31/10/2003 - Georges Viguier
Chaüaki - Chapitre 8

Perchée dans sa cage, Nahuatina pouvait apercevoir loin à l'horizon les collines de Chaüaki et les hautes tours de la citadelle. Elle se savait dans une bien mauvaise posture et ne voyait pas comment s'en dégager. En se penchant, elle avait une vue parfaite sur la clairière où s'activaient quelques femmes et enfants. La vieille qui l'avait nourrie était attachée à un piquet comme on attache une chèvre. Elle avait une attitude résignée et attendait patiemment qu'on lui donnât quelques tâches à accomplir. Les liens de Nahuatina lui blessaient les poignets et les chevilles. Elle était désespérée. Elle appela la vieille.

— Hé ! Vieille femme, à l'aide ! Ne peux-tu rien faire pour me délivrer ?
— Tiens-toi tranquille sinon ils vont te rouer de coups. Reste calme, c'est ce qu'il y a de mieux à faire.
— Je n'en peux plus, j'ai très mal. Aide-moi, au secours !

Nahuatina lançait des cris de désespoir à qui voulait l'entendre. Seul, l'écho de la forêt lui répondait. Plus bas, la vieille femme avait été détachée. Une troupe d'hommes chargés d'un sinistre fardeau pénétra l'espace du camp. Nahuatina se mit à les insulter, à leur cracher dessus.

— Bande de chiens galeux, pourriture ambulante, vieilles croûtes moisies, vous n'allez pas manger cet enfant ? Je le connais c'est Yémok.
— Tais-toi, tu vas les rendre encore plus furieux.
— Je m'en moque, fais-moi descendre que je défonce leur sale gueule puante.

La troupe s'arrêta, la vieille femme détacha le petit enfant. Il délirait. Brusquement, Nahuatina sentit la cage descendre en heurtant violemment le sol. Les hommes détachèrent ses liens et poussèrent l’enfant dans la cage qui regagna la cime de l’arbre. Yémok s'était blotti contre Nahuatina. Elle le réconfortait en lui parlant doucement. Elle lui caressait la tête afin de l'apaiser. La nuit les avait enveloppés, et aussi pénible que fut cette situation, ils avaient fini par s'endormir.

Taar s'était caché tout à côté du camp des Khâhouaky. Il avait pris soin de s'enduire d'argile et de se camoufler avec quelques feuillages. Ainsi, il ressemblait aux hommes de la forêt. Il fallait agir vite. Que faire ? Deux solutions semblaient possibles. Monter à l'arbre et délivrer Nahuatina et Yémok, ou attendre que les hommes descendent la cage et engager une bataille à l'issue incertaine. Les hommes s'activaient autour du feu. Une vieille femme quitta le cercle central et se dirigea lentement vers lui. Elle s'approchait de sa cachette. De plus en plus près.

— Si je suis repéré, je suis perdu. Si elle fait un pas de plus je lui décoche une flèche en plein cœur.

Taar ne bougea pas. Sa surprise fut grande. Elle le regarda fixement dans les yeux et murmura quelques mots qu'il reconnut.

— Ne bouge pas, ne fais rien. Je t'ai repéré dès ton arrivée. Es-tu fou ? Ils vont te tuer comme ils vont tuer les deux autres.
— Qui es-tu vieille femme pourquoi parles-tu ma langue ?
— Je ne suis pas des leurs. Tiens-toi tranquille. Dans la nuit nous essayerons de délivrer la jeune fille et le petit. Attends-moi ici, je viendrai te rechercher.

Taar n'avait pas d'autre plan. Il resta un très long moment dans la même position. Il avait les jambes engourdies. Toute la tribu dansait autour du foyer, les hommes buvaient énormément. Leurs gestes devenaient plus lourds, maladroits. Certains tombaient ivres morts, complètement hébétés et grisés par la magie et les danses. Le feu crépitait, la fête laissait place à une sorte d'hystérie collective. Certains hommes étaient entrés en transe. Ils avaient les yeux révulsés et tremblaient de tous leurs membres. Leurs énormes femmes marquaient les danses de leurs balancements disgracieux et moulés par la pesanteur. Leurs seins qu'elles faisaient tourner vivement semblaient leur donner un envol. Taar était éberlué par ce spectacle.

— C'est le moment. Lève-toi et viens m'aider.
Taar sursauta. Il n'avait pas remarqué la vieille Phîgk.
— Quoi, qu'est-ce que c'est ? Qui parle ?
La vieille femme s'était discrètement glissée à côté du jeune homme.
— Dépêche-toi. Ils seront bientôt complètement soûls, c'est le moment ou jamais.
— Comment as-tu fait pour les rendre dans cet état ?
— J'ai mélangé à la bière de maguey des feuilles à mâcher et de la pâte calmante. Cela va les endormir un bon moment.

En se cachant le plus possible derrière les buissons et les huttes Taar et Phîgk se dirigeaient vers l'arbre à la cage suspendue. Un homme se leva, se dirigea vers eux et se mit à pisser juste à côté deux. Un énorme jet d'urine les éclaboussa. L’homme partit rejoindre les autres. Taar était dégoûté mais ne bougea pas d'un centimètre. Tout doucement, sans faire de bruit ils se faufilèrent à travers le village.

Quand brusquement, un immense gaillard titubant, ivre de boisson, se dressa devant eux. En un éclair, Taar banda son arc et décocha une flèche juste entre les deux yeux du guerrier. L'homme, surpris par la violence du choc, ne dit mot. Il vacilla un instant sur ses jambes et s'effondra d'un seul coup face contre terre. Le fer ensanglanté de la flèche ressortit par la nuque. L'homme ne bougea plus.

Taar et Phîgk calmèrent leurs esprits et reprirent leur progression. Dans un instant de distraction, Taar trébucha sur un obstacle. Dans sa chute, il renversa quelques cruches et un tas de bois. Pétrifiée par la peur d'être découverts, la vieille femme poussa Taar à l'intérieur d'une case. Ils entendirent deux hommes se précipiter, crier et donner quelques coups de pieds à la vieille. Phîgk se mit à hurler de douleur. Les hommes satisfaits d’avoir assouvi leur pulsion de brutalité la laissèrent inanimée sur le sol. Vautré sous la vieille femme, Taar trouvait le temps long. Ce qu'elle pouvait sentir mauvais et que la situation lui semblait ridicule ! Il patienta un moment puis, le danger écarté, la vieille femme se redressa d'un bond, et entraîna Taar par la main.

— Ne t'inquiète pas, j'ai fait semblant d'avoir mal. Ils sont tellement bêtes !

Ensuite, elle lui désigna un énorme tronc auquel était attachée une longue tresse de lianes. Taar défit le nœud, puis, le plus lentement possible, ils descendirent la cage. C'était très lourd, ils avaient les mains en feu. Croyant leur dernière heure arrivée, Nahuatina et Yémok s'étaient réfugiés au fond de la cage.

— Non, laissez-nous, partez, sales monstres, bande de détritus de fosses septiques !
— Chuuuuut ! Surtout ne dis rien. Nous sommes venus pour te sauver.

L'enfant pleurait, Nahuatina ne comprenait pas ce qui lui arrivait. La vieille et un homme de la forêt, la délivrer… c'était absurde.
Nahuatina sortit avec l'enfant dans les bras. Elle sentit que le garde la prenait doucement par la main quand elle reconnut le visage de Taar.

— Toi Taar ! C'est toi ?
— Ne dis rien et partons au plus vite.
— Taar, remonte la cage pour ne pas attirer l'attention et toi, Nahuatina, va te cacher dans la forêt.

La jeune fille était abasourdie. Elle s'apprêtait à être exécutée et dévorer par les Khâhouaky, et Taar, celui qu'elle avait pris pour un lâche venait la libérer. Elle était folle de bonheur et d'amour pour lui.
L'instant d'après, ils se retrouvèrent tous les quatre en pleine forêt. La vieille femme les guidait péniblement de son pas incertain. Après un long moment de marche, la petite troupe s'arrêta. Pîghk dit.

— Vous allez continuer sans moi. Je suis trop fatiguée pour vous accompagner et je ralentirais votre marche. Je vais retourner au village et essayer de les retarder le plus possible. Soyez très prudents, ils connaissent cette forêt sur le bout des doigts et sauront rapidement vous retrouver.

La vieille les embrassa, leur jeta un peu de terre sur la tête, un dernier regard, puis disparut dans l'épaisseur de la jungle. Taar, Nahuatina et le petit Yémok se retrouvèrent un peu désemparés. Qu'allaient-ils devenir, perdus au milieu de cette immensité si hostile ? Taar décida de faire une halte pour retrouver un peu de force. Ils choisirent un coin très sombre, se blottirent au creux d'un arbre se recouvrirent de larges feuilles de castilloa élastica et finirent par s'assoupir.


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