre.
— Ben, c’est la Dame ! Elle avait tellement l’air de vouloir être seule avec vous que… en plus, elle m’a promis de me présenter son assistante et au vu de la description qu’elle m’en a faite…
— Vous vous êtes dit que ça valait la peine de vous faire engueuler.
— C’est un peu ça oui.
— Ça ira pour cette fois, mais à l’avenir…
— Ça ne se reproduira plus Monsieur.
— Voilà ce que je voulais entendre.
— On rentre à la maison Commandeur ?
— On rentre à la maison Dobs.

À peine à bord de l’Ataraxia, je me rendis à la section cybernétique. J’entrais directement, Vanhéa était seule dans le laboratoire.

— Bonjour.

Je voulus la prendre dans mes bras et l’embrasser mais elle me repoussa gentiment.

— Bonjour amiral.
— Amiral ? ! Mais que se passe-t-il ?
— Rien.
— C’est étrange : On fait l’amour à une femme, ce qui est un acte tellement particulier et le lendemain, il n’en reste aucunes traces.
— Aucunes traces ? Cette nuit, votre plaisir s’est pourtant déversé en moi à plusieurs reprises.
— Ce n’est pas d’une trace physiologique dont je parle, mais psychologique.
— Psychologique ! ?
— Vous vous comportez comme si c’était la première fois que je vous voyais, c’est comme si… hier soir n’avait jamais existé.
— Je… j’ai… encore du travail excusez-moi.
À ces mots, elle disparut dans un couloir et je me surpris à répondre dans le vide :
— Oui… moi aussi j’ai beaucoup à faire.

Le poste central regorgeait d’activité. Il ne restait plus que cinquante-deux minutes avant la traversée. Si pour les Centuries, passer par un trou noir pour se rendre d’une galaxie à l’autre était presque devenu banal, l’image qui s’étirait sur l’écran panoramique avait de quoi faire frissonner le plus endurci. Ounakor, colossale force gravifique aux reflets bleus et violets prenait au piège tout objet à des millions de kilomètres de distance pour les pulvériser dans son tourbillon. C’était le plus grand trou noir connu. Seuls nos puissants compensateurs de gravité nous évitaient d’être attirés vers lui comme un aimant et pour le traverser, seule une vitesse de disto 9 nous permettrait de ne pas être écrasés par la terrifiante force de gravité. Durant ce laps de temps, un observateur extérieur ne pourrait distinguer nos vaisseaux, la seule chose qu’il verrait ne serait que des traits de lumière rouge vif.

— Lieutenant, cet écho sur l’écran de détection, que représente-t-il ?
— Identification… une sonde Nova.
— Qui a eu l’idée d’envoyer une Nova vers Ounakor ? Nous savons tout ce qu’il y a à savoir à son sujet.
— C’est moi Monsieur.
— Capitaine Bergman… et pourquoi ?
— Par mesure de sécurité, c’est la première fois qu’un groupe de vaisseaux aussi important le traverse, j’ai pensé que cette précaution était nécessaire.

J’avais l’impression que Bergman cachait quelque chose et l’excuse bidon qu’il venait de me servir abondait dans ce sens. À quelques vaisseaux près, Ounakor avait déjà été traversé des dizaines de fois par des groupes d’unité et rien ne s’était jamais passé. Je faisais semblant d’acquiescer :

— Et que disent les informations obtenues ?
— Tout va bien, rien d’anormal.
— Très bien, alerte trou noir pour toutes les unités.
— À vos ordres, alerte trou noir !

Les sirènes d’alerte résonnèrent dans toutes les coursives. Leur tonalité particulière indiquait qu’il ne s’agissait pas d’une attaque mais que les équipages devaient se préparer à la plongée au centre du trou noir. Il en fut ainsi dans tous les vaisseaux.

— Préparez-vous à désactiver les compensateurs de gravité à mon signal !
— Paré à désactiver !
— Détection Nova, tout est en ordre ?
— Tout est en ordre Monsieur.
— Contrôle compensateurs… désactivez !
— Compensateurs désactivés !

L’Ataraxia vibra, dés cet instant, il était inexorablement attiré au cœur d’Ounakor. Au même moment un nouveau venu fit son entrée sur la passerelle.

— Orimh, vous êtes en retard.
— Veuillez m’en excuser Amiral, je vérifiais le contact avec mes compatriotes.

Orimh Letka, le télépathe du bord. Originaire de Lasokir, un monde de la galaxie Elias. Lui et ses semblables possèdent d’incroyables dons télépathiques qu’aucun scientifique n’a jamais pu expliquer.
Grands, un mystérieux signe tatoué sur le front. Ils sont invariablement vêtus d’une longue robe violette faite d’un tissu très épais et d’un grand capuchon qui cache leur crâne rasé ainsi qu’une bonne partie de leur visage. À leur cou, pend une chaîne dorée avec à son extrémité un symbole non moins mystérieux. Une ceinture en argent finement ciselée complète leur tenue. Ils devinrent nos alliés à l’époque des guerres stridiennes.
Pacifiques à l’extrême, ils ne possédaient pas d’armes offensives ni défensives et par un étrange phénomène, les Stridiens étaient insensibles à leurs pouvoirs. Grâce à l’intervention de nos forces, l’invasion fut évitée de justesse et depuis ce jour, ils font partie de nos alliés les plus fidèles et les plus précieux. Eux seuls, grâce à leur lien télépathique, peuvent nous permettre de garder le contact entre nos vaisseaux à l’intérieur du trou noir, les communications conventionnelles devenant impossibles. Pour cette raison un lokirien était présent à bord de chaque unité de la Centurie affectée à cette mission.

— Contrôle propulsion, accélération graduelle à Disto 3.
— Disto 3 bien compris.
— Temps vitesse ?
— Sept minutes quarante-trois avant Disto 9.
— Cap ?
— Confirmé, verrouillé.
— Anxieux Cyruss ?
— Un peu, une fois traversé, qu’allons-nous trouver de l’autre côté…
— Vous faites allusion à notre rencontre avec les forces dissidentes ?
— Exact…
— Et bien… dans moins de cinq heures nous serons fixés !
— Disto 6 Monsieur.
— Que tout le monde regagne son siège !
— Tous les hommes à leurs poste !

Du haut de ma passerelle, je regardais ces hommes et ces femmes dont la précision des gestes me remplissait de fierté, je savais pouvoir compter sur eux quoiqu’il advienne.

— Disto 7.
— Confirmez la synchronisation avec les autres unités.
— Synchronisation optimale Monsieur !
— Orimh, votre contact télépathique ?
— Contact permanent, aucunes interférences.

Sa voix posée eu le dont de calmer l’anxiété qui commençait également à m’envahir.

— Disto 8 !
— Capitaine Bergman que dit la Nova ?
— Pas… pas de changement Amiral.

Il paraissait très nerveux, je n’aimais pas beaucoup ça.

— Cyruss, vous savez ce qui se passe avec Bergman ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, mais je crois que tout le monde est un peu nerveux, je ne pense pas que ce soit grave. Je dirais même que c’est normal.

Si le reste du personnel du poste central était nerveux, il le cachait remarquablement bien.

— Attention, Disto 9 dans quarante secondes !
— Effectuez les derniers contrôles.
— Contrôles effectués, tout est au vert Amiral, ce devrait être une formalité !
— Puissiez-vous avoir raison lieutenant Gendarst.
— Disto 9 dans 5…4…3…2…1… DISTO 9 !

Rien ne sembla se passer, ce qui était normal car nous étions encore loin de la vitesse maximale que le vaisseau pouvait atteindre. Mais le fait d’être sourds et aveugles pendant presque cinq heures était une situation peu enviable, surtout au cœur d’un trou noir. Au bout d’environ trois heures, je donnai certaines instructions afin d’être parés au cas où une surprise dissidente nous attendrait dans la galaxie Elias :

— Contrôle défense, levez les boucliers et basculez le tiers de puissance aux écrans de protection avant. Contrôle armement, activez les tourelles en tir automatique sur cible stridienne.
— Boucliers levés !
— Tourelles en activation… tourelles activées !
— Orimh, transmettez ces instructions à vos semblables je vous prie.
Il ferma les yeux durant quelques secondes et les rouvrit.
— En cet instant, les commandants de vaisseaux sont informés.
— Merci Orimh.

J’étais de moins en moins inquiet, en définitive, tout avait l’air de se dérouler normalement et dans moins de deux heures, nous serions sortis d’Ounakor. De plus, les précautions que j’avais prises semblaient tout à fait suffisantes.

— Bien, messieurs, je serais de retour pour la sortie d’Ounakor, Commandant De Danwell, je vous confie le commandement.

Cela faisait un bon moment que je tournais en rond dans mon bureau et soudain je pris ma décision, il fallait que je sache.
Un tube de transport plus tard, je me trouvais devant la porte coulissante de la section cybernétique. Kitara m’accueillit furieuse :

— Bonjour Kitara, c’est justement vous que je voulais voi…
— Que lui avez-vous fait pour qu’elle soit dans cet état ?
— Je vous demande pardon ! !
— Que s’est-il passé hier soir ? Je ne l’ai jamais vue aussi triste et déprimée !

J’avais l’impression qu’elle allait se jeter sur moi tellement elle était en colère.

— Vous l’avez blessée par des paroles ou des actes déplacés, j’en suis sûre !
— Mais pas du tout, au contraire, nous avons passé une merveilleuse soirée et…
— Vous mentez !

J’élevais la voix à mon tour, en espérant qu’elle était seule.

— Maintenant ça suffit ! vous allez m’écoutez !
Elle se mit sur la défensive :
— C’est bon, allez-y.
— Premièrement, je vous confirme que la soirée d’hier a été en tous points parfaite. Deuxièmement, je suis venu vous voir pour que vous puissiez m’aider à comprendre son changement d’attitude envers moi.
— Vous voulez dire que vous ne savez pas pourquoi le professeur Naudanlhia se comporte de la sorte !
— Non, ce matin je suis venu la voir et… lorsque j’ai voulu lui dire bonjour, elle m’a repoussé, hier encore, elle m’appelait par mon nom et ce matin, je n’ai eu droit qu’à un « bonjour Amiral ». Est-ce une attitude normale chez les naudaliths ?
— D’accord… vous semblez sincère. J’accepte de vous aider, mais il faut que je vous demande quelque chose.
— Je vous écoute.
— C’est assez personnel…
— Allez-y.
— Euh… s’est-il passé quelque chose entre vous hier soir ?
— Nous avons passé la nuit ensemble si c’est à ça que vous pensez.
— Ça peut être en rapport… écoutez, j’ai besoin de temps pour vous avoir une explication, il faut qu’elle se confie à moi, ce qui n’est pas gagné d’avance je vous préviens.
— Je ne peux rester de toute façon, je suis attendu sur la passerelle pour une manœuvre délicate. Si vous avez eu le temps de faire quelque chose venez au mess des officiers au pont dix-sept à vingt-deux heures, je vous offre un verre et nous pourrons parler tranquillement.

Elle allait répondre lorsque la scienti entra dans la salle principale accompagnée d’un jeune homme en combinaison blanche de laborantin avec lequel elle paraissait parfaitement bien s’entendre. elle avait l’air d’avoir retrouvé sa bonne humeur, je n’y comprenais rien à rien !

— Kitara, Amiral, que complotez-vous dans mon dos ?
— Mais rien du tout ma chère. Kitara, il faut que je vous laisse, n’oubliez pas ce dont nous avons convenu.
— Qu’avez-vous donc convenu ?
— Rien Professeur, nous parlions du capitaine Dobrajevski.
— Ah oui ! Je n’y pensais plus, je lui ai promis que tu irais le voir.
— Je sais, le Commandeur était venu pour me le rappeler.
— Comme c’est gentil à lui !

La légèreté de ses propos ne correspondait pas du tout avec son caractère. Je sus dés cet instant qu’elle faisait tout pour masquer ses véritables sentiments. Je quittais la pièce sans dire un mot.
Dans le poste central, le calme régnait, des sourires se dessinaient même sur la majorité des visages.

— Encore trois minutes.

J’étais sur le point de pousser un ouf ! de soulagement quand une exclamation retenti sur la passerelle et se termina dans un murmure :

— Je les ai perdus ! ! Je les ai… perdus ! Je… les ai… perdus !

Les sourires se figèrent et toutes les têtes se tournèrent en direction d’Orimh Letka. Son attitude sereine s’était envolée et cela était suffisant pour m’alarmer.

— Que se passe-t-il, Orimh ?
— Commandeur, je dialoguais avec Norimh, le représentant lokirien du Kersina. Puis d’un seul coup, le contact a été rompu, j’ai essayé d’entrer en communication avec les autres mais je n’ai obtenu aucunes réponses. Ils se sont tus !

Quelque chose d’incompréhensible venait de se passer, car le pouvoir télépathique des Lokiriens s’étendait largement au-delà d’une année-lumière et Ounakor n’avait que trois mille kilomètres de diamètre ! Où étaient donc nos vaisseaux ?

— Basculez toute la puissance aux boucliers avant, dressez l’écran SH ! Contrôle armement : Préparez les pulsars « Mandragore » et armez les torpilles énergétiques « Phœnix », vous avez une minute trente !

Je voulais parer à toute éventualité, mais intérieurement, je n’étais plus tout à fait sûr que les mesures prises s’avéreraient suffisantes.


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