28/02/2003 - Georges Viguier
Chaüaki - Chapitre 4

La vie au quotidien était assez banale. Bien que trop d'enfants mourussent en bas âge, l'espérance de vie étant réduite à une trentaine d'années, les gens prenaient la vie avec une certaine nonchalance qui nous dérouterait un peu aujourd'hui. Ils étaient fatalistes par nécessité, ce qui les protégeait en quelque sorte de la réalité d'une existence de souffrance et d'incertitudes.

Cette société était bien organisée, de l'éducation collective des enfants, leurs sacrifices, à la manière de faire du commerce, de respecter le culte et de faire des confitures de mélasse, tout était prévu, écrit, légalisé, enregistré, nommé, quantifié. Ainsi, bien que la ville fût sous la gouverne d'un roi, les Chaüakiiens avaient un parlement élu où ils discutaient les lois que le roi approuvait, ou n’approuvait pas d'ailleurs.

Il y avait des élections, certes un peu particulières où les politiciens, essentiellement des femmes, se battaient pour obtenir le poste de chef de quartier, ou représentante des citoyens au parlement ou bien encore pour être nommée Grande Influente auprès de la cour. Les Grandes Influentes avaient droit de consultation auprès du roi. Elles étaient en quelque sorte des conseillères, des personnes de confiance. Les différences de point de vue étaient débattues en séances publiques. La moitié des élues étaient renouvelées à la nouvelle année. Les postulantes se faisaient connaître. Elles étaient réunies sur la grande place.

Pour être élues, elles devaient répondre à plusieurs critères. Être une femme, être vierge et en bonne santé, savoir-faire du feu avec deux morceaux de bois, être belle et mesurer au moins 1,55 m. Les jeunes femmes éligibles devaient montrer bonne figure ensuite connaître l'art et les subtilités de la rhétorique. Ce qui était très bien perçu en politique mais qui embrouillait bon nombre de gens des milieux populaires.

Quand les candidates avaient répondu aux critères de sélection, la lutte pouvait commencer. On les enduisait de graisse de poulet. Elles étaient entièrement dévêtues et devaient s'affronter sur un espace limité et recouvert de boue faite de lait de chèvre fermenté et mélangé à de la terre finement tamisée et de la sciure très fine de bois rouge. Le jeu se pratiquait avec une sorte de ballon ovale fait de chiffons et rempli de plumes d'oiseau. Chaque candidate devait s'approprier le ballon et le placer entre les deux colonnes de l'arc de pierre, sorte d'arche de triomphe. Les plus astucieuses faisaient alliance avec d'autres concurrentes. Celles qui avaient marqué le plus de points étaient élues pour un maximum de cinq années, ce qui leur donnait de nombreux privilèges, de la fortune et leur permettait d'être nourries, hébergées et soignées par l'ensemble de la communauté.

En revanche, ces privilèges étaient assortis d'une stricte observance des devoirs qui en découlaient. Pas de mariage, encore moins d'escapade à l'arrière du temple voir si les coquelicots avaient rougi pendant la nuit. Toute dérogation, tout manquement au respect de la fonction était puni de la peine capitale dont nous tairons le supplice tant il était terrible. Il fallait qu'elles aient une ambition sans borne et un orgueil démesuré pour qu'elles acceptent de tels sacrifices. L'histoire nous a prouvé que les hommes pouvaient supporter bien davantage. De nos jours, les motivations des hommes politiques et leurs agissements sont peut-être les mêmes. Il n'y a que les sanctions qui ont été supprimées.

Le vieux roi, sentant venir sa mort prochaine, ne pouvait plus gouverner. Il ne quittait plus ses appartements royaux et se faisait remplacer le plus souvent possible par Bakhar, son fils aîné. C'était un homme jeune, grand, fort et très méchant. Il aimait les combats, il aimait la guerre et avait la réputation d'être cruel, violent et injuste. Toutes les qualités pour devenir un monarque craint.

Taar était tout le contraire de son frère. Bakhar détestait Taar et s'arrangeait toujours pour lui faire une petite misère ou le faire punir injustement. Bakhar et Taar n'étaient que demi-frères, n’ayant pas eu la même mère. Celle de Bakhar, première épouse du roi, reine très aimée du peuple, avait succombé à la terrible épidémie de choléra. Khöre, la seconde femme, une intrigante de seconde zone, menait le vieux roi par le bout du nez. C'était la seule faiblesse de ce roi mourant. Il avait aimé les femmes, Khöre était très belle, il lui obéissait. Il aimait aussi la bonne chair, de la table comme de ses compagnes d'ailleurs.

De tout temps, Taar savait qu'un jour, Bakhar deviendrait le roi de Chaüaki. Ce jour prochain, il savait qu'il aurait à pâtir des mauvais tours de Bakhar. Taar suivait une éducation stricte le destinant à la prêtrise. La religion ne le captivait pas particulièrement, encore moins la rude vie des moines voués à un âpre et implacable célibat, tous liés au vœu de chasteté infrangible.

Taar était un jeune homme curieux de nature. Tout l'intéressait, tout le fascinait. Il avait une attirance marquée pour ce qu'il ne connaissait pas. Il aimait aller à la découverte du monde et parfois, la nuit, il se glissait hors de la cité et faisait quelques incursions en terrain forestier. Il n'avait jamais rien vu d'aussi terrible qu'on voulût bien le dire. Excepté une fois où il eut l'impression que quelqu'un l'observait dans son dos. Ses cheveux s'étaient dressés sur sa tête et, prenant les jambes à son cou, il avait regagné l'enceinte de la communauté sans jeter un coup d'œil derrière lui. Il ne croyait pas en quelques puissances divines et maléfiques, pourtant, il se souvint d'avoir eu très peur. Il n'en était pas moins resté curieux et rêvait de s'aventurer en d'autres occasions mais, cette fois-là, armé. Il verrait bien à quoi ressemblaient ces horribles démons.


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