12/12/2002 - Philippe Lugrin
Quazarus - Chapitre 5



— Ouvrez l’écran panoramique, réactivez tous les systèmes de détection et commencez un balayage longue portée.

Émergeant à trois années-lumière de la bordure extérieure d’Elias et une fois les résidus du tourbillon dissipés, nous aurions dû voir un amas d’étoiles représentant les premiers systèmes solaires eliasans. Le spectacle que nous aperçûmes glaça le sang de toutes les personnes présentes. En fait de spectacle, il n’y avait rien à voir ! Là où aurait dût se trouver le bras de la galaxie Elias tout n’était qu’obscurité ! Pas une étoile ! Pas un soleil ! Heureusement que les indicateurs de l’écran panoramique étaient au vert, sinon, on aurait pût croire qu’il était hors fonction. Ce fut d’ailleurs la première idée qui me traversa l’esprit.
Je faillis perdre mon sang-froid mais je réussis à me ressaisir juste à temps. Un Commandeur pris de panique n’aurait pas été la meilleure des choses dans la situation présente.

— Central propulsion ARRÊT D’URGENCE ! ! ! Stoppez les propulseurs !

En moins d’une minute, notre monstre d’arkonium passa de disto 9 à vitesse zéro !
La brusque décélération fût absorbée par nos compensateurs anti-g. Nous ne ressentîmes aucune sensation particulière. J’étais en admiration devant cette technologie qui nous permettait de tels prodiges. Mais les paroles de l’Amiral Suprême me revinrent en mémoire : « N’ayez qu’une confiance limitée dans la technologie et laissez votre instinct vous guider… « j’en compris soudain la signification car je présentais que l’instinct nous serait plus utile que la technologie pour nous tirer de ce mauvais pas.

— Détection, que donne le balayage longue portée ?

Le lieutenant qui s’occupait des systèmes de repérage mit quelques instants à répondre. Je devinais que lui aussi comme tout le reste du poste central avait eu besoin d’un peu de temps afin de recouvrer son sang-froid.

— Excusez-moi Commandeur… le BLP n’a rien donné, j’ai essayé de passer en ultra longue portée mais sans aucuns résultats.
— Continuez à faire de votre mieux lieutenant et si vous détectez ne serait-ce qu’une poussière d’étoile prévenez-moi.
— A vos ordres Monsieur.
— Orimh, toujours rien ?
— Non, Commandeur.
— Je sais que c’est épuisant pour vous mais il faut persévérer on ne sait jamais.
— Ne vous inquiétez pas, je vous avertirais lorsque je n’en pourrais plus.

J’imaginais les colossales forces mentales qu’il devait déployer pour tenter de capter une pensée dans ce néant.

— Contrôle communications, rien sur les fréquences hyperondes ?
— Négatif monsieur, toutes fréquences ouvertes mais aucun signal pour l’instant.
— Danwell, il faut vérifier tous les systèmes du vaisseau, occupez-vous-en.
— Bien Monsieur, Batish, connectez-moi à toutes les sections.
— Oui, commandant.
— A tout le personnel, contrôle d’état des systèmes, rendez compte sans délai au poste central.
— Central propulsion : puissance maximale disponible.
— Central armements : a cent pour-cent.
— Central boucliers : énergie optimale.

Les réponses furent les mêmes dans chaque section, à l’exception d’une panne du compteur temps galactique qui s’obstinait à afficher –9999999999, ce qui selon les techniciens était dû à la traversée, l’Ataraxia était techniquement opérationnel au maximum de ses capacités. Mais en serait-il de même pour l’équipage une fois prévenu de notre situation ? À vingt et une heures, compteur temps interne de l’Ataraxia, je décidais de l’informer.

« Ici votre commandant, communication à l’ensemble de l’équipage. À l’heure présente, nous devrions être en plein milieu de la galaxie Elias, dans le système Casirios. Mais, comme beaucoup d’entre vous s’en sont certainement aperçus en regardant par les hublots et autres baies panoramiques, ce n’est pas le cas. Un problème dont nous ignorons tout pour le moment nous a propulsés dans un univers inconnu, et encore peut-on parler d’univers ou de galaxie, vu que nous sommes entourés par le néant.
Je ne vous cacherais pas que la situation nous préoccupe au plus au point, de par le fait que nous n’avons aucuns moyens de nous diriger. Les communications et les systèmes de détection à notre disposition restants actuellement muets. De plus, nous sommes livrés à nous–même, notre escorte ayant disparu d’une manière inexplicable.
Cependant, il ne faut pas céder à la panique, notre canot de sauvetage dans cet océan de ténèbres se nomme Ataraxia ! Il est le Super Cuirassé Astro-forteresse le plus performant jamais sorti des chantiers de construction d’Akir et comme moi, je vous demanderais d’avoir confiance dans les ingénieurs qui l’ont conçu. Avec notre aide à tous, je suis sûr qu’il nous ramènera à la maison.
Quand ? Vous demandez-vous certainement ? Je ne vous ferais pas de promesses que je ne puis tenir et je serais sincère envers vous tous en vous répondant qu’en cet instant, je ne sais ni comment, ni quand nous rentrerons. Voilà pourquoi j’ai besoin de l’appui de chacun ainsi que de vos compétences quel qu’en soit le niveau. Ce n’est qu’en travaillant ensemble que nous arriverons à quelque chose.

Le poste central contactera chaque spécialiste au fur et à mesure de l’évolution de la situation. Pour les autres, vous serez informés de manière régulière. Je ne vous cacherais rien, ni des bonnes, ni des mauvaises nouvelles. D’aucun disent qu’il vaut mieux cacher les mauvaises nouvelles car elles influent sur le moral de l’équipage. Je ne suis pas partisan de cette façon de faire, que certains commandants de vaisseaux n’aient pas confiance en leur personnel, c’est leur problème, mais ce n’est pas le cas à mon bord. J’ai ce qui se fait de mieux en matière d’équipage et je parle également des Scientis affectés à la mission.
Mission qui semble pour le moment un rien compromise. Je suis confiant en votre aptitude à ne pas céder à la peur de l’inconnu. Voilà, je n’ai rien à ajouter pour l’instant, vous en savez autant que moi sur notre situation. Je vous demanderais de reprendre vos occupations et je vous remercie de l’attention que vous avez portée à mes paroles. »

J’espérais que cela suffirait à l’équipage, tout en sachant pertinemment bien qu’il y aurait quelques cas de panique, mais c’était prévisible et je ne m’en inquiétais pas trop.

— Navigateur, quelle est notre situation actuelle ?
— Nous sommes parfaitement immobiles, Monsieur. Quels sont les ordres ?

Je sentis soudain tous les regards des personnes présentes se fixer sur moi. De mes décisions futures allait dépendre la vie de plus de huit mille individus dont une majorité avait une famille qui attendait leur retour. Plus que jamais le poids du commandement me pesait, je fis un réel effort pour paraître déterminé :

— Commandant de Danwell, formez six patrouilles de deux chasseurs Falankxs, qu’ils partent dans les directions : Face, arrière, droite, gauche, haut, et bas. Je préfère les nommer ainsi vu que nous ne connaissons pas notre position exacte. Les pilotes devront voler jusqu'à leur extrême limite, nous garderons un contact permanent par hyperondes, mais aussi grâce au système bioscan incorporé à leur combinaison. Normalement ce système ne se déclenche qu’en cas d’éjection, mais cette fois nous les activerons dés le catapultage. Afin que les pilotes ne perdent pas le contact avec nous, un signal de relèvement leur sera envoyé toutes les dix secondes, et ceci dans les six directions. Cyruss, vous qui les connaissez, quel groupe pouvons–nous envoyer ?
— L’escadrille Saphir est déjà en alerte sur les rampes de catapultage. Elle fera parfaitement l’affaire pour une reconnaissance et en cas de problème, ses pilotes sont suffisamment aguerris.
— Parfait, décollage de l’escadrille Saphir dans vingt minutes ! Mais… où est Orimh ?
Je venais seulement de remarquer l’absence du lokirien.
— Il était dans un état d’épuisement inquiétant, je me suis permis de l’envoyer se reposer et je ne voulais pas vous interrompre durant votre discours.
— Vous avez bien fait, je serais dans le « Cerveau » si vous avez besoin de moi.

Le Cerveau, c’est comme ça que nous appelons la salle adjacente au poste central où se trouve le supercerveau « Krell ». Lorsque l’on pénètre dans cette salle, ce qui frappe immédiatement, c’est l’absence quasi totale de mobilier, exception faite d’un siège, d’un petit bureau avec un digiclavier incorporé et un écran plasmatronique. Cette salle est la partie la plus résistante du vaisseau. Uniquement accessible au Commandant de Danwell et à moi-même, elle est hermétiquement close.
Il est tout à fait possible d’interroger « Krell » depuis la passerelle mais, pour les questions particulières, il refusera l’accès à ses données. Seules les personnes habilitées à l’interroger pourront le faire mais uniquement depuis cette salle. Je posais ma main sur le capteur prévu à cet effet et ressentis un très léger picotement et après avoir subi avec succès l’identification obligatoire, qui consiste à reconnaître la chaîne d’ADN de celui désirant l’interroger, il m’ouvrit et je pus pénétrer à l’intérieur puis m’installer au bureau.

— Bonjour Commandeur.

La voix grave synthétique de Krell était beaucoup moins agréable que celle de ce pauvre Fengor qui ne saurait peut-être jamais combien je lui étais redevable ! Il me fallut quelques instants pour m’habituer.

— Bonjour Krell.
— Votre présence ici me porte à croire que vous désirez m’interroger sur le néant dans lequel nous nous trouvons et sur les circonstances qui nous y ont amenés.
— C’est exact.
— Puis-je poser une question Commandeur ?
— Je t’en prie.
— Vous pouviez m’interroger depuis la passerelle, le sujet ne requérant pas un traitement particulier, alors pourquoi le faire d’ici ?
— J’ai mes raisons.
— Réponse non satisfaisante, mais enregistrée.
— Merci. Alors, que peux-tu me dire sur les derniers événements ?
— Il n’y a que deux faits à signaler : fait numéro un : la modification de la base de donnée se référant aux coordonnées d’Ounakor, valeur de cette modification : +2,3 degrés, fait numéro deux la soudaine perte de contact avec les trente-trois astronefs accompagnant.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de fait numéro un.
— Correction de la base de données ordonnée par le capitaine Bergman d’après indications de l’astronavigateur Payne. N’avez-vous pas été informé de cette démarche ?
— Aucun rapport ne m’a été fait à ce sujet… voilà pourquoi Bergman était si nerveux.
— Cependant, la modification de coordonnées n’est en aucune manière responsable de notre réémergence dans cet espace noir.
— Explications je te prie.
— Le diamètre de la galaxie Elias étant de 4.567.342.675,4 années-lumières, la correction ordonnée nous aurait fait ressortir à hauteur du système Shraltash à 2.398.584.037 années-lumière du système principal Casirios.
— Vraiment étrange… y a-t-il eu un précédent ?
— Aucun précédent depuis la création des Centuries.
— Ça je le sais, je voulais dire du temps de tes créateurs.
— Je ne peux fournir une réponse immédiate, une recherche approfondie dans mes banques de données est nécessaire, il me faut trente et une minutes dix-huit secondes avant de pouvoir fournir une réponse précise.
— Laisse les systèmes secondaires s’occuper du vaisseau et concentre-toi uniquement sur ma question.
— Ma recherche est commencée.
— J’attendrais ta réponse depuis le poste central. Est-ce possible ?
— La question posée n’étant soumise à aucun classement de sécurité, la réponse sera transmise à la passerelle.
— Alors à tout à l’heure.
— Un instant Amiral, communication du Commandant de Danwell, l’escadrille Saphir est aux ordres, les derniers contrôles sont terminés.
— Fais-moi un visuel de la baie d’éjection je te prie.

L’image holographique d’une netteté parfaite me montra les douze chasseurs Falankxs alignés et prêts à être éjectés du vaisseau. Leur ligne en pointe de flèche en faisait des appareils très rapides et maniables. À l’arrière, quatre gros ailerons fortement inclinés supportaient au-dessus et au-dessous les deux couples de propulseurs qui leur délivraient une puissance suffisante pour atteindre aisément les Disto 2.
L’image changea et une vue extérieure du pont C me permit de voir douze points lumineux se détacher des orifices de catapultage. J’avais moi-même piloté un de ces engins quelques années au paravent et en gardais un fameux souvenir. Leur accélération était foudroyante et les commandes répondaient avec une précision que peu d’autres appareils ne pouvaient se targuer d’égaler.
Sans aucun avertissement, l’écran se partagea en douze zones et les visages des pilotes apparurent.

— Active les capteurs audio s’il te plaît.
— Capteurs en fonction.

Je pouvais ainsi suivre leurs conversations en même temps que l’officier des communications assis derrière son pupitre dans le poste central.

— Saphir 2 avec moi, pour le reste des Saphirs : Dispersion selon plan établi.
— Dis Thoren, tu crois que l’on va trouver quelque chose ?
— À mon avis « BigBig » a fait ça pour donner le change, en vérité il est aussi paumé que nous !
— Ta gueule Sprito, on a un boulot à faire !
— Le chef a raison et, en plus, fais gaffe à ce que tu dis, « BigBig » pourrait t’entendre.
— Ça suffit les gars ! restez plutôt concentrés et gardez un œil sur votre indicateur carburant.
— A vos ordres grand seigneur Valkovir !

C’était donc ça la fameuse escadrille Saphir ! mais leur franc-parler me plaisait. Ainsi ils me surnommaient « BigBig », j’avais déjà été affublé de bien des sobriquets, mais celui-ci était totalement inédit !

— Sprito, d’après mes senseurs, tu t’écartes trop de Thoren, ressert un peu.
— Aller Sprity, viens vers maman !
— Oh, ça va !
— Val, on va se traîner comme ça encore longtemps ? Un blatann irait plus vite que nous !
— Peut-être, mais cette chenille de Trojif ne supporte pas le vide spatial !
— Tiens Klatis ! je ne savais pas que tu étais avec nous !
— Très drôle ! mais tu as raison, major Valkovir, on ne pourrait pas augmenter la vitesse ?
— Non, nous avons des instructions, si nous volons trop vite, nous pourrions rater quelque chose, alors continuez comme ça et ouvrez les yeux !
— D’accord… limace quatre à Grand seigneur Valkovir bien compris !
J’éteignais l’écran et rejoignais Cyruss. D’un ton très sec je lui demandais où se trouvais Bergman.
— Il est de repos Commandeur.

Sans dire un mot, je quittais la passerelle d’un pas décidé.
Je chargeai mon droïde affecté aux tâches administratives de prévenir Bergman que je l’attendais immédiatement dans mes quartiers. Nerveusement, mes doigts tapotaient mon bureau. Mes yeux étaient rivés sur mon écran de contrôle. Bergman n’eut pas le temps de s’annoncer que je lui ouvrais déjà la porte coulissante.

— Vous m’avez mandé Monsieur ?
— Capitaine Bergman, à partir de cet instant vous êtes consigné dans vos quartiers jusqu'à nouvel ordre !

Il me regarda ébahi et balbutia une réponse :

— Mais… pou… pourquoi ?
Je ne pus contenir ma colère plus longtemps, nous étions seuls cela n’avait donc aucune importance :
— Pourquoi ? vous osez me demander pourquoi ? Capitaine, vous avez ordonné une modification de cap à toute une Centurie sans m’avoir consulté au préalable, ce qui représente un grave manquement au règlement et contrairement à ce que Krell m’a affirmé, je suis persuadé que la situation dans laquelle nous sommes est en corrélation avec votre stupide décision !

Je ne lui laissais pas le temps de répliquer et mis fin à ce bref échange de paroles :

— Et soyez heureux que je ne vous fasse pas mettre aux arrêts, nous reparlerons de tout ça lorsque nous y verrons un peu plus clair. Vous pouvez disposer.

La tête basse, il quitta mon bureau.

Il était déjà vingt-deux heures quinze passées, j’étais en retard à mon rendez-vous, je me mis en contact avec le pont dix sept. La copie conforme d’un androïde que je connaissais me répondit et je m’exclamais :

— Fengor !
— Non, Amiral. Mengor ! Que puis-je pour vous ?
Je lui fis la description de Kitara et lui demandais si elle était déjà arrivée.
— Non Amiral, je n’ai vu aucune personne correspondant à ce profil. Dois-je vous contacter si elle se présente ?
— Non, ça ne sera pas nécessaire. Merci Mengor.
— À votre service Monsieur.

Je coupais la communication, le délai était dépassé depuis plus d’un quart d’heure, ce qui signifiait qu’elle n’avait rien obtenu et si elle avait été retardée, elle m’aurait prévenu.
Un message apparut sur mon moniteur. C’était Krell, il avait ma réponse.

— Alors qu’as-tu trouvé ?
— Après recherches, je puis affirmer qu’aucun précédent n’a jamais été enregistré.
— En es-tu certain ?
Je me rendais compte de la stupidité de ma question mais ne la retirais pas.
— Probabilité d’erreur… zéro.
— Merci Krell.

Les heures passaient, confortablement installé dans mon fauteuil de commandement je suivais avec attention le vol des Falankxs :

— Contrôle communications comment vont-ils ?
— Je crois qu’ils en ont un peu assez, mais je vous connecte en visaudio.
Comme dans la salle du cerveau, les douze visages m’apparurent.
— Val, il n’y a rien de rien dans ce secteur, j’en ai vraiment marre !
— Bon sang, s’ils voulaient que nous additionnions des heures de vols, j’aurais préféré les faire en simulateur, là au moins j’aurais eu des étoiles à regarder !
— Je sais Jotka, mais on doit continuer, ils comptent sur nous.
— Quelle mission pourrie ! Je préfère cent fois descendre du dissident. Avec toute cette obscurité, j’ai l’impression de débarquer avant le big bang c’est dire !
— Je te comprends, Klatis… bon, taisez-vous et concentrez-vous !
— Concentrez-vous, ouvrez l’œil, restez concentrés, ton vocabulaire est des plus limité Major !
— La ferme Thoren !

Quittant quelques instants l’écran des yeux, je m’adressais à Cyruss :
— Ça ira pour eux ?

— Ils vont tenir mais s’ils ne découvrent rien, je ne voudrais pas être les mécaniciens qui vont s’occuper d’eux à leur arrivée. Leur humeur sera massacrante !
— Monsieur, il se passe quelque chose, la communication devient de plus en plus mauvaise :
— Klat…dev…pouvoi…prop…

Je me levais d’un bon et me précipitais vers la barrière en criant :

— Faites les rentrer ! Faites les rentrer ! Vite !
— Major ici contrôle, revenez immédiatement à la base, nous perdons le contact, je répète nous perdons le contact !
— Mais qu’est-ce qu’ils racontent chef je…
— Ils ont raison imbécile regarde ton détecteur de relèvement, le signal est à peine perceptible ! Valkovir à tous les Saphirs, demi-tour immédiat, je répète demi-tour immédiat, nous rentrons au vaisseau mère et à pleine puissance !
— Vous les avez ?
— Ils devraient regagner la zone de réception dans quelques instants…
Seulement quelques minutes s’écoulèrent, mais elles me parurent durer des heures. Puis :
— Les voilà ! Le retour du signal est revenu à la normale. J’ai douze échos sur mon écran, ils sont au complet.
— Bonne nouvelle ! Je vais les attendre à la baie d’appontage.

En arrivant au pont C je m’arrêtais au poste de contrôle d’appontage et me dirigeais directement vers un lieutenant que je connaissais très bien.

— Lorissia…
— Keldan !

Elle s’était levée d’un bond en reconnaissant ma voix, elle n’avait pas pu s’empêcher de prononcer mon nom aux dépens de toutes les règles hiérarchiques et je devinais qu’elle faisait de gros efforts pour ne pas me sauter au cou. Nous étions très proches l’un de l’autre, nous avions sillonné l’espace pendant quatre ans à bord des mêmes vaisseaux et si j’étais encore là pour en parler c’était grâce à elle.

Nous servions sur le « Casius » un croiseur léger et je revenais d’une patrouille sur la planète Saurak lorsque je fus attaqué et quasiment mis en pièces par des contrebandiers de Dyrilos qui croyaient que nous en avions après eux. Mon chasseur, un vieux Galejis, était en piteux état lorsque j’appontais et ce n’est que grâce à ses directives précises que je m’en tirais sans trop de mal. Par contre il ne restait rien de mon appareil. Elle m’avait sans aucun doute sauvé la vie ! Une profonde amitié s’était déjà tissée entre nous lorsque j’eus l’occasion de payer ma dette le jour de la tragédie de l’« Aragosta ».
Elle ne s’est jamais transformée en quelque chose de plus fort et à vrai dire c’était mieux comme ça.

Se ressaisissant, elle se mit au garde à vous. Je la trouvais toujours aussi jolie, ses formes attrayantes, son visage, ses yeux marron, ses cheveux noirs coupés court et son petit nez mutin, étaient tels que je me les rappelais.
Je l’interrompais prestement en prenant sa main entre les miennes.

— Repos… repos Lorissia.
— C’est bon de vous revoir !
— Voyez-vous, en découvrant que vous faisiez partie de l’équipage, je m’étais promis de venir vous dire bonjour.
— Et bien c’est chose faite… et merci d’avoir pensé à moi ! Mais comment allez-vous ?
— C’est plutôt à moi de vous demander ça, la dernière fois que je vous ai vue, vous étiez en piteux état !
— J’ai eu deux coups de chance : Le premier c’est que vous ayez été là et le second, c’est que j’ai eu de bons robots chirurgiens ! Ca a été long mais je me sens en pleine forme !
— Ça se voit, vous êtes resplendissante !

Les autres techniciens nous regardaient avec étonnement, elle avait dû leur dire qu’elle connaissait personnellement le nouveau commandant, ils ne l’avaient pas cru et ils découvraient à présent qu’ils avaient eu tort. Le service reprit ses droits et elle se remit à son poste :

— Je m’excuse Monsieur, mais nous reparlerons du bon vieux temps une autre fois, car j’ai un joli collier de Saphirs à faire apponter !
— Je vous laisse à votre tâche, on se reverra un peu plus tard.

Le retour des Falankxs ne prit que quelques minutes de par le fait qu’ils volaient à vitesse maximale.
Alors que pour cette reconnaissance, leur vitesse avait été très réduite. À la surprise des hommes de pont, je m’étais assis en toute décontraction sur un amas de caisses en plastique dur disposées juste au-dessous du poste de contrôle. À mille troiscents mètres de là à ma droite et a mille trois cents mètres à ma gauche, se trouvait les deux larges embouchures qui permettaient aux appareils de se présenter à l’appontage par l’arrière ou au contraire de face. Grâce à l’écran atmosphérique, je pouvais les voir arriver.
Ce principe, hérité une fois encore des Krells, est un champ d’énergie invisible qui garde l’oxygène et la gravité à l’intérieur tout en permettant de voir à l’extérieur. Il possède également la particularité d’être perméable à la matière, ce qui donne la possibilité aux navettes de décoller et d’apponter librement et au personnel de demeurer présent à l’intérieur de la baie en toute sécurité.

Bien sûr, en cas de danger, un énorme panneau en tétranium peut se refermer en quelques secondes et offrir une totale protection.

« Attention… Attention ! escadrille saphir en approche vecteur un, équipe technique à vos postes. »

Vecteur un, ils allaient donc arriver de face, je scrutais l’espace et quelques secondes plus tard je vis le premier d’entre eux entrer dans le hangar géant. Utilisant leur système anti-gravité, ils se posèrent à intervalles réguliers juste à quelques mètres de moi. Le Major Valkovir fermait la marche comme le voulait la tradition. Les chasseurs Falankxs avaient quelque chose de racé, ce qui était dû très certainement à leur profilage et à leur éclatante couleur argentée. Les techniciens prirent en main les appareils tandis que les pilotes formaient un cercle afin de disséquer la mission.
Le major se détacha du groupe et se dirigea vers moi.

— Major Valkovir commandant de l’escadrille Saphir au rapport Amiral.
— Repos Major. Suivez-moi au mess des officiers, vous me ferez votre compte-rendu de mission devant une boisson fraîche, vous avez l’air d’en avoir besoin.
D’un signe de tête il me désigna ses hommes.
— Non désolé, ce ne serait pas juste vis-à-vis d’eux.
— Cette attitude vous honore Major, mais rassurez-vous, je ne les ai pas oubliés.
Joignant le geste à la parole, je me rendis vers le cercle des pilotes.
— Bon travail messieurs ! Allez donc prendre un peu de repos… mais avant, une bière draxillienne glacée vous attend à côté, salle des missions numéro quatre, profitez-en c’est moi qui invite !

Cette dernière phrase déclencha un tonnerre d’approbation et je souris intérieurement :

« A la vôtre les gars, c’est de la part de « BigBig » ! vous l’avez bien méritée ! »

Le teint pâle, de petite taille et un peu bouffi, à quarante-cinq ans, le major Valkovir était l’antithèse du pilote de chasse. Habillé en civil, on l’aurait plutôt pris pour un banal petit fonctionnaire mais certainement pas pour un officier plusieurs fois décoré des plus hautes distinctions !
À l’entame de la seconde bière draxillienne il avait terminé son rapport.

— Est-ce tout Major ?
— Mis à part le fait que nous avons volé inutilement pendant plus de neuf heures, il n’y a rien eu a signaler, hormis bien sûr l’incident du signal de relèvement !
— À ce sujet, avez-vous une hypothèse ?
— Nos scientis seront certainement plus à même que moi pour vous fournir des conclusions. Cependant, comme ça à chaud je dirais qu’il se pourrait que nous soyons prisonniers d’une sorte de « bulle » spatio-temporelle qui nous isolerait totalement de notre univers. La perte du signal pourrait signifier que nous étions arrivés à son extrémité. Bien entendu, mes propos n’engagent que moi !
— Il n’empêche que je vais exposer votre théorie à Krell ainsi qu’à nos spécialistes. Je vous remercie Major, terminez donc votre bière et allez prendre du repos, vous l’avez vous aussi mérité.


24 juilla


Il était très tôt lorsque je fus réveillé par l’identificateur de ma porte m’avertissant d’une visite. J’ouvris, Vanhéa se tenait sur le seuil, l’air embarrassé. Après l’avoir fait entrer et lui avoir servit une tasse de café bien chaud que mon droïde assistant avait été chercher au mess, je la questionnait :

— Vous êtes vraiment matinale, ça doit être très urgent, que ce passe-t’il ?

Son embarras était de plus en plus perceptible, ses doigts se crispaient sur sa tasse et elle n’osait pas me regarder en face.

— Keldan… il faut que je vous parle…
— Oh ! vous vous souvenez de mon nom, j’en suis honoré !
— Je vous en prie, n’ironisez pas, ce n’est pas le moment !
— Soit, mais allez-vous enfin me dire ce que vous faites chez moi en nuisette transparente à cinq heures du matin. Ce n’est pas que ça me déplaise au contraire mais… le visiophone, ça existe vous savez…
— Je suis venue avec le transmetteur de votre secteur. Je devais vous voir. Ça ne pouvait pas attendre.
— Oh ! je suis très flatté… mon lit est encore chaud si…
— Ce n’est pas de ça dont il s’agit.
— Alors de quoi s’agit-il ?
— C’est très délicat…

Elle était totalement désemparée. Je fis le tour du canapé et lui posait gentiment les mains sur les épaules en lui murmurant :

— Dites-moi tout.
— Nous… non… j’ai fait une terrible erreur l’autre soir.
— Mais non voyons…
Je me replaçais devant elle
— Oh si !
— Pourquoi dites-vous ça ?
— Je… je n’aurais jamais dû avoir de contact physique avec vous…
Son regard allait de sa tasse à la table, s’attardait sur le bar, mais ne croisait toujours pas le mien.
— Vous vous êtes laissé aller à vos émotions, il n’y a rien de mal à ça.

Elle était au bord des larmes, ce qui était très inhabituel pour une femme de Naudhal.

— Si justement ! Et il a fallu que ce soit précisément ce soir-là…
— Je n’y comprends rien, expliquez-vous enfin !

En temps normal, j’aurais tout de suite compris, mais la fatigue aidant, mon esprit tournait au ralenti.

— To… tous les trois ans, nous les femmes naudaliths avons une période de fécondité de vingt-cinq heures. Durant ce laps de temps, une pulsion nous pousse à nous unir avec… je… je porte votre fils Keldan.

Un rayon frappeur en plein visage n’aurait pas fait mieux ! Je regagnais mon fauteuil et m’y laissais tomber… ko !

— Tu… tu es enceinte ! ?

J’étais si désorienté que je ne m’aperçus même pas que j’étais passé du « vous » au « tu ».

— C’est le terme employé par les humains. Mon travail accaparait tellement mon esprit que je n’ai pas fait attention aux premiers signes, ni à cette soudaine envie de te revoir. ( elle m’avait emboîté le pas ).
— Tu es vraiment sûre que…
Question classique, posée depuis des millénaires par des milliards d’hommes à des milliards de femmes !
— Contrairement aux humaines, nous présentons des symptômes spécifiques quelques heures seulement après le contact physique. Je venais de regagner le laboratoire quand j’ai ressenti le premier… il n’y a aucuns doutes.
— Tu as fait un test ?
— Bien sûr ! car je n’y croyais pas moi-même. Alors juste avant Ounakor, j’ai décidé de le faire.
— Tu pourrais en refaire un ?
— À quoi cela servirait-il ? Ces tests sont infaillibles.
— Parce que je voudrais être sûr…
— Si tu y tiens… et s’il est positif ? Je ferais bien une prélévoscopie… mais je ne le peux pas…
— Pourquoi ? ça n’a rien de spécial.
— Si l’on prélève cette vie de mon corps, mon énergie vitale partira avec elle et je mourrais. Mais… si tu le veux…

Effaré, je me tassais encore plus dans mon siège.

— Il est exclu que nous en arrivions à cette extrémité. Dans combien de temps cet enfant naîtra-t’il ?
— Il faut huit mois pour qu’il soit à terme. Pourquoi ?

Je ne répondis pas immédiatement et plus d’une minute s’écoula sans le moindre bruit.

— À quoi penses-tu ?
— … je me demande s’il aura tes yeux…

Une ébauche de sourire se dessina sur son visage.

— Mais il faut que tout cela reste secret pour le moment.
— Je comprends.
— Il vaudrait mieux que tu retournes chez toi maintenant, tu as encore du temps pour te reposer avant la réunion.
— Je me sens vraiment mieux, maintenant que je t’ai parlé et excuse-moi pour l’autre jour, mais j’étais si…
— C’est normal et je ne t’en tiens pas rigueur.

Elle se dirigea vers la porte, mais je la retenais.

— Tu devrais utiliser mon transmetteur. Tu risques d’affoler les hommes d’équipage dans cette tenue !

Elle se colla à moi.

— Et toi, est-ce que ma tenue t’affole ?
— Je suis fou de toi… mais ce n’est pas raisonnable. Il faut vraiment que je dorme, tu sais très bien que dans quelques heures je suis attendu en salle de conférence principale et je dois être au mieux de ma forme.

Sa main descendit et se fit plus précise.

— Mmm ! question forme, ce n’est déjà pas si mal !
— Stop s’il te plaît ! Je dois absolument récupérer quelques heures de sommeil.

Elle s’écarta de moi visiblement à contrecœur. De mon côté, je luttais pour ne pas céder à l’invite de la renverser sur le canapé et de posséder son corps magnifique. Au prix d’un très gros effort, je me dominais.

Je faisais partie des quelques dizaines de privilégiés à posséder un système de téléportation dans mes quartiers, et même deux ! L’un juste en face de mon bureau et l’autre dans mes appartements privés entre le bar et le canapé. Jusqu’ici, je n’en avais pas vu l’utilité, y étant un tantinet allergique ! mais cette fois, je reconnaissais que ça allait rendre service. L’Ataraxia en était équipé d’une bonne centaine, ce qui n’était pas du luxe au vu de la taille du vaisseau. Le gain de temps était considérable. Il y en avait un dans mon secteur, mais il était situé à quelques dizaines de mètres de ma porte et même à cinq heures du matin, elle aurait pu croiser du monde. Voilà pourquoi je préférais qu’elle utilise l’un des miens. Je savais que celui de son laboratoire se trouvait juste à côté de chez elle et à cette heure-ci, personne ne travaillait et elle serait tranquille. Je l’embrassais tendrement et tout en se blottissant dans mes bras elle me remercia de ma réaction.

S’était-elle imaginé que je la sacrifierais afin de préserver ma réputation ? C’était bien mal me connaître !
Elle se plaça au centre du cercle de téléportation et activa la commande vocale.

— Cybernétique !

Elle avait à peine prononcé ce mot qu’un cercle lumineux orange fluorescent sembla sortir du sol. Il remonta le long de son corps, la faisant disparaître dans un flot de lumière blanche avant de se perdre dans le plafond.
Bien évidemment, je ne pus me rendormir tout de suite et je me mis à réfléchir :
En moins d’une semaine, j’avais l’impression d’avoir été confronté à plus de problèmes que n’importe quelle amiral durant toute sa vie ! Excepté que le fait de devenir père, n’était pas à proprement parler un problème pour moi, bien au contraire !

De profonds changements se profilaient à l’horizon ( bien que l’expression soit actuellement mal choisie ! car en fait d’horizon… ) mais curieusement j’étais serein quand à l’avenir.


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